« Le transfert du RSA aux départements a été un piège financier »
Les prestations sociales, et notamment le revenu de solidarité active (RSA) pèsent fortement sur les finances des départements les plus en difficulté. Depuis plusieurs mois, Stéphane Troussel, le président (PS) du département de la Seine-Saint-Denis mène campagne pour que le financement du RSA soit renationalisé. Des discussions avec le Gouvernement sont en cours.
Les Petites Affiches – Vous dénoncez le fait que les prestations de solidarité soient à la charge des départements, et non à celle de l’État. Comment en est-on arrivé à cette situation ?
Stéphane Troussel – Depuis 2004 et les lois Raffarin de décentralisation, les départements assument à la place de l’État le financement des trois principales allocations de solidarité : l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA), la prestation de compensation du handicap (PCH) et le revenu de solidarité active (RSA). Ce transfert s’est avéré être un piège financier dramatique pour les départements. La compensation annoncée à l’euro près est finalement très dégradée : on est en moyenne nationale à 60 % de compensation de l’État aux départements. En ce qui concerne la Seine-Saint-Denis, la compensation est encore inférieure, de l’ordre de 56 ou 57 %. Ce différentiel s’explique par l’augmentation continue du nombre de bénéficiaires du RSA depuis la crise de 2008. La situation continue de s’aggraver. Entre 2014 et 2015, le nombre de bénéficiaires du RSA a augmenté de 7 %. Cette hausse s’est poursuivie fin 2015 et a été très forte début 2016 aussi. En Seine-Saint-Denis, il y a 30 ou 35 millions d’euros supplémentaires à ajouter au budget de 2016 du département pour le seul financement du RSA.
LPA – Vous plaidez donc pour la renationalisation… comment réagit le Gouvernement ?
S. T. – De 2004 à 2012, les gouvernements de droite qui se sont succédé ont nié le problème : il n’y avait aucune discussion possible. Depuis 2012 et l’arrivée des socialistes au pouvoir, le problème est enfin reconnu et pris en considération. François Hollande ayant été lui-même président de département, il comprend nos difficultés. Des discussions sont ouvertes avec le Gouvernement. En juillet 2013, une revalorisation de la compensation allouée aux départements a été consentie par le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault. C’était un premier pas, mais il s’agissait d’une mesure conjoncturelle. Nous avions prévenu que si le nombre de bénéficiaires du RSA continuait d’augmenter, cela ne suffirait pas, et que seule une mesure structurelle, la renationalisation du RSA, permettrait de régler le problème. L’idée fait son chemin. Fin 2015, le Gouvernement a alloué une aide d’urgence à dix départements, dont la Seine-Saint-Denis, pour compenser les dépenses engagées. Le Gouvernement a également manifesté sa volonté d’avoir une discussion sur la renationalisation. Mais il reste à en définir les modalités, le financement…
LPA – Il y a donc une prise de conscience…
S. T. – Oui, mais elle est insuffisante. Des discussions ont été ouvertes entre les représentants de l’association des départements de France (ADF) et Manuel Valls. Ils sont tombés d’accord sur la nécessité de renationaliser le RSA en janvier 2017. Pour le reste, les discussions sont actuellement au point mort, et cela pas tant à cause du Gouvernement, qui semble prêt à avancer, que des divisions au sein de l’ADF, désormais dominée par la droite. Or, la majorité de droite est divisée entre une droite républicaine, favorable à la renationalisation, et une droite ultra-libérale qui veut profiter des discussions pour tordre le cou à la solidarité nationale. Certains présidents de départements veulent ainsi territorialiser le RSA, et en remettre en cause les principes fondamentaux. Cela donnerait un RSA conditionné dans le Haut-Rhin, un RSA à montant variable dans la Creuse… L’ADF ne parvient pas à parler d’une seule voix et cela complique les négociations.
LPA – On vous a beaucoup entendu dans les médias sur cette question. Ce problème est-il plus aigu en Seine-Saint-Denis qu’ailleurs ?
S. T. – Les départements où la crise est la plus forte sont évidemment soumis plus que les autres au problème de financement du RSA. Il existe ainsi de fortes disparités en Ile-de-France. Prenez les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis, deux départements qui comptent environ un million et demi d’habitants. Le nombre d’allocataires est quasiment deux fois plus élevé en Seine-Saint-Denis que dans les Hauts-de-Seine. La Seine-Saint-Denis compte 100 000 bénéficiaires du RSA et les Hauts-de-Seine, moitié moins. Par conséquent, la non-compensation a des effets plus douloureux en Seine-Saint-Denis. Je dois chercher le « reste à charge » dans le budget du département. Les présidents des conseils généraux ne décident pas des critères d’éligibilité au RSA, c’est une allocation nationale. Elle doit être payée par l’État. La situation actuelle aggrave les inégalités territoriales.
LPA – Dans quelle mesure le RSA pèse-t-il sur le budget du département ?
S. T. – J’ai décidé cette année de préserver le budget du département, et de continuer à investir pour préparer l’avenir. Lors de l’adoption du budget primitif de 2016, nous avons inscrit uniquement les sommes allouées au RSA en 2015, soit 445 millions d’euros, sans chiffrer les dépenses supplémentaires à prévoir du fait de la hausse du nombre d’allocataires. Nous avons fait cela alors même que les derniers mois de 2015 laissent à penser que les dépenses liées au RSA vont augmenter en 2016. Je ne prendrai pas les allocataires du RSA en otage, mais je mène bataille pour obtenir une renationalisation au juste prix. Nous gageons que ces sommes seront prises en charge par l’État, qui s’engage à renationaliser et à prendre des mesures transitoires pour l’année 2016. On ne rajoute rien et on attend le résultat des discussions. Nous attendrons donc la fin du mois de juin, date où une nouvelle réunion avec le Gouvernement doit avoir lieu, pour ajuster ou non les inscriptions budgétaires relatives au RSA. La renationalisation n’est pas totale. Ce que nous avons dû consacrer depuis des années aux prestations de solidarité est perdu. Mais par contre il ne faut plus en rajouter.
LPA – Quels sont les axes budgétaires pour l’année 2016 ?
S. T. – Malgré ce budget très contraint, nous prévoyons une hausse de l’investissement de 5 % en 2016, pour la scolarité, la petite enfance, les transports… Nous avons un département jeune, dans lequel il faudrait pratiquement construire un collège à chaque rentrée scolaire. Nous voulons augmenter l’aide à la rentrée scolaire, et avons mis en place le « chèque réussite » : dès septembre prochain, 200 euros seront versés à chaque élève qui entre en sixième dans un collège public de la Seine-Saint-Denis. Nous prévoyons aussi, d’ici 2020, d’ouvrir huit nouveaux collèges et de procéder à 80 rénovations lourdes de collèges. Cela représente 640 millions d’euros pour la période 2016-2020. Nous avons aussi budgétisé le soutien à des opérations de transports : nous investissons pour prolonger une ligne de métro et pour créer des tramways, alors même que cela n’entre pas dans nos compétences. La Seine-Saint-Denis est un département jeune, amené à se transformer. Nous avons besoin pour cela de toutes nos capacités budgétaires.
LPA – Les habitants de la Seine-Saint-Denis sont-ils mis à contribution pour compenser ce manque de financement du RSA ?
S. T. – En effet, car j’ai été contraint de procéder à des hausses d’impôts pour équilibrer mon budget : la taxe foncière sur le bâti augmentera donc de 9,5 %. C’est une hausse raisonnable par rapport à d’autres départements : malgré ces difficultés, la Seine-Saint-Denis augmentera moins les impôts locaux que les Yvelines ou le Val-d’Oise. C’est une injustice supplémentaire à l’échelle de l’Île-de-France. Aujourd’hui, les habitants de la Seine-Saint-Denis payent plus que ceux des Hauts-de-Seine pour le RSA.