Les QPC fiscales de l’automne (1/2)

Publié le 29/12/2017

Le Conseil constitutionnel a censuré deux dispositifs fiscaux : le régime de sanctions des contrats de capitalisation souscrits à l’étranger et non déclarés en vigueur en 2012 et les conditions d’exonération de l’indemnité compensatrice de fin de mandat de l’agent d’assurance.

La matière fiscale continue de nourrir les questions prioritaires de constitutionnalité. Après avoir statué sur la contribution additionnelle de 3 % (v. F. Perrotin :  » revenus distribués : la censure du Conseil constitutionnel », LPA du 20 nov. 2017, n°130s0), le Conseil constitutionnel a poursuivi son œuvre de contrôle du Code général des impôts (CGI). Focus sur trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) qui concernent notamment le secteur de l’assurance.

Agent d’assurance : indemnité compensatrice de cessation de mandat

Dans une QPC du 19 octobre dernier, le Conseil constitutionnel s’est penché sur les conditions entourant l’exonération de l’indemnité perçue par l’agent d’assurance lorsque son mandant prend fin (Cons. const., 19 oct. 2017, n° 2017-663 QPC). En vertu du paragraphe V de l’article 151 septies A du CGI, l’indemnité compensatrice versée à un agent général d’assurances exerçant à titre individuel lors de la cessation de son mandat, par la compagnie qu’il représente, peut être exonérée sous réserve que l’activité soit « intégralement poursuivie par un nouvel agent général d’assurances exerçant à titre individuel et dans le délai d’un an ». Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité portait sur les mots « par un nouvel agent général d’assurances exerçant à titre individuel ».

Pour les requérants ces dispositions méconnaissent les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques car l’exonération est subordonnée à la poursuite de l’activité par un nouvel agent général d’assurances exerçant à titre individuel. Pour eux, cette condition ne constitue pas un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi par le législateur.

De plus, elle créée une différence de traitement injustifiée entre l’agent général dont l’activité est reprise par un nouvel agent exerçant à titre individuel et celui dont l’activité est reprise par plusieurs agents ou par un seul agent exerçant sous forme sociétaire. 

Le Conseil constitutionnel a rappelé les conditions de versement de l’indemnité compensatrice de cessation de mandat perçue par l’agent général d’assurance. Lors de la cessation de son activité, celui-ci peut en effet procéder à la cession de gré à gré de cette activité, sous réserve de l’agrément de la compagnie d’assurances qu’il représente. À défaut d’une telle cession, lorsque la compagnie d’assurances refuse cet agrément, elle doit lui verser une indemnité compensatrice de cessation de mandat.

Sur le plan fiscal, le paragraphe V de l’article 151 septies A du CGI pose les conditions de l’exonération de l’impôt sur le revenu à raison de l’indemnité ainsi versée à l’agent général faisant valoir ses droits à la retraite, lorsqu’il exerçait son activité à titre individuel. 

Le législateur, en prévoyant que l’indemnité compensatrice versée à l’occasion de la cessation d’activité d’un agent général d’assurances faisant valoir ses droits à la retraite bénéficie d’un régime d’exonération, a entendu favoriser la poursuite de l’activité exercée. 

Toutefois, le Conseil constitutionnel a reconnu que le bénéfice de l’exonération dépend d’une condition que le contribuable ne maîtrise pas. En effet, il n’y a pas de lien entre la poursuite de l’activité d’agent général d’assurances et la forme juridique dans laquelle elle s’exerce. D’autre part, l’indemnité compensatrice n’est versée qu’en l’absence de cession de gré à gré par l’agent général, situation dans laquelle il n’est pas en mesure de choisir son successeur.

« Dès lors, en conditionnant l’exonération d’impôt sur le revenu à raison de l’indemnité compensatrice à la reprise de l’activité par un nouvel agent général d’assurances exerçant à titre individuel, le législateur ne s’est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé. Par conséquent, les dispositions contestées méconnaissent le principe d’égalité devant les charges publiques ». Ces dispositions sont donc jugées contraires à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a ensuite précisé les effets dans le temps de cette déclaration d’inconstitutionnalité. «  En l’espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date ».

Rappelons que le Conseil avait déjà censuré en partie ce dispositif d’exonération dans une QPC de 2016 (Cons. const., 14 oct. 2016, n° 2016-587 QPC). Dans cette précédente affaire, c’est la condition d’exercice par l’agent repreneur « dans les mêmes locaux », qui figurait au c) du 1 du paragraphe V de l’article 151 septies A du CGI qui avait été déclaré inconstitutionnelle.

Assurance-vie : constitutionnalité des droits de mutation

Saisi le 6 juillet 2017 par la Cour de cassation (Cass. com., 4 juill. 2017, n° 17-40037) d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le paragraphe I de l’article 757 B du CGI, le Conseil constitutionnel a jugé ce texte conforme à la Constitution dans sa décision n° 2017-658 QPC du 3 octobre 2017 (Cons. const., 3 oct. 2017, n° 2017-658 QPC). La question portait sur l’assujettissement aux droits de mutation à titre gratuit des sommes perçues par le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, à la suite du décès du souscripteur.

Par exception au régime fiscal de l’assurance vie, le paragraphe I de l’article 757 B du CGI prévoit que « les sommes, rentes ou valeurs quelconques dues directement ou indirectement par un assureur, à raison du décès de l’assuré, donnent ouverture aux droits de mutation par décès suivant le degré de parenté existant entre le bénéficiaire à titre gratuit et l’assuré à concurrence de la fraction des primes versées après l’âge de soixante-dix ans qui excède 30 500 euros ». 

Le requérant estimait que ce texte était contraire à l’égalité devant les charges publiques. Les retraits effectués par le souscripteur du contrat d’assurance-vie, postérieurement au versement des primes effectué après 70 ans ont pour conséquence d’inclure dans l’assiette des droits de mutation mis à la charge du bénéficiaire, des sommes dont il ne peut avoir eu la disposition, puisque l’assuré en a disposé avant son décès.

Le Conseil constitutionnel a écarté ce premier grief. Il a en effet estimé que même lorsque, compte tenu des retraits effectués par l’assuré avant son décès, le montant des primes versées par celui-ci après 70 ans est supérieur aux sommes versées au bénéficiaire de l’assurance-vie, l’assiette des droits de mutation est limitée à ces dernières. L’impôt porte donc sur un revenu dont le bénéficiaire dispose effectivement. 

L’autre argument visait les facultés contributives du bénéficiaire. Son appréciation ne reposerait pas sur des critères objectifs et rationnels dans la mesure où, lorsque le montant des retraits est tel que les droits de mutation doivent être calculés sur les sommes versées au bénéficiaire et non sur le montant des primes versées par l’assuré après 70 ans, l’assiette de l’impôt ainsi retenue inclurait les produits des primes versées. 

Le Conseil constitutionnel a également écarté cet argument. Il a estimé que, « si le législateur a, d’une manière générale, soumis l’assurance-vie à un régime fiscal favorable, afin de promouvoir le recours à ce type d’épargne de long terme, les exceptions qui y sont apportées par les dispositions contestées visent à décourager le recours tardif à cet instrument d’épargne dans le but d’échapper à la fiscalité successorale. Compte tenu du but ainsi poursuivi, le législateur pouvait prévoir que l’impôt serait dû à raison du seul versement des primes après 70 ans, sans tenir compte des retraits effectués postérieurement à ce versement par l’assuré. De la même manière, il lui était loisible de soumettre aux droits de mutation les sommes versées au bénéficiaire, sans distinguer entre la fraction correspondant aux primes initialement versées par l’assuré et celle correspondant aux produits de ces primes. En adoptant les dispositions contestées, le législateur s’est donc fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé ».

Amende proportionnelle pour non déclaration des contrats de capitalisation étrangers

Le Conseil constitutionnel poursuit son œuvre de contrôle de l’amende proportionnelle pour défaut de déclaration des contrats de capitalisation souscrits à l’étranger, prévue par l’article 1766, alinéa 2 du CGI.

Dans une QPC en date du 27 octobre 2017 (Cons. const., 27 oct. 2017, n° 2017-667 QPC), le Conseil constitutionnel s’est penché sur le dispositif en vigueur en 2012. Dans sa rédaction résultant de la première loi de finances rectificative pour 2012 (L. n° 2012-354, 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012 : JORF n° 0064 du 15 mars 2012), l’article 1766, alinéa 2 du CGI avait aligné le régime des sanctions prévues pour défaut de déclaration d’un contrat d’assurance-vie souscrit à l’étranger sur celui des sanctions applicables en cas de non-respect de l’obligation de déclarer un compte bancaire détenu hors de France. Les personnes physiques ne se conformant pas à cette obligation de déclaration étaient passibles d’une amende de 25 % des versements effectués sur ces comptes ; le taux de l’amende était toutefois ramené à 5 % et 1 500 euros maximum lorsque le contribuable apportait la preuve que le Trésor n’avait subi aucun préjudice.

Quelques mois après son adoption, ce texte avait été modifié (L. n° 2012-958, 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 : JORF n° 0190 du 17 août 2012). L’amende spécifique pour les contrats d’assurance-vie non déclarés et souscrits dans un État ou territoire non coopératif (ETNC) dont le montant est de 10 000 euros par contrat était portée à 5 % de la valeur du ou des contrats d’assurance-vie ouverts à l’étranger non déclarés lorsque leur valeur totale dépasse 50 000 euros au 31 décembre de l’année au titre de laquelle la déclaration devait être faite, sans que cette sanction puisse être inférieure à 1 500 ou à 10 000 euros si le contrat a été souscrit dans un ETNC.

Une sanction manifestement disproportionnée

Le Conseil constitutionnel vient de déclarer contraire à la constitution le second alinéa de l’article 1766 du CGI, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 de finances rectificative pour 2012. 

Si le législateur a poursuivi l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, « toutefois, en prévoyant une amende dont le montant, non plafonné, est fixé en proportion de la valeur des contrats non déclarés, pour un simple manquement à une obligation déclarative, même lorsque les revenus n’ont pas été soustraits à l’impôt, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu’il a entendu réprimer ». Le principe de proportionnalité des peines était donc méconnu.

Cette décision peut être invoquée dans les instances jugées définitivement à cette date. 

Déjà, en 2016 (Cons. const., 22 juill. 2016, n° 2016-554 QPC), le Conseil constitutionnel avait jugé que l’amende proportionnelle était contraire à la constitution. L’amende était encourue même dans l’hypothèse où les sommes figurant sur ces comptes n’avaient pas été soustraites frauduleusement à l’impôt. Le Conseil avait jugé qu’en sanctionnant d’une telle amende proportionnelle un simple manquement à une obligation déclarative, le législateur avait instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu’il a entendu réprimer. 

Par la suite, la loi de finances rectificative pour 2016 (L. n° 2016-1918, 29 décembre 2016, de finances rectificative pour 2016 : JORF n° 0303 du 30 déc. 2016) avait réformé le régime des sanctions applicables. La non-déclaration de comptes bancaires, de contrats de capitalisation ou de trusts détenus à l’étranger, entraînait un régime unique de  majoration calculée sur les droits dus en cas de rectification, à l’exclusion de tout autre majoration ou amende forfaitaires. Cette majoration de 80 % figure désormais sous l’article 1729-0 A du CGI.

LPA 29 Déc. 2017, n° 131y5, p.4

Référence : LPA 29 Déc. 2017, n° 131y5, p.4

Plan
X