Le défi de la protection transfrontière des adultes vulnérables

Publié le 31/10/2023
Le défi de la protection transfrontière des adultes vulnérables
Chlorophylle/AdobeStock

Si elles permettent d’insister sur la nécessité de considérer la protection transfrontière des adultes, les propositions européennes récentes de réglementation en ce domaine invitent à questionner les enjeux de la multiplication des sources et à réfléchir à la mise en place des outils juridiques à même d’assurer la réalisation des objectifs recherchés.

La question de la protection des majeurs vulnérables est devenue une donnée essentielle du droit civil dans un contexte de vieillissement1 de la population et de respect des personnes. Le législateur français est favorable à une protection qui ne soit pas occasionnelle mais durable, qui soit adaptée à l’état de la personne et non uniforme : à ce titre il organise la protection de la personne et la gestion des biens du majeur qu’une altération de ses facultés mentales met dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts. Ainsi, le passage du droit des majeurs incapables résultant de la loi du 3 janvier 19682 au droit des majeurs protégés par la loi n° 2007-308 du 5 mars 20073 s’inscrit dans une histoire de 50 ans de pratiques socio-judiciaires pour améliorer le traitement juridique de ces situations complexes4. Ce mouvement français n’est pas isolé. De nombreux États européens, tels l’Allemagne avec sa loi du 12 septembre 1990 portant réforme de la tutelle et de la curatelle des majeurs, le Danemark en raison d’une loi du 14 juin 1995, l’Espagne et l’Italie respectivement au regard de la loi du 18 novembre 2003 et de la loi du 9 janvier 2004, et non européens ont eu les mêmes préoccupations5. S’il n’existe pas de notion unique et bien définie d’adultes vulnérables, les différents systèmes juridiques montrent que le droit est enclin à prévoir des mesures judiciaires et/ou administratives pour assurer la protection ou le soutien des personnes qui ne sont plus en mesure d’exercer leurs droits ou d’assumer leurs obligations en pleine conscience du sens, de la valeur et de la portée de leurs décisions et de veiller à leurs intérêts6. Cette exigence de protection des majeurs n’échappe pas au phénomène de la mondialisation7. L’expansion de biens personnels et des intérêts personnels à l’étranger peut concerner des sujets de droit fragilisés en raison de différents types d’incapacité. Les réflexions menées en droit interne se prolongent dans la sphère internationale dès lors que le majeur est amené à bouger d’un État vers un autre ou à être en lien avec un autre État. La fréquence des difficultés liées à la protection des majeurs dans l’ordre international s’accentue d’ailleurs compte tenu du choix de certains sujets de prendre leur retraite à l’étranger, de la fragilité d’anciens immigrés8 et de manière générale d’une population désormais très mobile9. Les situations complexes, mettant en jeu des aspects d’extranéité, ne sont plus des hypothèses d’école, et il existe bien un réel enjeu de la protection transfrontière des majeurs dont se saisit le droit international privé.

Le défi de la protection transfrontière des adultes suppose de faciliter les réponses aux questions que pose de manière générale le droit international privé pour identifier la compétence des juges, la loi applicable et faciliter la reconnaissance et l’exécution des mesures. Quel est le tribunal compétent pour rendre des décisions portant sur le bien-être personnel ou/et les biens et les affaires d’un adulte en incapacité ? Quelle loi appliquer dès lors qu’il y a eu déménagement du majeur ? Quelle est la reconnaissance de la mesure de protection dans un autre État ? Comment assurer le suivi de la mesure ?

Dans cette perspective, l’adoption de la convention de la Haye du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes entrée en vigueur en France le 1er janvier 2009, dont la structure est similaire à celle de la convention du 19 octobre 1996 en matière de protection des mineurs, a été saluée comme une avancée majeure pour le traitement de ces situations internationales10. Cette convention illustre indéniablement la recherche d’un cadre global pour la coopération judiciaire entre les autorités des États afin de faciliter la gestion juridique d’une tutelle ou d’une curatelle internationale. Elle traduit la prise de conscience par les États de la nécessité de coopérer sur cette délicate question de la protection des majeurs pour faciliter non seulement la mise en place d’une mesure de protection11 mais encore pour permettre une continuité de cette protection malgré la donnée internationale de la situation dans laquelle se trouve placé le majeur. De manière générale la prise en considération de la volonté des adultes et le respect de leur dignité est une des marques de l’évolution du droit contemporain et cette convention contribue ainsi, tout comme la convention des Nations unies du 13 décembre 200612 sur le droit des personnes handicapées, à rendre audible la nécessité de protéger la personne vulnérable dans la sphère internationale. Cette volonté politique se retrouve également au sein de l’espace judiciaire européen puisque la Commission a présenté fin mai 2023 une proposition de règlement concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des mesures et la coopération en matière de protection des adultes13 questionnant les enjeux d’articulation des règles. La protection des adultes n’est pas seulement concernée par des questions de techniques juridiques. Si la protection repose sur des acteurs judiciaires, il existe aussi un maillage extrajudiciaire essentiel. La famille mais aussi des professionnels de l’accompagnement, tels en France les mandataires judiciaires à la protection des majeurs14, sont au centre de l’accompagnement personnel dans les actes de la vie quotidienne et au cœur de la protection patrimoniale. Par ailleurs, les législateurs contemporains encouragent aussi fortement la personne à anticiper ses besoins et à être actrice de sa protection, à l’exemple du mandat de protection future15 introduit par le législateur français en 2007.

Aussi, un des défis de la protection transfrontière des adultes est de pouvoir faciliter la circulation des informations au-delà de la frontière pour ne pas amoindrir les droits du sujet et de renforcer la mise en œuvre des règles. La recherche d’un cadre juridique global cohérent pour permettre la protection transfrontière des adultes (I) ne doit pas occulter les difficultés concrètes de sa mise en œuvre (II).

I – La recherche d’un cadre juridique global de protection transfrontière des majeurs

La protection transfrontière des adultes repose sur un instrument international essentiel, la convention de la Haye du 13 janvier 2000, qui est indéniablement sous utilisée (A) et qui remet en question la nécessité d’une protection européenne complémentaire (B).

A – Une sous-utilisation regrettable de la convention de la Haye du 13 janvier 2000

En établissant un mécanisme de coopération entre ses États contractants, la convention de La Haye de 2000 a permis une avancée considérable de la protection transfrontière des adultes. Considérant à la fois les questions de compétence des autorités, de loi applicable et de reconnaissance des mesures, elle a été adoptée pour assurer, dans les situations à caractère international, la protection des adultes qui en raison d’une altération ou d’une insuffisance de leurs facultés personnelles16 ne sont pas en état de pourvoir à leurs intérêts17. Applicable dans tous les États contractants, la convention ne délimite pas expressément la localisation géographique des personnes auxquelles elle s’applique et il n’est pas exigé que le majeur ait la nationalité d’un pays contractant. L’ampleur du domaine juridique embrassé par la convention est cependant contrebalancée par l’étroitesse relative de son application dans l’espace18 dès lors que seuls 15 États sont concernés19. L’efficacité du texte n’est pas remise en cause puisqu’il s’agit d’une convention assez complète qui a su sérier les besoins et dont le fonctionnement n’a pas soulevé de grandes difficultés pratiques. Elle fournit des règles uniformes permettant de déterminer les autorités nationales compétentes pour prendre des mesures de protection nécessaires. Elle retient principalement la compétence des autorités du lieu de résidence habituelle de l’adulte20 tout en considérant la compétence subsidiaire des autorités de l’État dont l’adulte a la nationalité21. De plus, selon l’article 9 les autorités de l’État dans lequel les biens de l’adulte sont situés peuvent être reconnues compétentes pour prendre des mesures les concernant. La convention prévoit aussi une compétence d’urgence des autorités de l’État où se trouve l’adulte ou des biens lui appartenant22. S’agissant de la loi applicable, détrônant23 le critère de la nationalité, la convention retient principalement24 la compétence de la loi de l’autorité25.

Sa faiblesse majeure est sa sous-utilisation. Le processus de coopération intergouvernementale dépend de l’adhésion des États au dispositif et il apparaît qu’elle est entrée en vigueur dans trop peu d’États pour véritablement considérer qu’il y a un cadre juridique global. La conférence de la Haye de droit international privé (HCCH), elle-même, en a conscience puisqu’elle mène des actions de sensibilisation pour favoriser les ratifications et faciliter la circulation des mesures de protection et des pouvoirs de représentation. Ainsi du 5 au 7 décembre 2018, à Bruxelles, s’est tenue une conférence organisée conjointement par la HCCH et la Commission européenne avec la participation de plus de 30 pays européens et non européens pour leur permettre d’évaluer les possibilités et les intérêts d’en faire partie26. La HCCH a par ailleurs travaillé à l’élaboration d’un manuel pratique sur le fonctionnement de la convention de 200027 qui contribue assurément à promouvoir ce texte28. Non contraignant, il est un guide pour les praticiens et les autorités centrales des États chargées de mettre en œuvre la convention29. La nécessité de prendre en considération le traitement transfrontière de la protection des adultes va de pair avec les évolutions nationales et il apparaît que ce sont dans les 20 dernières années que la prise de conscience s’est accrue. Aussi faut-il laisser du temps au texte pour s’imposer ou forcer son application. C’est ce qui ressort notamment de la proposition de règlement européen diffusée par la Commission européenne en mai 2023.

B – Un risque évident de mise en place d’une protection européenne des adultes complémentaire

Finalement, tous les États de l’Union européenne ne sont pas parties contractantes à la convention de la Haye alors même que c’est une préoccupation majeure dans l’espace judiciaire européen. C’est face à ce constat que s’est posée la question d’une protection européenne des adultes. Cependant, la délimitation même de la protection européenne interroge puisque, si protéger les adultes vulnérables dans l’Union européenne signifie assurément protéger les adultes vulnérables qui résident habituellement dans l’Union européenne et leurs biens qui y sont localisés, cela signifie aussi protéger les adultes vulnérables européens se trouvant à l’extérieur de l’Union européenne et leurs biens situés à l’extérieur de l’Union européenne. Il est donc essentiel de ne pas multiplier les règles ou de bien prévoir leurs articulations avec la convention de la Haye de 2000 qui est pour l’instant le seul outil permettant d’envisager un cadre juridique global.

La diversification des sources ne doit pas engendrer un risque d’imprévisibilité et d’insécurité juridique pour les adultes concernés sous peine d’avoir un résultat contraire à l’objectif recherché. Ainsi, la délicate articulation entre la convention de la Haye du 19 octobre 1996, concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de protection des enfants, avec les règlements Bruxelles II bis et Bruxelles II ter, entraîne parfois des incertitudes et une imprévisibilité juridique préjudiciable aux enfants vulnérables30. De manière générale, l’inflation des textes internationaux, particulièrement dans le domaine de la protection de l’enfance, est dénoncée31 et l’utilité de l’adoption d’un texte spécifique au niveau de l’Union européenne droit être éprouvée. Il faut donc saluer le fait que la proposition en matière de protection des majeurs insiste bien sur l’aspect complémentaire du dispositif32.

L’Union européenne envisage de compléter le cadre juridique international existant par une norme européenne spécifique. Le texte permettrait de poser de nouvelles règles visant à garantir le maintien de la protection des adultes dans les situations transfrontières et le respect de leur droit à l’autonomie individuelle lorsqu’ils se déplacent au sein de l’Union européenne tout en renforçant le rôle de la convention de la Haye par renvoi33 à l’instar de ce qui existe en matière d’obligations alimentaires34. Cette proposition s’accompagne d’ailleurs d’une décision du Conseil autorisant des États membres à devenir ou rester parties, dans l’intérêt de l’Union européenne, à la convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes. Pour éviter les difficultés de coordination des sources, le règlement proposé s’appliquerait dans les États membres tandis que la convention de la HCCH s’appliquerait aux pays tiers qui sont des États parties à la convention. Cette complémentarité permettrait d’offrir un cadre cohérent de droit international privé applicable à la protection des adultes dans les États membres et non membres de l’Union européenne. Le droit de l’Union européenne permet de surcroît de favoriser l’application uniforme des règles puisque la Cour de justice de l’Union européenne dispose par sa jurisprudence d’une possibilité d’uniformiser et d’homogénéiser les pratiques au sein des différents États membres. Il y a donc dans ces projets une véritable recherche d’un cadre juridique global cohérent pour faciliter le traitement des questions de conflit de juridictions et de conflit de lois.

Pour autant, il ne faut pas occulter le risque d’une multiplication des textes puisque les retours d’expérience des textes européens en matière familiale illustrent une fragilité inquiétante marquée par leur modification rapide. Le passage du règlement Bruxelles II à celui de Bruxelles II ter pour la compétence, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale en moins de 20 ans, suscite des inquiétudes quant à la pérennité d’un texte européen en matière de protection des adultes. Les matières relevant du droit de la personne et de la famille sont tellement imbriquées qu’il est parfois difficile d’identifier les conséquences de l’adoption des règles sur la mise en œuvre d’autres. En venant se juxtaposer à la convention de la Haye de 2000 s’agissant de l’identification des autorités compétentes et de la loi applicable, le nouveau dispositif mettrait en place trois régimes pour le praticien : celui applicable entre États membres de l’Union européenne, celui applicable avec les États tiers parties contractants à la convention et celui applicable dans les situations concernant des États tiers non parties. Même si des précautions sont prises pour insister sur la complémentarité du dispositif, il est sans doute regrettable qu’il n’y ait pas une étape de diagnostic reposant sur l’utilisation des dispositifs de la convention dans tous les États membres. Outre la nécessité de ne pas diversifier les règles applicables, la recherche d’un cadre juridique global cohérent doit surtout lever les difficultés pratiques de la protection transfrontière des adultes et appuyer la mise en place d’outils techniques facilitant sa mise en œuvre afin qu’elle ne reste pas lettre morte.

II – La mise en place d’outils techniques facilitant la mise en œuvre de la protection transfrontière des adultes

Au-delà du traitement des questions de droit international privé, le défi de la protection internationale des adultes est souvent, selon les praticiens, l’identification des adultes concernés et la reconnaissance des pouvoirs des organes protecteurs. Une protection transfrontière des adultes effective exige non seulement de faciliter la circulation des informations relatives à la mise en place d’un régime de protection (A) mais encore de permettre aux protecteurs de réaliser leurs missions (B).

A – L’enjeu de la circulation transfrontière des informations relatives au majeur

La protection transfrontière efficace des adultes implique une coopération efficace entre États. Tout comme pour les mineurs, la facilité de déplacement impose le recours à des réseaux de coopération et il est commun désormais, en raison des règles conventionnelles, d’utiliser le relais d’autorités centrales35. S’agissant des majeurs, la protection comprend non seulement la mise en place d’une mesure de protection mais encore le suivi de l’exercice de la mesure. Donner compétence aux autorités de la nouvelle résidence exige que les autorités aient connaissance du dossier et que soit facilité l’échange d’informations entre autorités de l’État requérant et l’État requis. Le déménagement de l’adulte nécessite une transmission d’informations sur le transfert de résidence aux nouvelles autorités compétentes. Or, les majeurs protégés ne sont pas toujours capables de fournir eux-mêmes des renseignements sur leurs situations juridiques. Un des défis de la protection transfrontière des adultes est la mise en place de registres nationaux, voire européens. Le registre apparaît en effet comme une donnée pratique indispensable pour identifier l’existence d’une mesure et sa nature. Le déménagement transfrontière peut s’ajouter à des déménagements dans l’État d’origine et il existe de vraies difficultés pratiques. À défaut de tels registres, reconstituer le parcours peut s’avérer complexe et générer une perte de temps considérable qui heurte les exigences d’une protection efficiente. Ainsi selon le droit français, un extrait d’état civil peut être demandé afin de pouvoir consulter la mention « RC », répertoire civil qui fait état de la mesure de protection36. Toutefois la mention ne fera que référence au tribunal ayant reçu la décision du juge des tutelles aux fins d’inscription au répertoire mais il y aura peut-être eu déménagement en France du majeur postérieurement à la prise de décision et cette identification ne sera pas la bonne. L’autorité centrale française peut par ailleurs être questionnée sur un sujet de droit ayant résidé en France mais qui n’est pas français et pour lequel il n’y a pas d’extrait d’état civil. Enfin, certains dispositifs ne font l’objet d’aucune mesure de publicité. C’est ainsi une des critiques majeures qui a été faite à l’égard du mandat de protection future institué en France par la loi du 5 mars 200737. La loi n° 2015-1776 du 28 décembre 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement, a introduit un article 477-1 du Code civil aux termes duquel le mandat de protection future est publié par une inscription sur un registre spécial dont les modalités et l’accès sont réglés par décret en Conseil d’État. Le besoin d’un registre général des mesures de protection juridique des majeurs et des directives anticipées a été identifié mais le registre n’existe toujours pas38.

Pour transmettre des informations, encore faut-il réussir à les obtenir rapidement, ce que seul un registre performant respectueux de la protection des données personnelles peut réellement permettre. C’est dans cette perspective que la convention de la Haye de 2000 est pragmatique puisqu’elle a mis en place le rôle essentiel des autorités centrales chargées de faciliter la mise en œuvre des dispositions. Chaque État contractant doit en effet désigner une autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par la convention. Les autorités doivent prendre les dispositions appropriées pour fournir des informations sur la législation, ainsi que sur les services disponibles dans leur État en matière de protection de l’adulte. Les auteurs du texte ont bien conscience que la mise en œuvre concrète des dispositions suppose le concours des autorités compétentes et de manière générale de tous les organismes en mesure de localiser le majeur sur un territoire. Cependant, la proposition de règlement européen permet d’insister sur la défaillance du système actuel dès lors qu’il n’existe pas de moyens d’accéder aisément aux informations. En prévoyant de prioriser la communication numérique39 entre autorités des États membres de l’Union européenne et de mettre en place des registres interconnectés40, la proposition montre, à juste titre, qu’il ne peut pas y avoir une avancée remarquable du cadre légal de protection sans la mise en place d’outils techniques de coopération pour faciliter la circulation des informations et, de manière générale, une mise en place de réseaux de coopération efficaces. Or, l’Union européenne facilite indéniablement la coopération judiciaire en matière civile et commerciale. Sous cet angle, une proposition européenne de ce genre viendrait compléter des textes que l’Union européenne a déjà adoptés et dont on oublie souvent l’importance pratique qu’ils peuvent avoir dans le cadre de la protection des adultes. Ainsi, le règlement (CE) n° 1206/2001, relatif à la coopération entre les juridictions des pays de l’Union européenne en matière d’obtention de preuves en matière civile et commerciale, peut tout à fait s’appliquer dans le cadre d’une procédure judiciaire relative à la protection d’un majeur afin de permettre un dialogue entre juridictions. Il en va de même du règlement (CE) n° 1393/2007 relatif à la signification et à la notification dans les États membres des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civil et commerciale. La protection transfrontière des adultes doit en outre prendre en compte les difficultés des organes protecteurs à voir reconnaître leurs pouvoirs.

B – L’enjeu de la circulation des pouvoirs des organes de protection

La protection des adultes induit des organes, tels en France les tuteurs et les curateurs, lesquels, dès lors que la situation comporte des éléments d’extranéité, sont directement impactés par les conséquences transfrontières de leurs missions. Au-delà des difficultés pour identifier les réponses aux questions de droit international privé que la situation pose, pour obtenir des informations dont ils peuvent avoir besoin avec une possibilité de barrière de la langue, il existe un enjeu de la circulation de leurs pouvoirs. En effet, un des défis majeurs de la protection transfrontière est la reconnaissance à l’étranger des mesures de protection qu’elles soient judiciaires ou extrajudiciaires dans le cadre d’une anticipation de la vulnérabilité par le majeur lui-même.

C’est pourquoi la convention de la Haye de 2000 a prévu que toutes les mesures prises par les autorités d’un État contractant soient reconnues de plein droit dans les autres États contractants et que si des mesures prises dans un État contractant, et qui y sont exécutoires, comportent des actes d’exécution dans un autre État elles soient dans cet autre État déclarées exécutoires ou enregistrées aux fins d’exécution selon la procédure de cet État41. De même, elle a prévu la possibilité d’un certificat permettant la circulation des pouvoirs. En effet, les autorités de l’État contractant dans lequel une mesure de protection a été prise ou un pouvoir de représentation confirmé peuvent délivrer à toute personne à qui est confiée la protection de la personne ou des biens de l’adulte, à sa demande, un certificat indiquant sa qualité et les pouvoirs qui lui sont conférés42. Ce faisant, la convention a identifié un des défis majeurs de la gestion de la situation transfrontière de la protection de l’adulte, celui de la continuité des droits et donc des pouvoirs, le laissant cependant facultatif.

L’enjeu n’est pas spécifique à la protection des adultes. Un des objectifs du règlement (UE) n° 650/2012 du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, a été de permettre aux héritiers, légataires, exécuteurs testamentaires ou les administrateurs de la succession, de pouvoir prouver rapidement et facilement leur statut, leurs droits et pouvoirs dans un autre État membre en instituant un certificat spécifique. La proposition de règlement européen en matière de protection des adultes s’inspire de cette idée en instituant un certificat européen de représentation. Il faut qu’en pratique les représentants, confrontés à la présence de biens immobiliers ou d’actifs dans un autre État membre ou à un déménagement ou encore à la localisation de l’adulte à l’étranger, puissent démontrer facilement leur statut et leurs pouvoirs dans un autre État membre. Dans cette perspective, l’instauration d’un certificat uniforme au niveau des États membres apparaît effectivement comme un outil technique simplificateur.

Toutes ces données ne doivent cependant pas occulter le fait que le dispositif reste limité et qu’il faut développer une connaissance de ces outils par les protagonistes eux-mêmes. Tout comme pour le certificat successoral européen, ce projet de certificat ne devrait pas se substituer aux documents internes, qui peuvent exister à des fins similaires dans les États membres en raison du principe de subsidiarité du droit européen, et serait facultatif43. Par ailleurs, l’ajout de règles n’empêche pas les difficultés liées à la méconnaissance des mécanismes de coopération et des instruments adoptés. Le droit international privé demeure une matière complexe et les différentes missions d’évaluation de la coopération judiciaire civile européenne soulignent systématiquement un déficit d’identification des règles et outils existants par la majeure partie des citoyens et des professionnels du droit. L’élément d’extranéité est souvent perçu comme une curiosité juridique puisque tout ce maillage est enclin à raisonner en droit interne et la mise en place des règles et outils spécifiques doit être vulgarisée, promue, démystifiée afin que le passage de la frontière ne soit pas vécu comme une perte des droits du majeur protégé ou à protéger.

Même si la protection transfrontière des adultes est un enjeu majeur du droit international privé contemporain, l’incursion du droit de l’Union européenne doit prioriser la mise en place d’outils techniques et veiller à la bonne articulation avec les règles de la convention de la Haye de 2000 qui n’a pas déployé tout son potentiel. La coopération entre États, indispensable, doit reposer sur des règles claires, accessibles et promues, et s’accompagner d’une formation des acteurs de la protection. Les législateurs nationaux, dès lors qu’ils sont de plus en plus souvent enclins à réguler le droit des majeurs protégés, doivent aussi envisager la sphère internationale pour considérer les enjeux transfrontières de leurs droits nationaux44.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2015-1776, 28 déc. 2015, relative à l’adaptation de la société au vieillissement. V. not. B. Barthelet et E. Mallet, « Accompagnement du vieillissement, les principales mesures contenues dans la loi du 28 décembre 2015 », JCP N 2016, 100, p. 5 ; A.-L. Fabas-Serlooten, « Adaptation de la société au vieillissement, un nouveau regard sur la perte d’autonomie », AJ fam. 2016, p. 90.
  • 2.
    L. n° 68-5, 3 janv. 1968, portant réforme du droit des majeurs incapables : JO, 4 janv.1968, p. 114.
  • 3.
    J. Hauser, « Des incapables aux personnes vulnérables », Dr. famille 2007, étude 14.
  • 4.
    G. Raoul-Cormeil, « Propos introductifs » in Nouveau droit des majeurs protégés, difficultés pratiques, Thèmes et commentaires, 2012, Dalloz, spéc. p. 1.
  • 5.
    D. Guérin-Seysen, « La dimension internationale de la protection juridique des majeurs », RDSS 2011, p. 275, spéc. p. 280.
  • 6.
    https://www.the-vulnerable.eu/.
  • 7.
    Tout comme celle de la protection des mineurs. V. not. s’agissant des questions relatives à l’adoption internationale, B. Bourdelois, « L’adoption internationale », Droit international privé, Trav. com. fr., 15e année 2000-2002, 2004, p. 139.
  • 8.
    M. Révillard, « Les majeurs protégés en droit international privé et la pratique notariale », la Haye, 14-17 avr. 1997, note établie à la demande du bureau permanent de la conférence de la Haye de droit international privé, in Actes et documents de la XVIIIe session ; « Protection internationale des adultes et droit international privé des majeurs protégés », Defrénois 15 janv. 2009, n° 38876, p. 35.
  • 9.
    A. Gosselin-Gorand, « L’internationalisation de la situation des majeurs handicapés : l’hébergement dans des établissements spécialisés transfrontaliers », LPA, numéro spécial, 115e congrès des notaires de France, L’international qualifier-rattacher-authentifier, LPA 24 mai 2019, n° LPA144p2, spéc. p. 29.
  • 10.
    P. Lagarde, convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes. Rapport explicatif, bureau permanent de la conférence, disponible sur le site de la conférence de la Haye de droit international privé : http://www.hcch.net ; « La convention de la Haye sur la protection internationale des adultes », Rev. crit. DIP 2000, p. 159 et s.
  • 11.
    Selon l’article 3, les mesures visées par la convention peuvent porter sur la détermination de l’incapacité et l’institution d’un régime de protection ; la mise de l’adulte sous la sauvegarde d’une autorité judiciaire ou administrative ; c) la tutelle, la curatelle et les institutions analogues ; d) la désignation et les fonctions de toute personne ou organisme chargé de s’occuper de la personne ou des biens de l’adulte, de le représenter ou de l’assister ; e) le placement de l’adulte dans un établissement ou tout autre lieu où sa protection peut être assurée ; f) l’administration, la conservation ou la disposition des biens de l’adulte ; g) l’autorisation d’une intervention ponctuelle pour la protection de la personne ou des biens de l’adulte.
  • 12.
    Elle a été ratifiée par la France le 18 février 2010.
  • 13.
    https://lext.so/-MSLlb.
  • 14.
    V. not. Y. Favier, « Le mandataire judiciaire à la protection des majeurs : une nouvelle profession sociale », RDSS 2008, p. 826.
  • 15.
    C. civ., art. 477 et s.
  • 16.
    Les termes permettent d’englober les majeurs handicapés moteurs ou mentaux qui ont une insuffisance de leur faculté personnelle mais aussi les majeurs qui notamment en raison de la vieillesse ont une altération de leurs facultés.
  • 17.
    Convention de la Haye sur la protection internationale des adultes, art. 1, § 1.
  • 18.
    I. Barrière-Brousse, « Le nouveau droit international privé des incapacités et la loi du 5 mars 2007 », Dr. famille 2009, n° 2, études 14, spéc. p. 15.
  • 19.
    https://lext.so/huJtL3 ; en 2023, 15 parties contractantes sont ainsi concernées.
  • 20.
    Convention, art. 5.
  • 21.
    Art.7 et P. Lagarde, convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes. Rapport explicatif, bureau permanent de la conférence, disponible sur le site de la conférence de la Haye de droit international privé : http://www.hcch.net ; « La convention de La Haye sur la protection internationale des adultes », Rev. crit. DIP 2000, p. 159 et s.
  • 22.
    Convention, art. 10.
  • 23.
    D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, t. 2, Thémis, 5e éd., 2021, PUF, spéc. n° 633.
  • 24.
    Il y a des dispositions spécifiques pour les pouvoirs de représentation, art. 15 et s.
  • 25.
    Convention, art. 13.
  • 26.
    La HCCH a organisé en décembre 2018 une conférence conjointe avec la Commission européenne pour promouvoir la convention et permettre aux participants d’évaluer les possibilités et les intérêts d’en faire partie. https://lext.so/xSX-zv.
  • 27.
    https://lext.so/8wxq9G.
  • 28.
    La Grèce et Malte sont devenus parties contractantes en 2022 et 2023.
  • 29.
    Convention, art. 28 et s.
  • 30.
    V. not. E. Gallant, Répertoire de droit européen compétence, reconnaissance et exécution : matières matrimoniale et de responsabilité parentale, 2023, Dalloz, nos 82 et s.
  • 31.
    V. not. E. Gallant, Responsabilité parentale et protection des enfants en droit international privé, 2004, Defrénois ; Y. Lequette, Protection familiale et protection étatique des incapables, 1972, Dalloz ; « Le droit international privé de la famille à l’épreuve des conventions internationales », RCADI 1994.
  • 32.
    Proposition, cons. 7 et 8.
  • 33.
    Art. 5 : Subject to article 6 of this Regulation, jurisdiction shall be determined in accordance with Chapter II of the HCCH 2000 Protection of Adults Convention ; Art 8 : The law applicable to the cross-border protection of adults shall be determined in accordance with Chapter III of the HCCH 2000 Protection of Adults Convention.
  • 34.
    Le règlement (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires, adopte s’agissant de la loi applicable par référence le protocole de la Haye du 23 novembre 2007 adopté par la conférence de droit international privé relatif à la loi applicable aux obligations alimentaires.
  • 35.
    G.-A.-L. Droz, « Évolution du rôle des autorités administratives dans les conventions de droit international privé au cours du premier siècle de la conférence de la Haye », in Études offertes à Pierre Bellet, 1991, Litec, p. 129.
  • 36.
    C. civ., art. 444.
  • 37.
    C. civ., art. 415-427 et C. civ., art. 477-491.
  • 38.
    V. not. A. Batteur et L. Mauger-Vielpeau, Droit des personnes, des familles et des majeurs protégés, 11e éd., 2021, LGDJ, spéc. nos 1459 et s.
  • 39.
    Proposition « Digital communication », chap. 10.
  • 40.
    Proposition « Establishment and interconnection of protection registers », chap. 8.
  • 41.
    Convention, art. 22 et s.
  • 42.
    Convention, art. 38.
  • 43.
    Proposition de règlement, cons. 36 et s.
  • 44.
    À titre d’exemple, l’article 443, alinéa 2, du Code civil français permettant au juge français de mettre fin à la mesure de protection, « lorsque la personne protégée réside hors du territoire national, si cet éloignement empêche le suivi et le contrôle de la mesure », affaiblit la protection transfrontière dès lors que le juge peut constater la fin de la mesure au lieu de mettre en œuvre une procédure de transfert comme l’organise la convention de la Haye.
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