Transmission d’entreprise : les sénateurs proposent une réforme des pactes Dutreil
Possibilités d’apport des titres sous engagement à une holding, condition du maintien du taux de participation indirecte, définition de la holding animatrice, allègement des obligations des formalités et des sanctions : une proposition de loi votée par le Sénat en première lecture apporte de nombreux assouplissements aux conditions entourant le bénéfice de l’engagement collectif et l’engagement individuel.
Le 7 juin dernier, le Sénat a adopté en première lecture une proposition de loi visant à moderniser la transmission d’entreprise (texte n°343). Assouplissement du cadre de l’apport-cession, réduction d’impôt au titre des intérêts d’emprunt contractés pour acquérir une entreprise, harmonisation des droits d’enregistrements sur les cessions des titres…, de nombreuses mesures sont inspirées des préconisations contenues dans le rapport d’information « Moderniser la transmission d’entreprise en France : une urgence pour l’emploi dans nos territoires », présenté en février 2017, par Claude Nougein et Michel Vaspart, deux sénateurs Les Républicains, respectivement de Corrèze et des Côtes-d’Armor (LPA, 6 juil. 2018 , n° 135, p. 4 à 6).
Parmi ces préconisations : la modernisation des pactes Dutreil. Mesure phare de la proposition de loi, son article 8 prévoit une réforme des pactes Dutreil selon deux axes : assouplir les modalités d’application et, d’autre part, mettre en place une exonération partielle renforcée au taux de 90 %.
Calendrier parlementaire
Cette initiative sénatoriale vient de l’intention du gouvernement de proposer l’assouplissement du dispositif Dutreil afin de le rendre plus accessible et plus incitatif, dans le cadre du projet de loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), qui sera discuté à la rentrée. Bien que la proposition de loi sénatoriale ait été transmise à l’Assemblée nationale le 8 juin dernier (texte n° 1047), ce volet transmission devra figurer dans le projet de loi de finances pour 2019 pour respecter l’exclusivité des lois de finances en matière fiscale. Ces développements ne manqueront donc pas de ressurgir à l’automne prochain.
Un dispositif à rationnaliser
Les pactes Dutreil permettent d’exonérer de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 75 % de leur valeur, les transmissions de parts ou actions de sociétés exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Pour garantir la stabilité du capital, objet du dispositif, ces titres doivent faire l’objet d’un engagement de conservation par leurs titulaires, de deux sortes. Tout d’abord, les actionnaires ou associés doivent s’engager collectivement à conserver leurs titres pendant deux ans.
L’une des personnes engagées dans le pacte doit exercer une fonction de direction au sein de la société durant la phase d’engagement collectif et pendant trois ans à compter de la transmission. En outre, l’engagement collectif écrit, d’une durée minimale de deux ans, doit être préalable à la transmission et porter sur au moins 20 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par une société cotée ou, pour les sociétés non cotées, sur au moins 34% des parts ou actions de la société.
Puis, les actionnaires ou associés doivent s’engager à conserver les titres individuellement pendant 4 ans à compter de l’expiration de l’engagement collectif.
Depuis leur création en 2003, les pactes Dutreil ont beaucoup évolué, au gré des lois de finances successives. Ainsi, l’engagement collectif préalable peut être « réputé acquis » si les titres ont été détenus pendant deux ans avant leur transmission à leurs héritiers, par des dirigeants qui justement n’auraient pas préparé leur succession.
De plus, afin de permettre aux héritiers de bénéficierc de l’exonération partielle lorsque le seuil de détention minimum de 34 ou 20% n’était pas respecté par la personne décédée et son conjoint, un engagement collectif dit « post mortem » est également possible. Il consiste à donner la possibilité à un ou des héritiers ou légataires des titres de conclure, entre eux ou avec d’autres associés, un engagement collectif de conservation de deux ans dans les six mois qui suivent la transmission.
Dans ces deux cas, les bénéficiaires doivent toujours respecter la condition d’exercice d’une fonction de direction pendant trois ans à compter de la transmission ainsi que l’engagement individuel de maintien des titres pendant 4 ans.
Une exonération renforcée à 90%
La proposition de loi adoptée en première lecture prévoit un nouveau taux d’exonération à hauteur de 90 %. Cette exonération majorée reposerait sur un allongement de la durée totale des deux types d’engagement de 6 à 8 ans. La durée de l’engagement collectif serait en effet portée à 3 ans, et la durée de l’engagement individuel à 7 ans minimum.
La commission des finances a soulevé le risque d’inconstitutionnalité d’une telle mesure, au regard de l’égalité des citoyens devant les charges publiques en raison d’une quasi absence d’imposition. Avec l’application d’un taux exonératoire de 90 % pour une donation à deux enfants avant 65 ans d’une entreprise valorisée à 10 millions d’euros, le taux effectif d’imposition serait de 0,6 %, contre 3,1 % actuellement.
Extension de l’engagement collectif aux sociétés unipersonnelles
Parce que ces formes sociales sont toujours plus nombreuses, les sénateurs ont voulu étendre le champ d’application de l’engagement collectif écrit aux sociétés unipersonnelles (EURL, EARL, SASU, etc.). Comme l’engagement collectif doit être signé par au moins deux associés, les sociétés unipersonnelles sont aujourd’hui de fait exclues. Elles se tournent alors vers le régime dédié aux entreprises individuelles, prévu à l’article 787 C du CGI, qui offre également une exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit. Adoptée en première lecture, la mesure autorise les associés uniques à souscrire seuls un engagement qui est regardé comme un engagement collectif.
Engagement collectif réputé acquis étendu aux sociétés interposées
La proposition de loi supprime la condition de maintien inchangé des participations en cas de sociétés interposées entre le redevable et la société éligible au dispositif Dutreil. Les parts ou actions de sociétés opérationnelles détenues indirectement, par le biais d’une société interposée, à l’instar de ce qui est déjà prévu en cas d’engagement collectif écrit préalable à la transmission seraient désormais prises en compte dans l’engagement collectif réputé acquis. Aujourd’hui, faute d’une telle mesure, l’organigramme des groupes se trouve gelé pendant toute la durée des engagements, une situation inadaptée à la réalité de la vie des entreprises. L’obligation de maintien des participations ne pèserait plus que sur les associés de la société interposée lors de l’engagement individuel.
D’ailleurs, la proposition de loi remplace pour l’ensemble des engagements le principe du maintien inchangé des participations à chaque niveau d’interposition par celui, plus souple, du maintien du taux de participation indirecte.
Engagement post mortem
À l’initiative de la commission des finances, la proposition assouplit les conditions de l’engagement collectif de conservation post mortem, qui permet aux héritiers de bénéficier du dispositif lorsque la transmission n’a pas été préparée en signant un engagement collectif dans les six mois suivant le décès.
Lorsque le partage de la succession n’est pas intervenu, le délai de six mois serait prolongé. Le point de départ du délai minimal de deux ans de l’engagement serait modifié dans un sens plus favorable aux héritiers. Il prendrait effet à compter non plus de la date d’enregistrement de l’engagement collectif mais de la date du décès.
Engagement individuel et société interposée
Là aussi, les sénateurs proposent d’assouplir la condition de conservation en présence de sociétés interposées, règle selon laquelle, les participations doivent être conservées inchangées à chaque niveau d’interposition. Désormais, le maintien de l’exonération pourrait reposer sur la condition que le taux de participation indirecte ne soit pas réduit. Pour l’engagement collectif réputé acquis, la proposition de loi prévoit qu’en cas de cession interdite, l’exonération ne serait plus remise en cause qu’à hauteur des titres transmis en violation de l’engagement de conservation.
L’absence de remise en cause de l’exonération partielle par suite d’une donation est aujourd’hui réservée au seul cas où les donataires sont des descendants du donateur. L’article 8 l’étend à tout donataire sans condition de parenté, ce qui s’inscrit dans la logique d’une facilitation de la transmission aux salariés, à la condition que le donataire poursuive l’engagement individuel (comme cela est d’ailleurs possible pendant la phase d’engagement collectif).
Fonction de direction
En cas de décès du dirigeant, si aucun des associés, héritiers, donataires ou légataires ne peut suppléer le défunt, il serait désormais possible pour ces derniers de transmettre une ou plusieurs parts ou actions à un tiers, qui exercerait alors une fonction de direction jusqu’au terme de l’engagement. En outre, le donateur pourrait désormais exercer la fonction de direction après la donation dans le cadre de l’engagement réputé acquis. L’article 8 maintient l’exonération partielle lorsque la condition tenant à l’exercice d’une fonction de direction n’est pas respectée en raison d’une fusion, d’une scission ou d’une annulation des titres. Cependant, la fonction de direction devra être exercée au sein de la société absorbante ou d’une des sociétés nouvelles.
Allègement des obligations déclaratives et des sanctions
L’article 8 supprime l’obligation pour l’entreprise d’adresser chaque année, à compter de la transmission et jusqu’à l’expiration de l’engagement collectif, une attestation à l’administration certifiant que les conditions liées à la société nécessaires pour bénéficier du dispositif sont remplies. Idem pour les obligations déclaratives pesant tous les ans sur les bénéficiaires du dispositif. Cette obligation est particulièrement lourde pour les grandes entreprises familiales, certaines se trouvant dans l’obligation d’établir plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’attestations annuelles. De plus, pour certains services fiscaux, l’oubli d’un envoi de l’attestation entraîne la déchéance du dispositif. Seule l’obligation d’accompagner la déclaration de succession ou l’acte de donation d’une attestation de la société dont les parts ou actions font l’objet de l’engagement subsiste. En outre, l’article 8 procède à l’allègement de la sanction en cas de violation partielle de l’engagement collectif ou individuel, laquelle n’entraînerait plus qu’une déchéance au prorata. Aujourd’hui, une telle violation entraîne la reprise des droits exonérés pour la totalité des titres du cédant.
Holding : une nouvelle définition
L’article 8 étend la possibilité d’apporter des titres sous engagement à une société holding dédiée. Aujourd’hui, la doctrine administrative réserve cette possibilité à la seule période d’engagement individuel. L’opération serait étendue lorsque l’engagement collectif est en cours.
Au passage, les sénateurs proposent une nouvelle définition, plus large, de la holding animatrice actuellement fixée par la doctrine administrative. L’enjeu : assimilées aux sociétés exerçant une activité commerciale, les holdings animatrices peuvent bénéficier de l’exonération partielle. Aujourd’hui, cette qualification est réservée aux sociétés qui « participent activement à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales » et « rendent, le cas échéant et à titre purement interne, des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers ».
Selon la définition proposée serait holding animatrice de son groupe « toute société qui détient une ou plusieurs filiales, et qui seule ou avec d’autres associés, participe à la conduite de la politique du groupe et au contrôle de tout ou partie des filiales ». Quatre situations sont identifiées : la conclusion d’une convention stipulant que la holding participe à la conduite de la politique du groupe que la ou les filiales s’engagent à appliquer, l’exercice de fonction de direction dans la filiale contrôlée par la holding par un de ses dirigeants, et enfin la fourniture, par la holding à sa filiale contrôlée, de prestations de services de nature administrative, comptable, financière, juridique, immobilière ou de toute autre nature.
Sur ce point, les préconisations de la commission des finances n’ont pas été retenues. Celle-ci conduisait à adopter une définition commune à l’ensemble des dispositifs fiscaux concernés (IFI, plus-values, Madelin, etc.), la définition proposée s’écartant de la définition traditionnelle, qui resterait applicable aux autres dispositifs fiscaux dont le bénéfice est subordonné à l’exercice d’une activité opérationnelle.
En outre, elle estimait que les critères permettant de caractériser une holding animatrice étaient trop nombreux et excessivement larges. « Le simple fait pour la holding de signer une convention avec une ou plusieurs de ses filiales » suffirait pour qu’elle soit présumée animatrice — imposant dès lors à l’administration de démontrer le caractère fictif du contrat, ce qui est particulièrement difficile. De même, une holding serait désormais présumée animatrice dès lors qu’elle procure à ses filiales « des prestations de services de nature administrative, comptable, financière, juridique, immobilière ou de toute autre nature » — et ce alors même que la jurisprudence n’a jamais considéré que ce critère soit suffisant pour établir à lui seul le caractère animateur de la holding », estimait-elle…
Sa proposition consistait à reprendre la définition « traditionnelle » de la holding animatrice tout en purgeant les deux principaux sujets de conflit entre l’administration et les contribuables, à savoir la possibilité pour la holding d’être animatrice sans animer la totalité de ses participations et la possibilité pour deux holdings de co-animer un groupe.
Enfin, un assouplissement a été repoussé par la commission des finances. Il porte sur la cession de titres couverts par l’engagement collectif à un tiers non-signataire. Cette opération entraîne la rupture de l’engagement collectif pour la totalité des titres couverts ainsi que la remise en cause des exonérations déjà intervenues. Toutefois, pour les signataires autres que le cédant, la dite cession n’entraîne pas la rupture de leur engagement, tant que le seuil de détention reste atteint. La proposition de loi précisait, d’une part, que l’exonération ne serait remise en cause qu’à hauteur des titres transmis en violation de l’engagement et, d’autre part, qu’elle ne serait plus remise en cause à l’égard des héritiers et donataires ayant souscrits un engagement individuel de conservation.
Pour la commission des finances, cette mesure risquait de souffrir d’inconstitutionnalité. Elle rappelait que « si le Conseil constitutionnel a admis que le dispositif Dutreil n’est pas de nature à entraîner une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques, c’est parce que son bénéfice reste subordonné aux conditions relatives à la stabilité du capital et à la direction de l’entreprise ». Or de telles mesures de faveur ne sont présentes dans aucun dispositif comportant une condition de détention. En outre, les aménagements proposés apparaissent d’autant plus difficiles à justifier que des assouplissements substantiels ont déjà été apportés au caractère figé de l’engagement collectif qui autorisent par exemple le remplacement du signataire qui rompt son engagement en cédant des titres engagés à un tiers.