Vers une modernisation de la gestion des finances publiques ?

Publié le 22/04/2022
Vers une modernisation de la gestion des finances publiques ?
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La loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, qui a été publiée au Journal officiel du 29 décembre 2021, entend consolider le rôle du Parlement dans l’examen et le contrôle des finances publiques. Elle permet de renforcer la stratégie pluriannuelle de finances publiques et d’améliorer la lisibilité des textes financiers. Elle élargit les pouvoirs du Haut conseil des finances publiques.

L. org. n° 2021-1836, 28 déc. 2021, NOR : ECOX2119883L : JO, 29 déc. 2021

Les députés et les sénateurs, réunis en commission mixte paritaire le 15 novembre 2021, sont parvenus à un compromis sur ce texte qui a pour ambition de moderniser le cadre de gouvernance des finances publiques. Il est issu d’une proposition de loi organique déposée par les députés Laurent Saint-Martin (La République en marche) et Éric Woerth (Les Républicains) respectivement rapporteur général et président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Selon ces parlementaires, il a pour ambition de « doter notre “constitution financière” d’outils nécessaires aux pouvoirs publics pour gérer convenablement les nouveaux enjeux propres aux finances publiques issus de la crise de la Covid-19 ».

Dans sa décision n° 2021-831 DC du 23 décembre 2021, le Conseil constitutionnel, qui avait été saisi par le Premier ministre en application de l’article 61, alinéa 1, de la Constitution, a validé la quasi-intégralité de la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances publiques. Il a censuré partiellement son article 26 et a également émis des réserves d’interprétation sur certaines dispositions ; des réserves concernant notamment la conciliation entre la continuité de la vie nationale et le principe de sincérité des textes financiers1.

La loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 reprend de nombreuses propositions figurant dans le rapport de 2009 de la mission d’information, dite MILOLF, constituée par la commission des finances de l’Assemblée nationale, pour suivre la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, dite LOLF, laquelle fixe le régime juridique applicable aux lois de finances.

La loi organique du 28 décembre 2021 réforme la LOLF de 2001. Elle abroge la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques et insère, dans la LOLF, l’ensemble du contenu de ce texte, à l’exception de celles de ses dispositions qui relèvent de la loi ordinaire.

La loi organique du 28 décembre 2021 cherche à renforcer la portée des orientations pluriannuelles des finances publiques au sein du processus budgétaire annuel. Elle vise également à permettre la rationalisation et l’amélioration du travail parlementaire en matière de finances publiques. Enfin, elle élargit les pouvoirs du Haut conseil des finances publiques (HCFP).

Il s’agira pour nous, dans cette étude, de présenter les principaux apports de la loi organique du 28 décembre 2021. Nous examinerons ses dispositions concernant la programmation des finances publiques (I), les lois de finances (II), l’information du Parlement sur les finances publiques (III) et enfin le HCFP (IV).

I – Les dispositions relatives à la programmation des finances publiques

La loi organique du 28 décembre 2021 consolide au sein de la LOLF les dispositions de la loi organique du 17 décembre 2012. Afin de mettre en œuvre les recommandations de la MILOLF concernant les lois de programmation des finances publiques, lesquelles déterminent les orientations pluriannuelles des finances publiques, elle procède à plusieurs ajustements du cadre organique organisant la pluriannualité budgétaire. Elle institue notamment un objectif d’évolution de la dépense des administrations publiques qui doit permettre de mieux identifier les engagements pris en matière de maîtrise des dépenses publiques (A). Elle renforce l’importance de l’article liminaire des lois financières en développant les informations qu’il présente (B).

A – Les nouvelles normes d’évolution de la dépense publique

L’article 1er de la loi organique du 28 décembre 2021 innove en indiquant que « la loi de programmation des finances publiques détermine, au titre de chacun des exercices de la période de programmation, un objectif, exprimé en volume, d’évolution des dépenses des administrations publiques présentées selon les conventions de la comptabilité nationale et une prévision, exprimée en milliards d’euros courants, de ces dépenses en valeur ».

Les orientations pluriannuelles des finances publiques définies par la loi de programmation des finances publiques comprennent notamment, pour chacun des exercices auxquels elles se rapportent, une déclinaison, par sous-secteur d’administration publique, de l’objectif d’évolution en volume et de la prévision en milliards d’euros courants des dépenses des administrations publiques.

L’importance des nouvelles normes encadrant l’évolution de la dépense publique est renforcée par l’introduction d’un compteur des écarts exprimé en milliards d’euros.

Ce compteur des écarts à la norme de dépense des administrations publiques que les lois de programmation des finances publiques doivent désormais fixer est prévu par l’article 24 de loi organique du 28 décembre 2021 ; un article qui est issu d’un amendement du président et du rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale2.

Ce compteur doit permettre de renforcer la place des orientations votées en loi de programmation des finances publiques au sein des discussions budgétaires annuelles et de rendre mieux compte de l’évolution de la dépense de l’ensemble des administrations publiques. Ce nouvel outil sera présenté au sein du rapport économique, social et financier prévu par l’article 50 de la LOLF et annexé au projet de loi de finances de l’année. Le gouvernement sera amené à exposer les raisons expliquant les écarts au sein du rapport économique, social et financier ainsi que, le cas échéant, les mesures destinées à les réduire.

Le législateur organique s’est inspiré du mécanisme de correction sur le solde structurel de l’État que le HCFP peut déclencher à l’occasion de la loi de règlement en cas d’écart important à la trajectoire de la loi de programmation des finances publiques3.

Par ailleurs, la commission mixte paritaire a souhaité que la loi de programmation des finances publiques détermine, pour l’ensemble de la période de programmation, une prévision d’évolution exprimée en volume ainsi qu’une prévision exprimée en milliards d’euros courants du montant des dépenses des administrations publiques considérées comme des dépenses d’investissement.

Un rapport annexé au projet de loi de programmation des finances publiques présentera, pour l’ensemble de la période de la programmation, les principales dépenses des administrations publiques considérées comme des dépenses d’investissement « compte tenu de leur contribution à la croissance potentielle du produit intérieur brut, à la transformation structurelle du pays et à son développement social et environnemental à long terme ».

Enfin, on soulignera que la commission mixte paritaire n’a pas repris la proposition du Sénat de créer deux catégories de lois de programmation des finances publiques, les lois de programmation initiales et les lois de programmation rectificatives. Elle n’a pas non plus retenu la proposition des sénateurs qui consistait à introduire, en miroir de l’objectif d’évolution des dépenses des administrations publiques, un objectif d’évolution des recettes des administrations publiques au sein du domaine obligatoire des lois de programmation des finances publiques.

B – L’élargissement du contenu de l’article liminaire des lois financières

Afin de renforcer « la lisibilité et le poids du cadre pluriannuel » dans les discussions des projets de loi de finances, l’article 1er de la loi organique du 28 décembre 2021 vient compléter les informations figurant au sein des articles liminaires des lois financières. La loi de finances de l’année, les lois de finances rectificatives, les lois de financement rectificatives de la sécurité sociale et les lois de finances de fin de gestion comprendront « un article liminaire présentant un tableau de synthèse retraçant, pour l’année sur laquelle elles portent et en rappelant les prévisions de la loi de programmation des finances publiques en vigueur pour l’année en question :

  • l’état des prévisions de solde structurel et de solde effectif de l’ensemble des administrations publiques, avec l’indication des calculs permettant d’établir le passage de l’un à l’autre, et des prévisions de solde par sous-secteur ;

  • l’état de la prévision, déclinée par sous-secteur d’administration publique, de l’objectif d’évolution en volume et de la prévision en milliards d’euros courants des dépenses des administrations publiques ;

  • l’état des prévisions de prélèvements obligatoires, de dépenses et d’endettement de l’ensemble des administrations publiques, exprimées en pourcentage du produit intérieur brut ».

La loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année – nouvelle dénomination des lois de règlement – comprendra quant à elle un article liminaire présentant un tableau de synthèse retraçant, pour l’année à laquelle elle se rapporte :

  • les soldes structurel et effectif de l’ensemble des administrations publiques ;

  • les dépenses des administrations publiques exprimées en milliards d’euros courants ;

  • et l’exécution exprimée en points de produit intérieur brut de prélèvements obligatoires, de dépenses et d’endettement de l’ensemble des administrations publiques.

II – Les dispositions relatives aux lois de finances

La loi organique du 28 décembre 2021 procède au changement d’appellation de la loi de règlement (A), apporte des modifications concernant la structure de la loi de finances de l’année (B), précise les règles concernant les reports de crédits (C) et instaure une nouvelle catégorie de loi de finances (D). Elle permet également de renforcer la transparence des finances publiques (E) et de modifier le calendrier budgétaire parlementaire (F).

A – Le changement d’appellation de la loi de règlement

L’article 2 de la loi organique du 28 décembre 2021 renomme la « loi de règlement » en « loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année » afin d’accroître la visibilité des travaux d’évaluation lors de l’examen de cette loi. Cette nouvelle appellation permet de mettre l’accent sur l’objet principal de cette catégorie de loi de finances : « L’évaluation des résultats de la gestion du gouvernement dans la mise en œuvre des politiques publiques telles que financées par l’autorisation parlementaire accordée en début d’année »4. Il est à noter que la MILOLF avait préconisé de procéder au changement d’appellation de la loi de règlement.

B – Les modifications concernant la structure de la loi de finances

Chaque année, la discussion de l’ensemble des ressources de l’État aura lieu en première partie de la loi de finances (art. 15). La première partie de cette loi pourra comporter « des dispositions relatives à l’assiette, au taux, à l’affectation et aux modalités de recouvrement des impositions de toutes natures affectées à une personne morale autre que l’État ». Elle distinguera, dans le tableau retraçant l’équilibre budgétaire, les ressources et les charges de fonctionnement et d’investissement (art. 15).

L’Assemblée nationale aurait voulu que la loi de finances puisse, dans sa seconde partie, « autoriser la ratification ou l’approbation des conventions internationales visant à éviter les doubles impositions, à lutter contre la fraude ou l’évasion fiscales ou à organiser l’assistance administrative en matière fiscale ». Cependant, la commission mixte paritaire a suivi le Sénat qui a supprimé ce dispositif adopté par les députés « en raison de la limitation du temps disponible pour la discussion de la loi de finances, afin de pouvoir consacrer le temps nécessaire à l’examen de ces conventions internationales, tout particulièrement en matière fiscale ».

C – Les dispositions concernant les reports de crédit

Les crédits inscrits sur le titre des dépenses de personnel ne pourront pas faire l’objet d’un report sur l’année suivante. Mais cette disposition ne s’appliquera pas aux crédits issus de fonds de concours (art. 10). De plus, le texte issu de la commission mixte paritaire a conservé le mécanisme de plafonnement des reports de crédits qui avait été proposé par les sénateurs. Il a toutefois prévu le cas exceptionnel de la « nécessité impérieuse d’intérêt national » (art. 10).

Par ailleurs, la loi organique du 28 décembre 2021 a repris un amendement du gouvernement adopté par l’Assemblée nationale qui supprime le recours à un décret de répartition pour répartir les crédits. Les décrets de répartition seront remplacés par des décrets portant désignation des ministres bénéficiaires des crédits ouverts par la loi de finances (art. 19).

D – La création de la loi de finances de fin de gestion

Le législateur financier a souhaité créer une nouvelle catégorie de loi de finances qui correspond « aux actuelles lois de finances rectificatives de fin d’année, dont le domaine [sera] réduit afin d’en faire une véritable loi de rectification des finances de l’année en cours »5 (art. 16).

Avec la création de la « loi de fin de gestion », qui ne pourra comporter aucune disposition fiscale nouvelle, la loi organique du 28 décembre 2021 cherche à améliorer la qualité de la programmation et de la gestion budgétaires. Elle institutionnalise la pratique qui « tend à recentrer la dernière loi de finances rectificative de l’année sur la régulation des crédits budgétaires »6. On observera que, depuis 2018, le projet de loi de finances rectificative de fin d’année ne comporte plus de dispositions de nature fiscale.

E – Le renforcement de la transparence des finances publiques

La loi organique du 28 décembre 2021 comporte des dispositions concernant les règles relatives à l’affectation de ressources. Elle adopte « une doctrine volontariste pour rationaliser le paysage de la fiscalité affectée à des tiers autres que les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes de sécurité sociale »7. Elle vient aussi enrichir la nomenclature comptable.

La nouvelle doctrine d’affectation des taxes. Reprenant le texte d’un amendement du rapporteur et du président de la commission des finances adopté par l’Assemblée nationale, la loi organique du 28 décembre 2021 « propose une doctrine d’affectation des taxes clarifiée et plus respectueuse des principes de bonne gestion budgétaire »8.

Actuellement, les tiers autres que l’État ont la possibilité d’être financés par l’affectation d’une taxe lorsqu’ils exercent des missions de service public. La nouvelle doctrine d’affectation prévue par la loi organique impose deux critères supplémentaires (art. 3). Le premier critère indique que le tiers doit disposer d’une personnalité morale. « L’objectif est de cesser d’affecter des taxes à des véhicules financiers pour lesquels les obligations de publicité et les facultés de contrôle sont très limitées ». Le second critère, qui cherche à renforcer le consentement à l’impôt, précise que le lien entre la taxe affectée et la mission de service public qu’elle permet de financer doit être établi.

De plus, les organismes de sécurité sociale et les collectivités territoriales seront exclus de cette nouvelle doctrine d’affectation qui entrera en vigueur à l’occasion du dépôt du projet de loi de finances pour 2025.

La loi organique reprend également le texte d’un amendement gouvernemental adopté par l’Assemblée nationale qui a pour objet de réserver au domaine des lois de finances les affectations de recettes dans l’objectif de conforter le principe d’universalité budgétaire9. Il est précisé que « l’affectation du produit d’une imposition de toute nature à un tiers ne peut résulter que d’une disposition de loi de finances » (art. 3). Cette disposition ne s’appliquera pas « aux impositions affectées aux collectivités territoriales, à leurs établissements publics et aux organismes de sécurité sociale, à l’exception des impositions dont le produit est, en tout ou partie, affecté au budget de l’État » (art. 3).

Les dispositions enrichissant la nomenclature comptable. L’article 4 de la loi organique du 28 décembre 2021 modifie la nomenclature des recettes budgétaires de l’État établie à l’article 3 de la LOLF. Il opère une distinction entre les fonds de concours selon qu’ils financent des dépenses d’investissement ou d’autres dépenses. Il s’agit de « rendre plus lisibles l’article d’équilibre de la loi de finances, son nouvel état législatif annexé sur les moyens des politiques publiques au-delà des crédits et ses diverses annexes »10.

Issu d’un amendement du rapporteur général et du président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, l’article 6 de la loi organique du 28 décembre 2021 vient par ailleurs recréer dans l’article 5 de la LOLF, relatif aux charges budgétaires, la catégorie des subventions d’investissement. Cette catégorie de dépenses, qui existait sous l’empire de l’ordonnance organique de 1959, a été abandonnée en 2001. Comme l’article 4, cette disposition vient enrichir la nomenclature comptable.

F – Les modifications apportées au calendrier budgétaire parlementaire

Il est procédé à une rationalisation du calendrier parlementaire, « dans une perspective de renforcement du « chaînage vertueux » entre l’exécution et la prévision »11.

L’organisation d’un débat commun sur le rapport d’orientation des finances publiques et le programme de stabilité. Le législateur organique a voulu permettre au Parlement d’organiser un débat commun sur le rapport d’orientation des finances publiques et le programme de stabilité et cela avant la transmission de ce programme à la Commission européenne. Le calendrier budgétaire prévoit actuellement que les orientations pluriannuelles des finances publiques peuvent être débattues à l’occasion de la transmission du programme de stabilité à la Commission qui intervient à la fin du mois d’avril et lors du débat d’orientation des finances publiques qui est organisé au mois de juillet.

L’article 1er K de la LOLF, dans sa rédaction issue de la loi organique du 28 décembre 2021, prévoit qu’« au plus tard 15 jours avant la présentation par le gouvernement aux institutions européennes des documents prévus par le droit de l’Union européenne dans le cadre des procédures de coordination des politiques économiques et budgétaires, le gouvernement transmet l’ensemble de ces documents au Parlement et y joint, dans la perspective de l’examen et du vote du projet de loi de finances de l’année suivante, un rapport sur l’évolution de l’économie nationale et sur les orientations des finances publiques (…) ». Ce rapport comportera notamment une analyse des évolutions économiques constatées depuis l’établissement du rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances de l’année ainsi qu’une description des grandes orientations de la politique économique et budgétaire du gouvernement au regard des engagements européens de la France.

Dans sa décision du 23 décembre 2021, le Conseil constitutionnel, qui a validé l’article 1er K créé par l’article 1er de la loi organique du 28 décembre 2021, a jugé qu’« une éventuelle méconnaissance de cette procédure ne saurait faire obstacle à la mise en discussion d’un projet de loi de finances », dont la conformité à la Constitution serait alors appréciée « au regard tant des exigences de la continuité de la vie nationale que de l’impératif de sincérité qui s’attache à l’examen des lois de finances pendant toute la durée de celui-ci »12.

Le raccourcissement du délai de dépôt du projet de loi de règlement. L’article 20 de la loi organique du 28 décembre 2021, qui modifie l’article 46 de la LOLF, avance du 1er juin au 1er mai la date avant laquelle le gouvernement dépose le projet de loi de règlement, désormais dénommé « projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l’année », et ses annexes. Ce faisant, il consacre au rang organique la pratique observée ces dernières années à l’Assemblée nationale d’un dépôt anticipé de ce texte afin que les parlementaires aient suffisamment de temps pour étudier les documents budgétaires annexés à ce projet de loi avant son examen en séance publique. Ce nouveau calendrier budgétaire participe « à la revalorisation de la période du Printemps de l’évaluation »13, lequel a été inscrit dans le règlement de l’Assemblée nationale lors de sa réforme du 4 juin 2019.

Le Conseil constitutionnel a validé l’article 20 de la loi organique du 28 décembre 2021 en l’assortissant d’une réserve d’interprétation. Fidèle à sa jurisprudence, il a jugé qu’un éventuel retard dans le dépôt de tout ou partie des annexes ne saurait faire obstacle à l’examen du projet de loi de règlement. Si un tel retard se produisait, sa conformité à la Constitution serait alors appréciée au regard « tant des exigences de la continuité de la vie nationale que de l’impératif de sincérité qui s’attache à l’examen des lois de finances pendant toute la durée de celui-ci ».

III – Les dispositions améliorant l’information du Parlement sur les finances publiques

La loi organique du 28 décembre 2021 renforce l’information des parlementaires sur les finances publiques à travers les rapports et annexes aux projets de loi de finances (A). Elle comporte également des dispositions améliorant l’information des commissions des finances des assemblées parlementaires (B).

A – L’amélioration de l’information du Parlement à travers les rapports et annexes aux projets de loi de finances

L’avancement de la date de dépôt des annexes générales. Les annexes générales prévues par l’article 51 de la LOLF relèvent de deux catégories : les « jaunes budgétaires » qui rassemblent l’ensemble de l’information financière d’une politique publique donnée et les « oranges budgétaires » qui eux regroupent dans un document l’ensemble des financements concourant à une politique publique interministérielle.

Des délais particuliers sont prévus pour la transmission des annexes générales par l’actuel article 39 de la LOLF. Ce dernier dispose que chaque annexe générale « est déposée sur le bureau des assemblées (…) au moins cinq jours francs avant l’examen, par l’Assemblée nationale en première lecture, des recettes ou des crédits auxquels elle se rapporte ».

La MILOLF a estimé que les délais de transmission de ces documents étaient « peu compatibles avec une analyse approfondie des données qu’ils présentent »14. C’est la raison pour laquelle l’article 17 de la loi organique du 28 décembre 2021 est venu modifier l’article 39 de la LOLF pour prévoir que chaque annexe générale destinée à l’information et au contrôle du Parlement sera déposée sur le bureau des assemblées « avant le début de l’examen du projet de loi de finances de l’année en séance publique par l’Assemblée nationale ». Ce nouveau dispositif entrera en vigueur lors du dépôt du projet de loi de finances pour l’année 2023.

Si le Conseil constitutionnel a validé l’article 17 de la loi organique du 28 décembre 2021, il a considéré, dans le souci de préserver la continuité de la vie nationale, qu’un éventuel retard dans le dépôt de tout ou partie des annexes ne saurait faire obstacle à l’examen du projet de loi de finances.

Les annexes au projet de loi de finances. L’article 25 de la loi organique du 28 décembre 2021, qui met en œuvre plusieurs recommandations de la MILOLF, cherche à améliorer l’information communiquée au Parlement au sein des documents annexés au projet de loi de finances de l’année. Sera désormais jointe à ce dernier, « une annexe explicative récapitulant les dispositions relatives aux règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures adoptées depuis le dépôt du projet de loi de finances de l’année précédente ».

L’article 25 de la loi organique du 28 décembre 2021 complète l’annexe présentant les dépenses fiscales, qui est mentionnée à l’article 51 de la LOLF. Il indique que « cette annexe comporte, pour les dépenses fiscales :

« a) l’évaluation de leur montant et le nombre de bénéficiaires ;

b) la liste de celles qui feront l’objet d’une évaluation dans l’année ;

c) pour chaque mission, l’évaluation de l’écart entre le montant exécuté au titre d’une année et la prévision correspondant à cette année inscrite dans le projet de loi de finances ainsi que les éléments d’explication de cet écart ;

d) la présentation, par mission, du ratio entre le montant prévisionnel des dépenses fiscales et le montant des crédits budgétaires ».

Le Conseil constitutionnel a validé cet article 25 de la loi organique du 28 décembre 2021 qui vient préciser la liste des documents qui devront être joints au projet de loi de finances de l’année. Il a aussi réaffirmé sa jurisprudence en indiquant qu’un éventuel retard dans le dépôt de tout ou partie des annexes ne saurait faire obstacle à l’examen du projet de loi de finances.

Le rapport sur les plafonds de crédits envisagés pour l’année à venir et le rapport sur la dette publique. En vue de l’examen et du vote du projet de loi de finances de l’année suivante par le Parlement, le gouvernement devra lui transmettre, avant le 15 juillet, un rapport indiquant notamment les plafonds de crédits envisagés pour l’année à venir pour chaque mission du budget général (art. 23). Ce rapport précisera également la liste des missions, des programmes et des indicateurs de performance envisagés.

Par ailleurs, le gouvernement devra présenter, avant le début de la session ordinaire, un rapport analysant la trajectoire, les conditions de financement et la soutenabilité de la dette de l’ensemble des administrations publiques et de leurs sous-secteurs. Ce rapport pourra donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat (art. 23).

Le juge constitutionnel, qui a validé ces dispositions prévues par l’article 23 de la loi organique du 28 décembre 2021, a estimé qu’« une éventuelle méconnaissance de ces procédures ne saurait faire obstacle à la mise en discussion d’un projet de loi de finances ».

Le rapport sur la situation des finances publiques locales. Un rapport sur la situation des finances publiques locales sera annexé au projet de loi de finances de l’année (art. 7). Comme l’a souhaité le Sénat, l’évolution des charges résultant des transferts de compétences entre l’État et les collectivités territoriales sera retracée dans ce rapport qui pourra faire l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat.

B – L’amélioration de l’information des commissions des finances des assemblées parlementaires

La loi organique du 28 décembre 2021 renforce les pouvoirs des commissions des finances des assemblées parlementaires. Elle les autorise à solliciter les autorités administratives indépendantes et les autorités publiques indépendantes « pour l’obtention d’informations relatives aux finances publiques » (art. 26).

Elle améliore l’information du Parlement en cas d’utilisation de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles (DDAI) pour un montant supérieur à 100 millions d’euros (art. 9). Elle a prévu à l’initiative du Sénat une information des présidents et des rapporteurs généraux des commissions chargées des finances des deux assemblées parlementaires au moins trois jours avant la publication de tout décret de répartition des crédits inscrits sur cette dotation. Cette information devra préciser le montant réparti, les programmes concernés et le motif de cette répartition.

Par ailleurs, le texte issu de la commission mixte paritaire a retenu la proposition du Sénat de créer un droit d’accès des commissions des finances aux données fiscales couvertes par le secret statistique. Le président et le rapporteur général des commissions des finances de chaque assemblée seront habilités « à accéder à l’ensemble des informations qui relèvent de la statistique publique ainsi qu’à celles recueillies à l’occasion des opérations de détermination de l’assiette, de contrôle, de recouvrement ou de contentieux des impôts, droits, taxes et redevances et qui sont, le cas échéant, couvertes par le secret statistique ou fiscal » (art. 26).

Dans sa décision du 23 décembre 2021, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution les dispositions de l’article 26 de la loi organique du 28 décembre 2021 qui prévoyaient que les agents publics désignés par les présidents et les rapporteurs généraux des commissions des finances des deux chambres avaient également la possibilité d’accéder à ces données. En effet, si le Conseil constitutionnel a jugé que le législateur organique pouvait, eu égard à leurs fonctions, ouvrir ce droit d’accès au président et au rapporteur des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances, il a souligné qu’il ne pouvait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, prévoir que ce droit puisse être ouvert dans les mêmes conditions à « tous les agents publics qu’ils désignent conjointement à cet effet ».

Enfin, l’article 26 de la loi organique du 28 décembre 2021 modifie l’article 57 de la LOLF afin de préciser que les domaines d’attribution des rapporteurs spéciaux sont définis par les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances. Les bureaux de ces commissions pourront préciser le champ de compétence de chaque rapporteur spécial « qui porte, d’une part, sur les crédits budgétaires du périmètre de son rapport, et, d’autre part, sur les dépenses fiscales rattachées aux programmes dont il a la charge »15.

IV – Les dispositions étendant le mandat du HCFP

L’article 30 de la loi organique du 28 décembre 2021 élargit le champ des missions du HCFP. Ce dernier aura pour mission d’apprécier « le réalisme » des prévisions de recettes et de dépenses du projet de loi de finances de l’année et du projet de loi de financement de la sécurité sociale de l’année. Il sera compétent pour apprécier la cohérence de l’article liminaire de ces textes budgétaires au regard des orientations pluriannuelles de dépenses des administrations publiques définies dans la loi de programmation des finances publiques. Il rendra également des avis qui concerneront les dispositions des projets de loi de programmation sectoriels ayant une incidence sur les finances publiques.

Le président du HCFP, Pierre Moscovici, a cependant regretté que « le mandat du [HCFP] reste plus étroit que celui de nombre de ses homologues européens. En particulier, le [HCFP] ne s’est pas vu confier la tâche d’expertiser l’évaluation des mesures nouvelles en recettes et en dépenses, et le texte ne [lui] demande pas (…) de fournir, en complément de celle du gouvernement, sa propre analyse sur la soutenabilité de la dette »16.

En conclusion, il apparaît que la loi organique du 28 décembre 2021 constitue la plus importante révision de la « constitution financière » qu’est la LOLF depuis 2001. Si la loi organique du 28 décembre 2021 ne bouleverse pas fondamentalement le cadre de gouvernance des finances publiques, elle vient apporter des « évolutions non négligeables »17. Elle comporte de nombreuses mesures de simplification comme la consécration des « lois de finances de fin de gestion » ne comprenant pas de mesures fiscales. Elle est de nature à renforcer le rôle du Parlement en matière de contrôle budgétaire.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Le Conseil a déjà formulé des réserves d’interprétation de ce type. C’est le cas dans sa décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 portant sur la LOLF.
  • 2.
    AN, amendement n° 140, 13 juill. 2021, sur la proposition de loi organique, déposé par les députés L. Saint-Martin (LREM) et É. Woert (LR), https://lext.so/TKBahd.
  • 3.
    AN, amendement n° 140, 13 juill. 2021, sur la proposition de loi organique, déposé par les députés L. Saint-Martin (LREM) et É. Woert (LR), https://lext.so/TKBahd.
  • 4.
    V. AN, rapp. nos 4381 et 4382, 15 juill. 2021, p. 31.
  • 5.
    V. AN, rapp. nos 4381 et 4382, 15 juill. 2021, p. 101.
  • 6.
    V. AN, rapp. nos 4381 et 4382, 15 juill. 2021, p. 100.
  • 7.
    V. AN, rapp. nos 4381 et 4382, 15 juill. 2021, p. 7.
  • 8.
    AN, amendement n° 134, 13 juill. 2021, sur la proposition de loi organique, déposé par les députés L. Saint-Martin (LREM) et É. Woert (LR), https://lext.so/Te74vA.
  • 9.
    AN, amendement n° 115, 19 juill. 2021, sur la proposition de loi organique, déposé par le gouvernement, https://lext.so/25QsN6.
  • 10.
    V. AN, rapp. nos 4381 et 4382, 15 juill. 2021, p. 40.
  • 11.
    V. AN, rapp. nos 4381 et 4382, 15 juill. 2021, p. 9.
  • 12.
    Cons. const., DC, 23 déc. 2021, n° 2021-831, cons. 24. On retrouve ici les motifs énoncés au considérant 89 de sa décision n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001.
  • 13.
    V. AN, rapp. nos 4381 et 4382, 15 juill. 2021, p. 115.
  • 14.
    V. AN, rapp. n° 2210, 11 sept. 2019, p. 144.
  • 15.
    V. AN, rapp. nos 4381 et 4382, 15 juill. 2021, p. 140.
  • 16.
    C. comptes, « Modernisation des finances publiques : Pierre Moscovici, Premier président de la cour des comptes, salue d’importantes avancées », communiqué de presse, 24 déc. 2021.
  • 17.
    V. CE, avis, 1er juill. 2021, nos 402909 et 402910, p. 1.
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