L’attribution de la majoration de quotient familial pour un enfant mineur en résidence alternée

Publié le 31/01/2019

Le Conseil constitutionnel vient de se prononcer sur l’attribution de la majoration de quotient familial pour un enfant mineur en résidence alternée. La présomption de répartition équitable entre les parents posée par la règle fiscale ne s’applique qu’en l’absence de décision ou d’accord préalable, comme l’a précisé le Conseil d’État.

Dans une décision de conformité, le Conseil constitutionnel (Cons. const. 14 déc. 2018, n° 2018-753 QPC du 14 déc. 2018.) se prononce sur la traduction fiscale de la charge des enfants en cas de séparation. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er octobre 2018 par le Conseil d’État (CE, 1 oct. 2018, n° 421941), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 193 ter du Code général des impôts (CGI), dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 de finances rectificative pour 2002, et du cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 194 du CGI. Cette disposition règle l’application du mécanisme du quotient familial en cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents. Dans ce cas de figure et sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l’accord entre les parents, les enfants mineurs sont présumés être à la charge égale de l’un et de l’autre parent. Environ 8 millions de foyers avec enfants à charge bénéficient du mécanisme du quotient familial. D’après les chiffres du ministère de la Justice, près d’un enfant de divorcés sur cinq est en garde alternée. Ce chiffre a fortement progressé ces dernières années, notamment depuis 2002 où ce type de mode de garde a été réglementé avec le vote de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale. C’est dire l’importance pratique de la présente décision !

La notion de quotient familial

Le quotient familial désigne le nombre de parts affecté à chaque foyer fiscal pour le calcul de l’impôt sur le revenu. Son objectif consiste à ajuster le montant de l’impôt aux capacités contributives de chaque foyer (situation, charges de famille). Le quotient familial est un système qui divise le revenu imposable en un certain nombre de parts. Fixé en fonction de la situation de famille du contribuable et du nombre de personnes à charge, le quotient familial permet de proportionner le montant de l’impôt afférent à un revenu donné en fonction du nombre de personne qui vivent sur ce revenu. Il est calculé chaque année pour chaque foyer fiscal par l’administration fiscale sur la base des données transmises dans la déclaration annuelle de revenus. Les célibataires, divorcés ou veufs, sont imposés sur la base d’une part de quotient familial. Les contribuables mariés ou pacsés ont droit à 2 parts de quotient familial. En cas d’enfants à charge, tous peuvent bénéficier de parts supplémentaires de quotient familial. Pour le calcul de l’impôt sur le revenu, l’administration fiscale divise le montant de votre revenu imposable par votre nombre de parts de quotient familial. Le résultat ainsi obtenu est ensuite soumis au barème de l’impôt et multiplié par le nombre de parts de votre foyer fiscal pour obtenir le montant de l’impôt sur le revenu dû. Ainsi l’application du quotient familial permet d’atténuer la progressivité de l’impôt sur le revenu. Les majorations de quotient familial (demi-parts, quarts de part en cas de résidence alternée s’ajoutant à 1 ou 2 parts selon la situation personnelle du contribuable) peuvent faire l’objet d’un plafonnement afin de limiter l’avantage fiscal procuré par le système du quotient familial. Le plafond de réduction d’impôt lié au quotient familial est limité à 1 527 € par demi-part supplémentaire et 764 € par chaque quart de part supplémentaire.

Une présomption qui peut être écartée

La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 194 du Code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007. L’article 193 ter du Code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 30 décembre 2002, prévoit qu’à défaut de dispositions spécifiques, les enfants ou les personnes à charge s’entendent de ceux dont le contribuable assume la charge d’entretien à titre exclusif ou principal, nonobstant le versement ou la perception d’une pension alimentaire pour l’entretien desdits enfants. Le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 194 du CGI, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 décembre 2007, prévoit, quant à lui, qu’en cas de résidence alternée au domicile de chacun des parents et sauf disposition contraire dans la convention homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l’accord entre les parents, les enfants mineurs sont réputés être à la charge égale de l’un et de l’autre parent. Cette présomption peut être écartée s’il est justifié que l’un d’entre eux assume la charge principale des enfants.

Cette présomption peut être écartée s’il est justifié que l’un d’entre eux assume la charge principale des enfants (CE, 28 déc. 2016, n° 393214). Pour le requérant, ces dispositions institueraient une différence de traitement entre les contribuables accueillant leur enfant mineur en résidence alternée et contribuant, en sus, à la prise en charge de ses besoins lorsqu’il réside chez l’autre parent. En effet, elles empêcheraient, dans un tel cas, qu’il soit tenu compte du versement d’une pension alimentaire pour écarter la présomption de charge égale instituée par la loi et obtenir l’attribution de l’intégralité de la majoration de quotient familial à laquelle l’enfant ouvre droit. Elles traiteraient donc différemment les parents suivant que leur participation à la charge d’entretien de l’enfant est effectuée sous la forme d’une pension alimentaire ou d’une contribution n’en ayant pas le caractère. Cette différence de traitement serait aggravée du fait de l’absence de déductibilité de la pension alimentaire pour la détermination du revenu imposable. Il en résulterait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

Une atteinte au principe d’égalité ?

Selon l’article 6 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Ce principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Selon l’article 13 de la déclaration de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

La question prioritaire de constitutionnalité porte sur la seconde phrase du cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 194 du Code général des impôts. L’article 194 du Code général des impôts détermine le nombre de parts de quotient familial à prendre en considération, pour la division du revenu imposable, en fonction de la situation et des charges de famille du contribuable. En vertu de la première phrase du cinquième alinéa de son paragraphe I, l’enfant mineur en résidence alternée au domicile de chacun de ses parents séparés ou divorcés est, sauf disposition contraire, réputé être à la charge égale de l’un et l’autre. En ce cas, la majoration de quotient familial à laquelle l’enfant ouvre droit est attribuée pour moitié à chacun d’eux. Les dispositions contestées permettent d’écarter cette présomption si l’un des parents justifie assumer la charge principale de l’enfant. Il résulte de ces dispositions, telles qu’interprétées par le Conseil d’État en combinaison avec celles de l’article 193 ter, que cette preuve ne peut résulter du versement d’une pension alimentaire.

Une décision de conformité

Le Conseil constitutionnel n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé. En premier lieu, d’une part, l’attribution à l’un des parents de la majoration de quotient familial vise à tenir compte du fait qu’il assume la charge principale de l’enfant en s’acquittant directement des dépenses nécessaires à son entretien. La fixation d’une pension alimentaire à la charge de l’un des parents a pour objet d’équilibrer les contributions des parents à l’éducation et à l’entretien de l’enfant. Cette pension alimentaire tient compte des besoins de ce dernier au regard des ressources de ses deux parents. En excluant cette pension alimentaire pour apprécier si l’un des parents assume la charge principale de l’enfant, le législateur a entendu tenir compte de ce que cette pension opère un transfert de revenus dans le but de permettre au parent qui la reçoit de faire face aux besoins de l’enfant pour la charge qui lui incombe. D’autre part, l’attribution de cette majoration de quotient familial à parts égales entre les parents, séparés ou divorcés, d’un enfant en résidence alternée, résulte du fait qu’ils sont réputés s’acquitter à parts égales des dépenses liées à son entretien. Dès lors, en excluant également dans ce cas la prise en compte de la pension alimentaire versée par l’un des parents pour rapporter la preuve qu’il assume la charge principale de l’enfant, le législateur s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi. En second lieu, d’une part, si le parent d’un enfant en résidence alternée ne peut pas déduire de ses revenus imposables la pension alimentaire qu’il verse, il bénéficie en tout état de cause de la moitié de la majoration de quotient familial. D’autre part, la présomption de prise en charge à parts égales peut être renversée sur le fondement des dépenses, autres que celles résultant de la pension alimentaire, acquittées pour l’entretien de l’enfant. Enfin, la convention de divorce homologuée par le juge, la décision judiciaire ou, le cas échéant, l’accord entre les parents peuvent retenir une autre répartition que, celle, de principe, retenue par la loi. Les dispositions contestées n’entraînent donc pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques. Il en résulte que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques doit être écarté. Il en va de même de celui tiré du principe d’égalité devant la loi. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la constitution garantit, doivent donc être déclarées conformes à la constitution.