Quand informer le fisc peut vous rapporter de l’argent

Entre 2018 à 2022 le nombre des informateurs de Bercy a crû de 130 %, preuve du succès du nouveau dispositif des aviseurs fiscaux.
Le dispositif des aviseurs fiscaux permet à l’administration fiscale d’indemniser une personne étrangère aux administrations publiques, dans la mesure où elle estime que l’intérêt fiscal des informations fournies le justifie.
Une expérimentation pérennisée
Créé par l’article 109 de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 à titre expérimental pour deux ans, le dispositif général a été pérennisé par l’article 21 de la loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018. Il a ensuite été codifié à l’article L. 10-0 AC du Livre de procédures fiscales. Cette expérimentation a été votée à la suite de révélations concernant plusieurs affaires de fraude fiscale internationale de grande ampleur. Le dispositif a donc, à l’origine, été réservé à la fiscalité internationale, afin notamment de lutter contre des situations de fausse domiciliation fiscale d’une entreprise exploitée en France, de transfert de bénéfices à l’étranger, de non-déclaration de comptes bancaires ou de contrats d’assurance-vie ouverts ou souscrits à l’étranger ou de trusts. Le dispositif a été étendu, à titre expérimental, par l’article 175 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, à la TVA ainsi qu’à titre expérimental pour certains agissements, manquements ou manœuvres en infraction avec la législation fiscale, lorsque le montant estimé des droits éludés est supérieur à 100 000 euros. La loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 a prévu la prolongation de cette expérimentation de deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2023 avant que le dispositif ne soit pérennisé à titre définitif par l’article 123 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
Un mécanisme d’indemnisation
Le décret n° 2021-61 du 25 janvier 2021 autorise l’administration fiscale à indemniser les aviseurs fiscaux. Il abroge le décret n° 2017-601 du 21 avril 2017. La possibilité d’indemniser les aviseurs fiscaux ne constitue pas une spécificité française. Plusieurs grandes démocraties ont mis en place des dispositifs d’essence comparable, parfois très anciens. En France, l’indemnisation des aviseurs de l’administration fiscale a longtemps existé, mais reposait sur des bases juridiques peu assurées. La pratique était alors encadrée par des circulaires confidentielles et avait été partiellement codifiée. Le dispositif était principalement mis en œuvre par les directions déconcentrées, et les montants versés aux informateurs étaient faibles. Les résultats étaient donc limités et concernaient des dossiers de faible enjeu. Et la possibilité d’indemniser les aviseurs avait été supprimée en 2014. La décision d’attribution de l’indemnité est prise après examen par la DNEF du rôle de l’aviseur et de l’intérêt fiscal, pour l’État, des informations transmises.
Le mécanisme mis en pratique
Au sein de la Direction Nationale des Enquêtes Fiscales (DNEF), c’est le service des investigations élargies (SIE) qui est le seul service compétent pour assurer le traitement des demandes, car la sensibilité des situations et des informations pouvant être transmises à l’administration fiscale, ainsi que la complexité des fraudes en question, nécessitent une formation et une approche spécifiques. Les futurs aviseurs prennent contact avec la DNEF, parfois directement, parfois par le biais d’une direction locale, comme une brigade de contrôle ou de recherche ou un service du contrôle fiscal, ou de l’administration centrale, voire d’une administration autre que la DGFiP. Les effectifs du SIE sont restreints. Cette configuration limite le flux de demandes pouvant être traitées. Ce choix est assumé et s’explique par la volonté de « limiter le nombre de demandes non pertinentes ». La DGFiP a donc pris le parti de « garder confidentiel l’accès au SIE » contrairement à « certaines pratiques au Royaume-Uni ou au Canada où les contribuables peuvent déposer leurs dénonciations en ligne », constate la Cour des comptes dans son rapport sur la DNEF daté du 28 juin 2024. Dans les faits, les aviseurs utilisent donc tous les canaux de communications (appels téléphoniques, courriels, courriers, déplacement physique) pour contacter la DNEF. Conjointes en conflit, frères et sœurs qui ne s’apprécient pas, comptables qui décident de plus cautionner les pratiques frauduleuses de son client, l’aviseur peut se trouver dans le cercle proche des contribuables concernés. C’est pourquoi la notion d’anonymat est au cœur du dispositif. L’administration fiscale garantit l’anonymat de l’informateur. Et l’organisation du dispositif vise à assurer la confidentialité des échanges et l’anonymat des aviseurs, puisque très peu d’agents ont connaissance de l’identité de la source, en pratique seuls les agents traitants du SIE, ainsi que le directeur de la DNEF.
Des contrôles préliminaires
Les potentiels aviseurs « peuvent également avoir recours à un avocat pour les représenter ». Cependant il ressort des travaux de la première mission d’information, coordonnée par Christine Pires Beaune, députée socialiste et membre de la Commission des finances (A.N. Rapport d’information n° 1991, du 5 juin 2019), que « la mise en relation indirecte, par le biais d’un tiers, peut freiner le déroulement de la procédure, et que, en tout état de cause, même si un aviseur se fait représenter ou conseiller par un avocat, il aura l’obligation de dévoiler son identité avant d’envisager toute discussion portant sur l’indemnisation ». Dès les premiers échanges, le SIE de la DNEF contrôle si la fraude présumée entre bien dans le périmètre du dispositif, notamment au regard du plafond de 100 000 euros. Les agents du SIE effectuent ensuite une première vérification des informations transmises, pour en évaluer la qualité, en lien avec une autre division de la DNEF. « Bien que cette phase se déroule généralement sans difficultés, l’administration a relevé des cas de comportements difficiles à gérer pour les agents du SIE, voire dangereux, certaines sources étant allées jusqu’à intimider et menacer les agents, constate la mission d’information. Une personne, qui avait transmis à l’administration des informations et souhaitait être indemnisée, et qui avait harcelé et proféré des menaces à l’encontre des agents, a ainsi récemment été condamnée à une peine de prison ferme ».
L’exploitation de l’information fiscale
La vérification rapide des informations transmises par le SIE, avant que les autres services en charge du contrôle fiscal ne réalisent des contrôles plus approfondis permet de concentrer les efforts des services en charge du contrôle fiscal sur les fraudes les plus graves, souligne la Cour des comptes. Il permet ainsi de sécuriser la procédure pour prémunir l’administration fiscale du risque, non négligeable, de manipulation ou d’instrumentalisation, par des acteurs privés ou par des puissances étrangères, et, in fine, protéger l’ensemble des contribuables du risque de dénonciation abusive, précisent les sages de la rue de Montpensier. Si cette première phase est concluante, la suite de l’enquête est alors confiée à un autre service de la DNEF, une brigade nationale d’investigation, afin de conduire une analyse approfondie des éléments communiqués par l’aviseur. Des opérations de contrôle fiscal sont alors menées, par la DNEF, ou par un autre service vérificateur. Au cours de cette phase, les services vérificateurs non seulement n’ont pas connaissance de l’identité de l’aviseur étant à l’origine du dossier, mais n’ont pas non plus connaissance du fait que le dossier avait été ouvert suite aux informations transmises par un aviseur. Les résultats des opérations de contrôle sont ensuite remontés à la DNEF, afin qu’ils soient pris en compte dans le processus d’indemnisation.
Le calcul de l’indemnisation
La troisième phase, celle d’indemnisation n’intervient qu’à l’issue des opérations de contrôle ayant permis de corroborer les renseignements fournis. Aucun barème ne fixe le montant de l’indemnisation versée aux aviseurs, qui est fonction des montants estimés des impôts éludés. L’indemnité est à la discrétion de l’administration fiscale. Son montant n’est ni forfaitaire, ni strictement proportionnel au montant des droits éludés. L’indemnité peut, le cas échéant, être échelonnée au fur et à mesure des recouvrements lorsque la qualité des informations le justifie, notamment lorsque les premières affaires mises en contrôle ont conduit à un recouvrement substantiel. Si aucun texte législatif ou réglementaire ne fixe de plafond à cette indemnité, elle est en pratique limitée à un million d’euros par affaire, mais peut être portée jusqu’à 15 % des droits recouvrés dans le cas d’affaires de grande importance. Bercy a réaffirmé récemment que seuls les aviseurs fiscaux peuvent être indemnisés pour des renseignements en matière de fraude fiscale. Les personnes ayant le statut de lanceur d’alerte ne peuvent retirer aucune contrepartie financière directe de leur signalement (Rep. Min. Leduc, A.N., 9 janvier 2024 n° 11579). Conformément à l’article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dans sa rédaction issue de l’article 1er de la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, un lanceur d’alerte ne doit tirer aucune contrepartie financière directe de son signalement. Le statut de lanceur d’alerte est donc exclusif de celui d’aviseur fiscal, pour lequel l’article L 10-0 AC du LPF prévoit la possibilité d’une indemnisation.
Un dispositif qui progresse
Deux rapports successifs coordonnés par Christine Pires Beaune, députée socialiste et membre de la Commission des finances ont permis de faire le point sur la progression du dispositif (A.N. Rapport d’information n°1991, du 5 juin 2019, A.N. Rapport d’information n ° 4489, du 22 septembre 2021). « les premiers résultats du dispositif témoignent de son positionnement équilibré et de sa réelle efficacité », a constaté le premier rapport. Avec près d’une centaine de signalements reçus, les premiers redressements ont permis la mise en recouvrement de plus de 90 millions d’euros de droits et pénalités, et conduit à l’indemnisation de deux aviseurs. Le rapport de 2021 constate qu’au total six aviseurs fiscaux ont été indemnisés depuis l’entrée en application du texte. Au total, le montant des droits et des pénalités recouvrés s’établit à 110,32 millions d’euros, au 1er septembre 2021, tandis que celui des indemnités versées aux aviseurs ne représente qu’un coût global de 1,83 million d’euros. Le rendement budgétaire du dispositif s’avère donc particulièrement avantageux pour les finances publiques. Entre 2018 à 2022, le nombre d’aviseurs a crû de 130 %, souligne de son côté, la Cour des comptes et « les dossiers se sont diversifiés du fait de l’expérimentation en cours. Elles devraient aboutir à des propositions de nouveaux plans de contrôles nationaux ». Sur les 419 dénonciations assorties de demandes d’indemnisation présentées depuis 2017, 24 réponses ont été positives, soit 5, 7 % des demandes et 14 % sont encore en cours de corroboration, précisent les sages de la rue de Montpensier.
Référence : AJU016t6
