Éric Bienko Vel Bienek : « Au TJ de Créteil nous traitons des litiges spécifiques à l’instar du contentieux aérien et faisons face à un contentieux de proximité massif »
Après plus de quatre années à la tête du tribunal judiciaire de Créteil, Éric Bienko Vel Bienek occupe depuis le 2 septembre 2024 la fonction de premier président de la cour d’appel de Nîmes. Entré dans la magistrature en 2000, ce magistrat d’expérience va exercer pour la deuxième fois en juridiction de second degré après avoir été conseiller à la cour d’appel de Douai entre 2007 et 2011. Après la présidence des tribunaux judiciaires d’Agen et d’Aix-en-Provence, Éric Bienko Vel Bienek est arrivé dans le Val-de-Marne en janvier 2020. Une prise de poste qui s’est faite dans un contexte de grève des avocats et quelques semaines avant la propagation de la pandémie du Covid-19 en France. Pour Actu-Juridique, le chef de juridiction revient sur ces quatre années d’expérience à la tête du TJ de Créteil.
Actu-Juridique : Globalement, quel bilan dressez-vous de vos quatre années à la tête du tribunal judiciaire de Créteil ?
Éric Bienko Vel Bienek : Le bilan est extrêmement positif. La période a été passionnante. La situation n’a pas toujours été très simple notamment avec la grève des avocats à mon arrivée en 2020, puis la crise sanitaire, mais la juridiction a su surmonter ces difficultés grâce à un dynamisme que l’on retrouve partout dans le département du Val-de-Marne. J’ai aussi eu la chance de travailler avec des collègues magistrats et des fonctionnaires motivés et engagés au quotidien. Mes quatre années comme président de cette juridiction auront été très intéressantes et enrichissantes.
AJ : Quelle place prend cette expérience par rapport à votre carrière ?
Éric Bienko Vel Bienek : Entre 2011 et 2015, j’ai d’abord présidé le tribunal judiciaire d’Agen. Ensuite, j’ai présidé le TJ d’Aix-en-Provence qui était d’une taille deux fois inférieure à celle du TJ de Créteil, qui est la quatrième juridiction en France par son activité. En outre, je n’avais jamais été en poste en région parisienne. Ce fut donc une découverte par bien des aspects et une expérience très différente des précédentes en raison du volume des contentieux, des modalités d’organisation de la juridiction et de l’importance de l’équipe œuvrant à mes côtés. Je peux, par exemple, compter sur l’expérience de dix premiers vice-présidents pour coordonner l’ensemble des services et organiser les multiples audiences quotidiennes permettant d’absorber un contentieux qui n’a fait que croître durant ces quatre dernières années, que ce soit au civil comme au pénal. Nous traitons également des litiges spécifiques, à l’instar du contentieux aérien qui se développe avec l’aéroport d’Orly, et faisons face à un contentieux de proximité massif dans les 6 tribunaux de proximité que compte le département du Val-de-Marne.
AJ : La présidence de la cour d’appel de Nîmes est aussi une découverte. Vous allez présider pour la première fois une juridiction de second degré. Comment appréhendez-vous cette nouvelle expérience ?
Éric Bienko Vel Bienek : Après treize années comme président de TJ, exercer les fonctions de premier président de cour d’appel est en quelque sorte un nouveau métier et assurément un nouveau défi. Je vais bien sûr présider la cour d’appel en tant que juridiction, mais aussi avoir, avec le procureur général, un rôle de gestion et d’administration du ressort territorial qui comprend quatre départements et six tribunaux judiciaires. Il y a également une responsabilité en termes de gestion des ressources humaines et du budget local ainsi qu’un rôle d’interface entre l’administration centrale et les juridictions du ressort. Le soutien et l’accompagnement des présidents des tribunaux associés à ces questions m’apparaissent essentiels. L’enthousiasme et l’humilité me guident dans l’exercice de ces nouvelles missions.
AJ : Quels ont été les défis les plus importants durant votre présidence au TJ de Créteil ?
Éric Bienko Vel Bienek : Je suis arrivé en janvier 2020 lors de la grève des avocats comme je l’indiquais précédemment, et seulement quelques semaines avant le déclenchement du confinement. La juridiction a fonctionné au ralenti pendant plusieurs mois avec beaucoup de renvois et des audiences annulées. Un des premiers défis a donc été de rétablir, progressivement et en concertation, les conditions permettant de reprendre une activité habituelle. Par ailleurs, depuis plusieurs années, un projet de désamiantage était en discussion au TJ de Créteil, avec des inquiétudes légitimes et des interrogations sur les conditions de sécurité et de travail de la part des personnels du tribunal. Après un retard lié à la pandémie, les travaux ont pu être engagés dans l’immeuble de 16 étages en avril 2021 et se poursuivre sans interruption en prenant le parti de la discussion et de la transparence à toutes les étapes du projet. C’est une autre réalisation que je gère avec le procureur de la République et la direction de greffe depuis maintenant plus de trois ans, et dont l’aboutissement est annoncé pour la fin de l’année 2025.
AJ : Avec le recul face à ce contexte particulier, comment avez-vous réussi à gérer ces multiples défis ?
Éric Bienko Vel Bienek : C’est certain, cette gestion a été possible grâce à la constante implication des magistrats et fonctionnaires des différents services. Leur collaboration a été très précieuse avec de vrais échanges sur les décisions à prendre et un engagement sans faille, y compris dans les périodes les plus difficiles. L’expérience en termes d’animation et d’organisation que j’avais acquise dans mes deux postes de président de juridiction a également été très précieuse, tout comme le travail mené en commun et en parfait accord avec le procureur de la République et la direction de greffe. Le dialogue constructif qui s’est noué et renforcé avec les avocats du barreau du Val-de-Marne tout au long de cette période, par l’intermédiaire des trois bâtonniers qui se sont succédés et avec lesquels les contacts ont été excellents, a été un autre atout. Il a notamment permis d’échanger aisément sur tous les sujets, y compris les plus délicats, et de faciliter la mise en place des réformes. De manière générale, les rapports de qualité entretenus avec l’ensemble des partenaires de la juridiction ont été très aidants.
AJ : Comment ont évolué les moyens accordés au TJ de Créteil depuis 2020 ?
Éric Bienko Vel Bienek : Depuis mon arrivée en 2020, trois postes de magistrats du siège ont été créés dans la juridiction qui en compte aujourd’hui 96. Les arbitrages réalisés par le ministre de la Justice dans le cadre de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoient d’affecter 22 magistrats supplémentaires, dont 15 au siège, à l’horizon 2027. Le greffe bénéficiera également de cette évolution avec l’arrivée de 45 greffiers durant la même période. Ces moyens additionnels sont notables et vont permettre de renforcer la juridiction de Créteil, ce qui est parfaitement justifié au regard de la croissance continue de l’activité judiciaire à mettre en lien avec l’augmentation de la population dans le département du Val-de-Marne.
AJ : Quelles sont les principales évolutions du traitement des affaires sous votre présidence au TJ de Créteil ?
Éric Bienko Vel Bienek : À côté de certaines réorganisations intervenues dans les services civils et pénaux, je retiendrai deux évolutions très significatives depuis ma prise de fonction. D’abord, la nette diminution des délais d’audiencement devant le juge aux affaires familiales qui, s’agissant des instances modificatives, sont passés de 13 mois en 2020 à 6 mois aujourd’hui grâce au remarquable travail mené dans ce service et à la création d’un dixième cabinet. Ensuite, la réduction massive du nombre de décisions pénales en attente d’exécution puisque le stock, initialement de 15 000 décisions en 2020, a été ramené à 2 500 par l’effet d’un contrat d’objectif et d’une évolution de la politique pénale engageant toute la juridiction. Dans ces deux cas, s’est concrétisée la volonté d’améliorer concrètement la qualité et l’effectivité de la justice rendue dans le ressort, qui se prolonge aussi par des évolutions dans les modes de travail avec en particulier le développement dans la juridiction de la procédure pénale numérique à un rythme soutenu depuis deux années.
AJ : Comme président du TJ de Créteil, vous présidez aussi le Conseil départemental d’accès au droit (CDAD) du Val-de-Marne. Comment organisez-vous cette mission ?
Éric Bienko Vel Bienek : Le CDAD est un groupement très actif qui réunit, outre l’institution judiciaire représentée par le président du tribunal et le procureur de la République, la préfecture, les collectivités, les auxiliaires de justice et les associations. Il vise à développer l’accès au droit pour en assurer l’effectivité. Sur l’ensemble du département, il existe ainsi 24 structures destinées à informer et à accompagner les personnes dans leurs diverses démarches (2 maisons de justice et du droit à Villejuif et à Champigny-sur-Marne, 7 points de justice généralistes, 6 points spécialisés en direction notamment des jeunes, des familles ou des détenus, 9 relais d’accès au droit). C’est un maillage serré qui a permis d’assurer l’accueil de près de 100 000 personnes en 2023, mais qui doit encore être renforcé dans le Sud-Est du territoire.
AJ : Avez-vous des dispositifs innovants et spécifiques au CDAD du Val-de-Marne ?
Éric Bienko Vel Bienek : Oui, car il est nécessaire de faire évoluer nos dispositifs pour intéresser davantage de personnes et répondre aux nouveaux besoins. Très récemment, a ainsi été mis en place pour la période des Jeux olympiques de Paris 2024 un point de justice éphémère au terminal 3 de l’aéroport d’Orly, du 22 juillet jusqu’au 5 août. Ce dispositif a permis aux personnes qui arrivaient ou qui repartaient d’obtenir des renseignements sur tous les domaines possibles et dans différentes langues. Près de 300 personnes y ont été accueillies. Nous proposons également des formations dispensées sous forme ludique par des juristes qui utilisent des jeux pour travailler par exemple sur l’éducation budgétaire ou la citoyenneté. Nous avons également organisé avant l’été une rencontre avec une ancienne dessinatrice de presse pour les jeunes. Enfin, un projet est en cours de développement autour d’un bus de l’accès au droit pour renforcer le maillage dans le Sud-Est du département, de manière itinérante afin d’aller au plus près de la population de cette zone géographique.
Référence : AJU015f1
