L’activité de Tracfin s’intensifie
La cellule de renseignement créée dans le cadre de la lutte contre le blanchiment publie son rapport annuel d’activité. Le nombre de déclarations de soupçon continue à augmenter. En matière fiscale, les signalements globalisés se multiplient notamment en TVA et pour les avoirs à l’étranger.
Tracfin, la cellule dédiée à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT) a rendu publique son rapport d’activité 2023. Tracfin est le service de renseignement financier de Bercy, appartenant au premier cercle de la communauté du renseignement, placé sous l’autorité du ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et du ministre délégué chargé des Comptes publics. Il participe activement à la lutte contre la criminalité économique et financière, la lutte contre la fraude aux finances publiques et la défense des intérêts fondamentaux de la nation, notamment en matière de lutte contre le financement du terrorisme et les ingérences criminelles.
Un organisme de renseignement financier
Depuis 1997, la France s’est dotée d’une cellule administrative spécialisée, devenue un maillon essentiel de la lutte anti-blanchiment et de la lutte contre la fraude aux finances publiques et le financement du terrorisme, un organisme de renseignement financier baptisé Tracfin (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Rattaché au ministère de l’Action et des Comptes Publics, ce service à compétence nationale concourt au développement d’une économie saine en luttant contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Tracfin est chargé de recueillir, analyser et enrichir les déclarations de soupçons que les professionnels assujettis sont tenus, par la loi, de lui transmettre (banquiers, assureurs, conseil en investissement, avocats, notaires, huissiers, commissaires aux comptes, experts-comptables, commissaires-priseurs). La cellule n’est en revanche pas habilitée à recevoir et traiter les informations transmises par des particuliers. Ces déclarations concernent les sommes ou les opérations portant sur des sommes dont ils soupçonnent qu’elles puissent provenir d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement supérieure à un an, participer au financement du terrorisme ou provenir d’une fraude fiscale. Tracfin reçoit ces déclarations, les analyse, les enrichit puis les transmet principalement à l’autorité judiciaire et aux administrations partenaires, service de renseignements, administration des douanes, administration fiscale, organismes sociaux.
Compétent en matière de fraude fiscale
La lutte contre la fraude fiscale est entrée dans le périmètre de compétence de Tracfin en 2009. Depuis l’activité du service en la matière n’a pas cessé de croître. À l’origine de cette évolution, un volume croissant de déclarations de soupçon. Entre 2009 et 2019, la proportion de déclarations de soupçon visant de manière plus ou moins directe la fraude fiscale s’est régulièrement accrue pour atteindre environ 30 % du total des déclarations reçues par la cellule de renseignements soit plus de 30 000 déclarations de soupçon reçues en 2019. Les principales typologies de fraudes fiscales soupçonnées sont les suivantes : manipulation d’espèces, qu’il s’agisse de dépôt ou de versement, activité occulte et/ou minoration de chiffre d’affaires, revenus d’origine indéterminée, donation non déclarée, détention de compte ou d’avoirs à l’étranger, fraude fiscale impliquant des non-résidents, remboursement de bons anonymes, fraude à la TVA ou encore minoration IFS/IFI. Précisons que dans de nombreux cas, il peut y avoir combinaison de plusieurs soupçons au sein de la même déclaration, par exemple, un dépôt d’espèces cumulé avec une activité occulte. Il convient de noter que les enjeux financiers présumés sont très hétérogènes et que de nombreuses déclarations de soupçon, liées notamment à la manipulation d’espèces, sont de faible enjeu financier.
Une activité déclarative en forte hausse
Régi par le Code monétaire et financier, le service est habilité à recevoir différents types d’informations nécessitant une analyse du service : les déclarations de soupçon émanant des professionnels assujettis au dispositif LCB/FT, les informations transmises par les services de l’État et les informations en provenance des cellules de renseignement financier (CRF) étrangères. Les professions assujetties à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ont transmis à Tracfin 190 653 déclarations de soupçon en 2023, un nombre record de signalements, illustrant la forte mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés. Ce chiffre est en effet en hausse de 15 % par rapport à 2022. Le nombre de signalements relatifs à des opérations financières suspectes a été multiplié par 7 en dix ans. Avec 94 % du total des déclarations de soupçon reçues en 2023, le secteur financier demeure le principal contributeur. Les banques et établissements de crédit, ainsi que les établissements de paiement, constituent les principaux déclarants. Cependant, l’activité déclarative des établissements de monnaie électronique (EME) et des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) est cette année en très forte hausse, avec respectivement + 146 % et + 339 % d’augmentation par rapport à l’année 2022.
Vers une nouvelle version du formulaire de déclaration de soupçon
Cette mobilisation est en adéquation avec le risque BC-FT très élevé identifié par l’Analyse nationale des risques (ANR) pour ces actifs. Pour le secteur non-financier, le volume de déclarations de soupçon est en hausse de 8 % par rapport à 2022. Trois professions en particulier : les notaires, les casinos et clubs de jeux ainsi que les opérateurs de jeux, sont notamment à l’origine de cet accroissement de la pratique déclarative. Outre les déclarations de soupçons des professionnels du secteur privé, Tracfin reçoit et traite également des informations de soupçon transmises par les différents organismes publics ou chargés d’une mission de service public – notamment les administrations d’État, les collectivités territoriales, les établissements publics – mais aussi par les autorités de contrôle et les ordres professionnels dans le cadre de leur mission. Celles-ci sont en hausse de 4 % en 2023. Les informations reçues en provenance des cellules de renseignement financier étrangères sont en baisse de 9 % par rapport à 2022. En 2023, Tracfin a commencé à déployer une nouvelle version du formulaire de déclaration de soupçon qui était resté inchangé depuis sa création en 2012. Ce formulaire, adapté aux spécificités des différents professionnels, doit permettre d’obtenir des données mieux structurées afin de mieux traiter le flux grandissant d’informations reçues et de mener plus efficacement les missions d’analyse stratégique et opérationnelle.
Le travail d’investigation des équipes de Tracfin
Tracfin recueille, analyse, enrichit et exploite les renseignements reçus. Pour cela, le service peut mettre en œuvre les outils et prérogatives que le législateur lui a confiés et qui lui permettent d’accroître la portée opérationnelle de ses investigations, droits d’opposition, appel à vigilance, droit de communication, consultation de bases de données, technique de renseignement, ou encore échange d’information avec les CRF étrangères. En fonction de la finalité poursuivie, Tracfin transmet ensuite le résultat de ses investigations soit à l’autorité judiciaire, soit aux administrations partenaires, en particulier au sein des ministères économiques et des financiers ou des services de renseignements, soit à ses homologues étrangers. Ces investigations ont permis à Tracfin de transmettre plus de 8 600 informations à ses différents partenaires en 2023. Sous forme de notes d’analyses individualisées ou de signalements globalisés, le service a ainsi transmis 4 420 informations aux services de lutte contre la fraude fiscale, sociale et douanière, 1 688 informations aux services de renseignement et 561 informations à l’autorité judiciaire. Le flux est aussi constitué d’informations adressées à d’autres administrations (1 162) et aux cellules de renseignement financier étrangères (846).
Augmentation de l’utilisation du droit d’opposition
Ainsi l’année 2023 a été marquée par une forte hausse de l’utilisation du droit dont le service dispose pour s’opposer à la réalisation d’une opération financière suspecte (132 en 2023, contre 124 entre 2017 et 2022). Cette évolution s’inscrit dans le cadre d’une nouvelle stratégie mise en œuvre afin de lutter plus efficacement contre les sociétés éphémères, vecteurs de blanchiment et de fraudes multiples, en permettant la saisie pénale de leurs avoirs. En 2023, Tracfin a émis plus de droit d’opposition qu’au cours des six dernières années réunies. Le droit d’opposition constitue une prérogative spécifique de Tracfin qui lui permet d’agir directement sur certains flux financiers. Elle dispose de ce droit depuis 1990. Cette prérogative essentielle lui permet de reporter la réalisation d’une opération financière portée à sa connaissance. Ce droit qui a été porté à une durée de dix jours en 2017 peut être prorogé par le président du tribunal de Paris sur requête de Trafin ou du procureur de la République. Ce droit est exercé en étroite collaboration avec les autorités judiciaires, afin de sécuriser les saisies pénales à venir sur des fonds suspectés d’être le produit d’une infraction.
Forte progression des signalements globalisés
En matière de lutte contre la fraude fiscale, en complément des notes usuelles portant sur tout type de fraude fiscale (escroquerie à la TVA, évasion fiscale, escroquerie à un dispositif d’exonération fiscale, fausse domiciliation fiscale à l’étranger, etc.) transmise à l’autorité judiciaire ou à la DGFiP, les signalements globalisés expérimentés en 2023 ont notamment permis à la DGFiP de suspendre le numéro de TVA à l’importation de centaines de sociétés qui avaient été créées par le truchement de faux documents. Tracfin a également transmis en masse des informations relatives à des personnes physiques ou morales n’ayant pas déclaré leurs avoirs à l’étranger à l’administration fiscale. Afin d’accroître le volume de signalements globalisés pertinents, des développements sont en cours, en lien avec les services de data science de la DGFiP.
De nouveaux risques à anticiper
Outre les risques récurrents, Tracfin alerte sur de nouvelles tendances observées en matière de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme. À cet effet, son rapport présente une série de 17 cas typologiques et de critères d’alerte. Organisé en abécédaire, il vise ainsi à donner une image, non exhaustive, de l’actualité de la criminalité financière et de ses circuits. Tracfin a notamment voulu souligner les risques spécifiques liés à différents secteurs économiques, mais aussi à certaines zones géographiques, comme les territoires ultramarins. De la même manière, l’importante contribution de la France au budget de l’Union européenne oblige à prêter attention aux risques de fraude liés à l’allocation des fonds communautaires. En outre, le contexte géopolitique actuel et l’émergence de nouvelles technologies, telle que la blockchain, sont autant d’éléments à prendre en compte par les déclarants pour la bonne compréhension des enjeux de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT).
Référence : AJU014v2