« IFI : des incertitudes demeurent »

Publié le 30/04/2018

Exclusions, exonérations, mise en œuvre par les entreprises…, Jean-François Desbuquois, avocat chez Fidal livre son analyse sur le périmètre de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et ses difficultés d’application.

Les Petites Affiches

Est-il possible de mettre dès maintenant en place des stratégies IFI ?

Jean-François Desbuquois

Pour l’IFI 2018, il est évidemment trop tard puisque la consistance et l’évaluation du patrimoine imposable seront appréciées au 1er janvier 2018. La seule façon d’agir sur le montant de l’IFI de cette année passe par l’utilisation de la réduction d’impôt au titre des dons aux organismes sans but lucratif. En effet, l’ancienne réduction « ISF-DON » est inchangée, bien qu’elle figure désormais sous l’article 978 du Code général des impôts (CGI). Pour mémoire, les redevables peuvent imputer sur le montant de leur IFI jusqu’à 75 % de leurs versements dans la limite de 50 000 euros par an. Cette année exceptionnellement, les investisseurs particuliers qui auront réalisé des souscriptions au capital d’entreprises entre la dernière déclaration d’ISF 2017 et le 31 décembre 2017 pourront aussi imputer une dernière fois la réduction d’impôt « ISF-PME » sur leur IFI 2018.

LPA

Et pour l’année prochaine ?

J.-F.D.

À mon sens, il est encore trop tôt pour arrêter des stratégies qui peuvent être lourdes de conséquences, car la loi manque de précisions sur de nombreux points. Il paraît prudent d’attendre les commentaires de l’administration fiscale, en espérant qu’ils seront publiés avant la première date de dépôt des déclarations.

LPA

Quelles sont ces zones d’ombre ?

J.-F.D.

Elles sont nombreuses. Par exemple, pour les actifs imposables, sont soumis à l’IFI les biens de nature immobilière par référence au droit civil : immeubles bâtis ou non bâtis, droits portant sur ces immeubles. Mais certains biens sont moins faciles à qualifier. Quid des mobil-homes et des péniches amarrées ? Ayant initialement une nature mobilière peuvent-ils devenir immeubles par destination ? Cela ne paraît pas être le cas par exemple avec les péniches qui sont situées sur le domaine public fluvial. Ces situations de doute peuvent paraître limitées en nombre mais elles sont symptomatiques des nombreuses zones d’ombre que l’administration aura à éclaircir.

LPA

Et pour le passif est-ce plus simple ?

J.-F.D.

Non bien au contraire. Pour l’ISF, la règle était claire : tout le passif était en principe déductible sauf de très rares exceptions. Or pour l’IFI la règle est inversée. Les dettes ne sont plus déductibles que sous réserve de remplir de nombreuses conditions cumulatives. Et en plus, le législateur a introduit une série d’exceptions visant à neutraliser par avance un certain nombre d’hypothèses qu’il suspecte de pouvoir correspondre à des schémas d’optimisation. Au total neuf dispositifs anti-abus sont ainsi créés tant au niveau du passif personnel du redevable, que de celui des sociétés. Ces dispositifs présentent des conditions et des régimes différents les uns des autres et sont très complexes. Enfin, il existe actuellement une incertitude sur le point de savoir s’ils sont susceptibles de s’appliquer aux emprunts conclus avant l’entrée en vigueur de l’IFI. La question de la détermination du passif déductible va donc être très délicate lors de la première déclaration d’IFI.

LPA

Comment procéder pour savoir si on est concerné par l’IFI ?

J.-F.D.

Le champ de l’IFI est considérablement plus réduit que celui de l’ISF, tout en étant beaucoup plus complexe. Comme pour tout impôt, il faut commencer par examiner si le contribuable est dans son champ. Cela est plutôt simple lorsque les immeubles sont détenus en direct. Cela l’est beaucoup moins lorsqu’ils sont détenus à travers des structures interposées. Désormais, il faut retenir un principe de transparence des structures sociales quel que soit le nombre de degrés d’interposition. Toutes les sociétés sont visées et non plus seulement les sociétés à prépondérance immobilière. Cette notion devient inopérante pour l’IFI.

LPA

Quels sont les cas d’exclusion des parts et actions ?

J.-F.D.

Le législateur en a prévu quatre. Première exclusion, pour le petit actionnaire qui détient, avec son foyer fiscal, moins de 10 % du capital et des droits de vote d’une société opérationnelle. Ici, peu importe l’affectation de l’immeuble. Notons que, parmi les conditions, la société doit exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Surtout, l’article 966 du CGI vise les holding animatrices en qualifiant leur activité comme étant de nature commerciale (les sociétés qui, outre la gestion d’un portefeuille de participations, participent activement à la conduite de la politique de leur groupe et au contrôle de leurs filiales et rendent, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers). Deux autres cas d’exclusion permettent d’épargner les petits porteurs. Sont exclus du champ de l’IFI, les biens détenus par les OPC, lorsque le redevable et son foyer fiscal détiennent moins de 10 % des titres émis, et à condition que l’OPC soit composé à moins de 20 % d’actifs immobiliers taxables. De même pour les biens détenus par les SIIC lorsque le redevable et les membres de son foyer IFI détiennent moins de 5 % des titres émis.

LPA

Et lorsque l’actionnaire détient plus de 10 % ?

J.-F.D.

Des exclusions sont prévues pour les immeubles affectés à l’activité professionnelle de la société qui les détient, ainsi que ceux affectés à l’activité professionnelle d’une société dans un groupe lorsque l’activité de la société dans laquelle le redevable détient, directement ou indirectement, ses titres est opérationnelle. Ces exclusions ne concernent donc que les immeubles utilisés pour un usage professionnel et détenus directement ou indirectement par des sociétés opérationnelles, mais jamais ceux détenus par des personnes physiques,

LPA

Finalement, qu’en est-il des immeubles détenus par des contribuables pratiquant la location meublée ?

J.-F.D.

On a pu croire un temps que ces immeubles ou titres représentatifs de sociétés détenant des immeubles loués en meublés étaient exclus de l’IFI. En effet, la loi — l’article 966 du CGI— considère comme étant de nature commerciale les activités mentionnées aux articles 34 et 35 du CGI. Or l’article 35 bis 5 du CGI vise les « personnes qui donnent en location directe ou indirecte des locaux d’habitation meublés ». Mais comme est expressément exclu l’exercice par une société ou un organisme d’une activité de gestion de son propre patrimoine immobilier, la location meublée n’est donc finalement pas une activité éligible aux différents cas d’exclusion. Par conséquent, ces immeubles figurent bien dans le champ de l’IFI. Ils sont en revanche susceptibles d’être exonérés au titre des biens professionnels, s’ils remplissent les conditions prévues à cet effet.

LPA

L’exonération au titre des biens professionnels a-t-elle évolué de l’ISF à l’IFI ?

J.-F.D.

Très peu quant aux conditions à remplir. L’exonération des biens professionnels reste déterminée par l’activité du redevable lui-même. Il s’agit des biens affectés à l’activité principale du redevable ou d’un membre de son foyer fiscal. Précision importante : contrairement aux règles en vigueur pour l’ISF, les immeubles pourront bénéficier de l’exonération quel que soit le nombre de structures interposées entre le redevable et l’immeuble, tandis que la doctrine administrative antérieure limitait à un seul degré. En revanche, les effets de l’exonération changent, désormais ce n’est plus l’entreprise elle-même qui est exonérée, mais les immeubles qui lui sont loués. Au final, les exonérations permettent d’éliminer l’imposition sur certains immeubles qui ne sont pas couverts par les cas d’exclusion : sont concernés essentiellement les immeubles professionnels détenus personnellement par le redevable ou par une holding passive, ou ceux loués au sein d’un groupe au profit d’une filiale non contrôlée par la société opérationnelle de tête.

LPA

Comment les entreprises vont-elles s’organiser pour se conformer à l’IFI ?

J.-F.D.

Les sociétés vont devoir répondre aux besoins déclaratifs de leurs actionnaires. Elles doivent identifier leurs actifs potentiellement imposables à l’IFI, évaluer leur valeur, au regard des différentes chaînes de participation, des affectations, etc. Cela implique un travail d’évaluation et de reporting considérable pour les groupes de sociétés. Cependant, ce mécanisme est confronté à une limite concrète : on peut se demander si les entreprises étrangères vont comprendre et appliquer ces dispositions. D’ailleurs, la réforme a prévu une clause de non rehaussement en faveur du redevable de bonne foi qui démontre qu’il n’était pas en mesure de disposer des informations nécessaires à l’estimation de la fraction de la valeur des titres imposables qu’il détient dans des sociétés dont il n’a pas le contrôle. De même, le travail va s’avérer très complexe pour les compagnies d’assurance qui vont devoir retracer tous les actifs immobiliers entrant dans le champ de l’IFI, en cascade en présence de fonds qui détiennent des entreprises, lorsqu’ils servent d’unités de compte aux contrats d’assurance-vie.

LPA

L’ISF a-t-il complètement disparu ?

J.-F.D.

Non de façon étonnante, peut être pas tout à fait. Je pense aux pactes Dutreil (ancien article 885 I bis du CGI et au dispositif d’exonération partielle des mandataires et salariés ; ancien article 885 I quater du CGI). On estime que les contribuables qui les utilisaient représentaient un foyer ISF sur 10. Rappelons que ces dispositifs prévoyaient une exonération de 75 % de la valeur des titres détenus dans une entreprise, sous, entre autres conditions, celle pour le redevable de conserver les titres pendant six années. Quid des engagements de conservation qui ne sont pas arrivés à terme en 2018 ? La suppression de l’ISF libère-t-elle pour autant les actionnaires de leur engagement de conservation au regard du dispositif ? Sans doute pas. Autrement dit, la cession des titres avant la fin des six ans ferait encourir à leurs titulaires, la remise en cause des exonérations appliquées au titre de l’ISF pour les années passées. La prudence est donc de mise et invite à la conservation des titres tant que l’administration fiscale n’aura pas clairement affirmé que la disparition de l’ISF libère les redevables à compter du 1er janvier 2018.

LPA 30 Avr. 2018, n° 135k7, p.5

Référence : LPA 30 Avr. 2018, n° 135k7, p.5

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