Gros plan sur la directive sur la distribution des produits d’assurance récemment transposée

Publié le 07/11/2018

Il ne reste plus que quelques semaines à l’ensemble des distributeurs de produits d’assurance-vie et de capitalisation pour se conformer aux nouvelles normes européennes de distribution. La directive de janvier 2016 a en effet été transposée par voie d’ordonnance, en mai dernier. Devoir de conseil, conflit d’intérêts, rémunération, formation professionnelle, marché cible : le point sur les nombreux enjeux du texte.

Extrêmement attendue, l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018 transposant la directive sur la distribution des produits d’assurance (DDA) n° 2016/97 du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 (JOUE 2 fév. 2016, L 26/19) vient d’être publiée au Journal officiel (JORF n° 0112 du 17 mai 2018, texte n° 29). Elle est une étape importante dans la création d’un marché unique de l’assurance, que la directive sur l’intermédiation en assurance de 2002 (DIA 1) n’avait pas réussi à construire, laissant subsister de fortes hétérogénéités de pratiques en Europe.

Malgré le report dont ils ont bénéficié, les professionnels de l’assurance disposent d’un court délai pour se conformer au texte européen, dont l’entrée en application est désormais fixée au 1er octobre 2018. Aimée Camilli, juriste à la direction des affaires juridiques d’UBS (France) SA nous livre son éclairage sur les principaux enjeux de ce texte, et les problématiques juridiques qui ne manquent pas pour les acteurs du secteur, avec un focus sur les obligations incombant aux distributeurs de produits d’assurance-vie et de capitalisation. Les produits non-vie ne sont donc pas abordés ici.

 Les Petites Affiches

Quelles sont les grandes lignes de cette directive ?

Aimée Camili 

Cette directive est issue de la révision de la directive intermédiation en assurance de 2002. Elle innove sur plusieurs points importants. Ainsi, le nouveau régime porte plus largement sur toute l’activité de distribution de produits d’assurance, et ne vise plus seulement l’intermédiation. Elle s’applique donc aux intermédiaires d’assurance ainsi qu’aux assureurs qui commercialisent directement leurs contrats. Conséquence : elle procède à l’unification du cadre règlementant les pratiques commerciales du secteur de l’assurance.

LPA

Quel est son principal objectif ?

A. C.

La directive vise principalement à renforcer la protection de l’épargnant européen. Comment ? En renforçant l’information précontractuelle, en fixant de nouvelles règles de gouvernance des produits. Comme dans le cadre de la révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers, dite MIF 2 (directive 2014/65/UE, révisant la directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil), des mesures sont prises pour mieux prévenir les conflits d’intérêts. De plus, une attention particulière est portée sur  la formation continue des distributeurs. Surtout, le devoir de conseil obligatoire existant en droit national se trouve renforcé, quel que soit le mode de distribution des produits, afin que la pertinence de l’offre d’assurance proposée aux clients soit garantie. Un grand principe est posé, sur lequel va reposer toutes ces obligations : tout distributeur d’assurance doit agir de manière honnête, loyale et non trompeuse, en accord avec l’intérêt des clients.

LPA

Toute la chaîne de distribution se trouve donc concernée ?

A. C.

Exactement, et c’est un point fondamental. Le périmètre du cadre relatif aux pratiques commerciales s’applique désormais à tous les distributeurs d’assurance qu’ils soient producteurs – donc les réseaux salariés – , intermédiaires, comparateurs, ou encore vendeurs d’assurances à titre accessoire. De plus, il incombe désormais aux entreprises d’assurance de surveiller les distributeurs qui n’ont pas la qualité d’intermédiaires.

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En quoi le devoir de conseil est-il renforcé ?  

A. C.

C’est le cœur du sujet, avec une spécificité française. L’article L. 132-27-1 du Code des assurances énonçait déjà que les exigences et besoins du souscripteur/adhérent devaient être recueillis par l’entreprise qui devait, de fait, justifier des raisons ayant motivé son conseil concernant un contrat déterminé. L’article L. 522-5 du Code des assurances issu de la transposition de la directive par l’ordonnance susvisée, maintien le principe qui prévalait jusqu’alors en France consistant à imposer, dans tous les cas, un conseil. Deux niveaux de conseil vont dès lors coexister : le conseil « basique » ou « standard » (C. assur., art. L. 522-5 I), et la recommandation personnalisée (C. assur., art. L. 522-5 II).

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En pratique, à quoi correspondent ces deux niveaux ?

A. C.

Le premier niveau de conseil devrait conduire l’intermédiaire à procéder au test du caractère approprié du produit d’assurance, avec une motivation du conseil centrée sur la cohérence du produit avec les besoins du client. Quant au second niveau, la recommandation personnalisée, elle, impose des exigences renforcées avec la nécessité pour l’intermédiaire de démontrer, en procédant à une comparaison de plusieurs contrats, en quoi le contrat recommandé est le plus adapté au client. Cette obligation sous-entend que le distributeur de produits d’assurance connaît son client. Rien de nouveau concernant cette exigence de connaissance des clients : l’instruction de l’ACPR référencée sous le numéro 2013-R-01, qui recensait les questions à poser au potentiel souscripteur et la nécessité pour l’intermédiaire de les analyser jusqu’à l’établissement d’un profil, reste parfaitement d’actualité.

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Comment la DDA impacte-telle les modalités de rémunération ?

A. C.

La rémunération des intermédiaires d’assurance français qui pratiquent un système de commissions est toujours autorisé. Cependant, et comme nous l’avons indiqué ci-avant, les régulateurs ont à cœur de neutraliser tous les conflits d’intérêts qui peuvent survenir. Or le sujet des rémunérations peut constituer une source de conflits et tous les acteurs ont profité de ces derniers mois pour revoir leurs procédures et processus à cet égard, de manière à s’assurer que les systèmes en place ne généraient pas de conflits, quitte, pour certains, à être abandonnés. Au-delà d’une transparence accrue sur les coûts et frais du contrat, c’est donc bien sur les rémunérations que chacun s’est attardé. S’est ainsi posée la question des différences de taux de reversement de commissions au profit des intermédiaires en fonction des compagnies, des contrats, des sous-jacents investis…

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Surveillance et gouvernance des produits d’assurance : que prévoit la directive ?

A. C.

Il faut se référer au règlement délégué (UE) 2017/2358, qui complète sur ces aspects la directive en son article 24, puisqu’il « établit des règles régissant le maintien, l’application et la révision de dispositifs de surveillance et de gouvernance des produits pour les produits d’assurance et pour les adaptations significatives de produits d’assurance existants avant l’introduction de ces produits sur le marché ou leur distribution aux clients ainsi que des règles régissant les dispositifs de distribution de produits pour ces produits d’assurance ». C’est d’ailleurs à ce règlement que l’ordonnance de transposition, traitant des principes généraux de la « surveillance des produits et exigences en matière de gouvernance » renvoie, y faisant référence dans le nouvel article L. 516-1 du Code des assurances. Il faudra donc que les concepteurs de produit d’assurance élaborent, appliquent et mettent à jour un processus de validation de chaque produits d’assurance, avant sa commercialisation ou sa distribution aux souscripteurs ou adhérents. On retrouve ici la notion de « marché cible », largement étudiée et analysée par les producteurs et les distributeurs de produits financiers, cette notion étant une grande nouveauté introduite par la directive « MIF 2 ». La gouvernance et la surveillance des produits (Product Oversight Governance – POG) est donc, comme pour MIF, l’un des aspects les plus innovants de la directive DDA. Il s’agit de responsabiliser les différents acteurs intervenants non seulement au niveau de la distribution des produits, mais encore et surtout lors de leur conception même, et de leur vie.

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Pouvez-vous nous rappeler ce que recouvre la notion de « marché cible » ?

A. C.

Les producteurs vont devoir déterminer un marché cible (et potentiellement un marché non cible, voire exclu), assis sur les caractéristiques du produit, son profil de risque, avec la prise en compte de son éventuelle complexité, des besoins et objectifs des clients. Sans se substituer au devoir de conseil des intermédiaires, la POG a pour vocation de le compléter et de le sécuriser, puisqu’elle intervient en amont et est destinée à guider le distributeur lors de son propre ciblage de clientèle pour laquelle « le produit peut être adéquat ». Ceci impose une réorganisation des processus et comités de lancement des nouveaux produits, que ce soit chez les concepteurs de ces produits, puisqu’ils devront disposer d’une gouvernance dédiée, avec des procédures documentées et des processus de revue et d’échanges d’informations avec les distributeurs, mais également pour ces derniers de mettre en place, de la même manière des comités de distribution au sein desquels les informations relatives aux marchés cibles devront être discutées et vérifiées. S’agissant du champ d’application de ces nouveaux principes, il est utile de rappeler que seuls les nouveaux produits, ou ceux qui sont modifiés de manière substantielle sont concernés.

Enfin, comme pour tous les sujets d’importance tenant à la protection des investisseurs, l’implication forte des instances dirigeantes est attendue, la présence de représentants de la direction étant dès lors probablement nécessaire au sein des comités déterminant ou examinant ces marchés cibles.

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Revenons aux distributeurs qui entrent dans le champ du texte.  La directive impose un certain niveau de qualification, et partant de  formation professionnelle. Quel est-il ?

A. C.

L’article L. 511-2 – II du Code des assurances renvoie à un décret pris en Conseil d’État pour préciser les attentes à cet égard. Pour rappel, cet article, dans son premier point, indique que « les distributeurs de produits d’assurance et de réassurance et leur personnel dont les activités consistent à fournir des recommandations sur des contrats d’assurance ou de réassurance, à présenter, à proposer ou à aider à conclure ces contrats ou à réaliser d’autres travaux préparatoires à leur conclusion possèdent, préalablement au commencement de leur activité, les connaissances et aptitudes appropriées leur permettant de mener à bien leurs missions et de satisfaire à leurs obligations de manière adéquate ». Il s’agit là de la transposition des exigences introduites par le considérant 32 de la directive et posées par son article 10. L’article R. 512-13-1 – I du Code des assurances issu du décret n° 2018-431 du 1er juin 2018 précise, quant à lui, que « la durée consacrée à la formation ou au développement professionnels continus mentionnés au II de l’article L. 511-2 ne peut être inférieure à quinze heures par an ». Si l’on sait, à la lecture de cet arrêté que cette formation peut être dispensée en présentiel ou à distance, organisée en une ou plusieurs séquences, consécutives ou non, on ignore encore la liste des compétences qui seront requises, l’arrêté du ministre chargé de l’Économie restant encore à paraître. Un point néanmoins semble être définitivement acquis : celui de l’agenda, puisqu’il apparaît aujourd’hui que ces formations pourront avoir lieu pour la première fois au cours de l’année 2019 et non, comme certains ont pu le craindre, avant la fin de l’année 2018, l’article R. 512-13-1 entrant en vigueur le 23 février 2019 seulement.

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Quelles sont les conséquences spécifiques de cette transposition sur les pratiques des banques privées ?

A. C.

La clientèle des banques privées va principalement être dirigée, compte tenu des montants de capitaux disponibles pour être investis, vers des contrats d’assurance multi-supports, permettant donc des investissements en unités de compte, dont les sous-jacents sont des instruments financiers divers, parfois qualifiés de complexes (c’est le cas de certains produits structurés). Les possibilités d’investissement offertes par ces contrats ont conduit l’ACPR à indiquer que les obligations de conseil des intermédiaires devaient être renforcées, conduisant ces derniers à retenir, dans leurs relations avec les souscripteurs potentiels, le service de recommandation personnalisée. Comme nous l’avons vu, ceci va imposer aux intermédiaires de s’organiser pour répondre à cette exigence, qui devra être clairement énoncée. Il faudra donc que l’intermédiaire dispose de moyens lui permettant de procéder à une sélection de plusieurs contrats pour, in fine, en recommander un qui soit, en fonction des exigences et besoins du souscripteur, le plus adéquat. L’ACPR a ainsi indiqué aux acteurs qu’une réflexion en amont sur la gamme de contrats disponibles et la qualité des dispositifs de maîtrise du risque devait être menée pour permettre une qualification juste du niveau de conseil annoncé et surtout, rendu aux clients.

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La protection instaurée par la DDA rappelle bien sûr celle des placements financiers par MIF 2. Les dispositifs sont-ils parfaitement convergents ?

A. C.

La convergence était nécessaire, sinon naturelle lorsque l’on évoque in fine des placements financiers, même réalisés sous différentes enveloppes et avec des spécificités propres. Le considérant n° 87 de la directive MIF 2 2014/65/UE indique les raisons de cette convergence : « les investissements qui impliquent des contrats d’assurance sont souvent proposés aux consommateurs comme des alternatives ou des substituts possibles aux instruments financiers relevant de la présente directive. Pour assurer la protection en toutes circonstances de la clientèle de détail, et assurer des conditions de concurrence égales entre des produits similaires, il importe que les produits d’investissements fondés sur l’assurance soient soumis à des exigences appropriées. Les exigences de la présente directive en matière de protection des investisseurs devraient donc s’appliquer de la même manière aux produits d’investissement vendus sous forme de contrats d’assurance ». La difficulté d’alignement de ces règlementations, notamment du fait de particularités qui subsistent, ne permet pas encore à l’établissement de bénéficier d’un corpus unique mais les principes communs conduisent les distributeurs soumis à ces différentes règlementations à adopter une approche consolidée et donc harmonisée.

LPA

Quels sont les points qui font encore débat ?

A. C.

La définition des marchés cibles par les producteurs de produits reste un point d’attention. En effet, s’il est clair que le principe sera probablement assis sur des définitions de marchés plutôt larges et homogènes, la question du périmètre de ces marchés et – par exemple – de l’intégration ou non à ces marchés des options de gestion, reste ouverte. Cette définition est très importante pour les distributeurs qui doivent sensibiliser leurs personnels, et surtout adapter et développer leurs outils informatiques permettant un juste ciblage de la clientèle concernée, dans des délais à présent très courts. Le format d’échanges de ces informations reste également en discussion, producteurs et distributeurs devant être capables, à cet égard, de disposer d’une grille parfaitement lisible et exploitable, ce qui nécessite alors des travaux menés en commun, et une entente parfaite.

LPA

Y-a-t-il d’autres sujets d’attention ?

A. C.

Les modalités de reporting des coûts et frais restent également un sujet d’attention. Les analyses à cet égard demeurent divergentes, notamment en ce qui concerne le degré de personnalisation de cette information, due aux souscripteurs. La « mifidisation » de ces principes est assez forte puisque sur un tel sujet de transparence, il sera difficile à un distributeur d’indiquer à son client, détenteur d’instruments financiers via un compte bancaire et souscripteurs d’unités de compte assises sur ces mêmes instruments via un contrat, que les informations qu’il lui donne ne sont pas accessibles. On voit là se dessiner les contours d’une pratique qui sera davantage le résultat d’une mise en concurrence que des textes eux-mêmes, la nécessité de cohérence forçant l’harmonisation pourtant contestée des règlementations.