Le délit de non-représentation de l’enfant à l’épreuve de la loi territorialement applicable
Par un arrêt en date du 21 juin 2023, la Cour de cassation rappelle, dans la continuité de sa jurisprudence antérieure, que le lieu de commission du délit de non-représentation est celui où le mineur doit être représenté. En l’absence de précision sur ce point, ce lieu est le domicile du parent en droit de le réclamer. Aussi, l’infraction est caractérisée sans égard des décisions juridictionnelles prononcées à l’étranger, dès lors qu’elles ont été obtenues par fraude, en méconnaissance de l’ordre public international procédural français.
Cass. crim., 21 juin 2023, no 23-80031
Au-delà des fissures qu’elle creuse dans les relations conjugales, la rupture des parents est à l’origine de profonds bouleversements au sein de la sphère familiale. Premiers concernés par les tumultes émotionnels, les enfants se trouvent rapidement, malgré eux, tiraillés entre la douleur ressentie et le tourbillon des conséquences juridiques, psychologiques et sociales issues de la séparation. De plus, à l’image d’une tragédie antique, l’enlèvement par l’un des parents ajoute un caractère dramatique aux évènements déjà déchirants et « plonge l’enfant dans la difficile position d’otage »1. Cependant, alors que l’on aurait pu rester à ce stade, la complexité s’intensifie, d’autant plus en présence d’un élément d’extranéité. Lorsque les personnes impliquées résident dans différents États ou encore lorsque les décisions relatives à l’enfant sont prises par des juridictions étrangères, les frontières et les barrières culturelles ne font que rajouter un niveau supplémentaire de difficulté.
À l’instar d’un nœud complexe des liens familiaux et de législations transnationales, la commission du délit de non-représentation, dans un contexte qui dépasse les frontières étatiques, est révélatrice des défis poignants auxquels doivent faire face les systèmes juridiques nationaux pour protéger, selon les règles qui les régissent, à la fois les droits de l’enfant et le maintien des relations avec ses représentants légaux. Incriminée à l’article 227-5 du Code pénal, la non-représentation d’enfant est donc susceptible de comporter une dimension internationale2, notamment dans le cadre d’un enlèvement. Au-delà de la caractérisation des éléments constitutifs de l’infraction, propre au droit pénal spécial, cette portée internationale de l’infraction implique également des problématiques qui relèvent du droit pénal général, comme en atteste l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 21 juin 2023.
En l’espèce, après un mariage célébré à l’étranger, une ressortissante syrienne, mère d’un enfant mineur, a déposé le 2 avril 2015 une requête en divorce au greffe du tribunal judiciaire. Parallèlement, à l’occasion d’une instance en divorce introduite par l’époux devant une juridiction siégeant à Damas, le juge syrien a ordonné la remise du mineur au père. Alors que le mineur se trouvait avec sa mère en vacances aux Émirats arabes unis, l’époux a obtenu une ordonnance des tribunaux locaux, en application de la décision damascène, interdisant le voyage de son fils. À son retour seule en France, l’épouse a obtenu du juge aux affaires familiales une ordonnance de non-conciliation fixant la résidence de l’enfant au domicile de sa mère. Cette ordonnance rendue par le juge français rentrait par la suite en conflit avec un jugement rendu postérieurement par le tribunal d’un district de la ville de Moscou. Cette juridiction, saisie par l’époux, a décidé de fixer la résidence de l’enfant mineur chez son père, domicilié désormais en Russie. Sur la plainte de l’épouse, le père fut alors poursuivi et condamné du chef de non-représentation d’enfant par le tribunal correctionnel qui a écarté l’application de la décision civile rendue en Syrie. N’ayant obtenu gain de cause en appel, le prévenu forma alors un premier pourvoi. Il engagea le débat sur l’exception d’incompétence de la loi française : parce qu’il a obtenu la garde de son fils, en vertu du droit syrien, antérieurement à l’ordonnance française de non-conciliation, la loi française ne pouvait avoir compétence pour sanctionner pénalement l’inexécution prétendue de cette dernière. Et l’argument a porté, puisque la chambre criminelle censura les juges d’appel qui ont manqué de vérifier la régularité ainsi que la conformité à l’ordre interne de la décision rendue à l’étranger3. La cour d’appel de renvoi rentra à nouveau en condamnation en prenant néanmoins le soin de relever que le prévenu ne pouvait se prévaloir du contenu de décisions juridictionnelles obtenues en fraude des droits de son épouse. Le prévenu déposa alors un second pourvoi toujours centré autour de l’inapplicabilité de la loi pénale française.
À vrai dire, dès lors que l’enfant n’a pas été retenu physiquement sur le territoire de la République, au jour où la décision, dont l’inexécution est poursuivie, devient exécutoire, il paraît légitime de questionner l’applicabilité de la loi pénale française à la rétention effectuée par le prévenu. La question mérite d’autant plus d’être posée en présence de multiples décisions juridictionnelles étrangères, intervenues antérieurement et postérieurement, qui entrent en contradiction avec la position retenue par le juge civil français.
Néanmoins, dans le sillage de sa jurisprudence antérieure, la haute juridiction rejeta, cette fois-ci, le pourvoi en vertu, non pas des principes d’application de la loi pénale dans l’espace, mais de la forme du comportement incriminé. Parce que l’autorité des décisions juridictionnelles étrangères, obtenues par la fraude, doit s’effacer devant celle d’une décision prononcée par une juridiction française, le délit de non-représentation relève de la compétence de la loi pénale française à partir du moment où l’obligation de remise devait être effectuée en France. Cette « parcelle »4 de l’infraction, constitutive d’une condition préalable (I), suffit pour emporter la soumission de la totalité de l’infraction à la loi pénale française sans avoir recours à la prorogation légale de compétence de l’article 113-2, alinéa 2, du Code pénal (II).
I – La caractérisation de l’infraction
Pour déterminer si les faits reprochés au prévenu sont susceptibles de relever de la compétence de la loi pénale française, encore faut-il déterminer s’ils rentrent dans le cadre de l’incrimination de la non-représentation d’enfant. À ce titre, l’article 227-5 du Code pénal définit cette dernière comme « le fait de refuser indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de réclamer ».
Cette définition relativement simple, au niveau des éléments constitutifs de l’infraction, suppose néanmoins la réunion de certaines conditions préalables. En premier lieu, bien évidemment, le délit de non-représentation ne se conçoit qu’à propos d’un enfant mineur et, même si l’incrimination ne le précise pas, non-émancipé. Par ailleurs, le délit suppose qu’une personne se soit vu reconnaître le droit de réclamer le mineur. Sous l’empire de l’ancien Code pénal, l’incrimination se limitait à la non-représentation d’enfant judiciairement confié, c’est-à-dire dans les cas où le droit de réclamer l’enfant résultait d’une décision de justice ou d’une convention judiciairement homologuée. Cependant la généralité des termes désormais employés par le législateur élargit l’infraction à toute obligation de représentation qu’elle soit de nature légale, conventionnelle ou judiciaire. Malgré l’abandon à toute référence au titre judiciaire, il reste que, en pratique, la non-représentation n’est envisageable que si les termes d’une décision de justice n’ont pas été respectés. Au mieux, il permet de souligner que le fondement premier de l’incrimination est la protection de l’intérêt de l’enfant. Or, « pour déterminer en quoi il a été porté atteinte aux intérêts de l’enfant, une décision civile préalable est souvent nécessaire »5. Le plus souvent, c’est la méconnaissance d’une décision de justice, dès lors qu’elle est exécutoire, qui déterminera les poursuites engagées du chef de non-représentation d’enfant.
Une fois les conditions préalables établies, l’infraction, dans ses manifestations matérielles, consiste en un défaut de représentation à la personne en droit de réclamer l’enfant. Ce refus peut se concrétiser par un déplacement physique du mineur, afin de l’éloigner de la personne en droit de le réclamer6, ou encore par l’usage d’un stratagème pour rendre la représentation impossible7. Dans ces diverses hypothèses, le refus n’est pas caractérisé en tant que tel, mais les procédés mis en place par l’auteur constituent un obstacle à la représentation du mineur. De ce point de vue, l’élément matériel peut consister non seulement en un refus de remettre l’enfant, mais peut s’entendre de toute opposition directe ou indirecte mise à la représentation de celui-ci8. Plus encore, parce que la représentation ne doit pas être prise au sens civiliste du terme, il est clairement admis qu’une abstention, appréciée relativement au contenu précis de l’obligation de remise, suffit à caractériser l’infraction. Elle existe donc par le seul constat que le mineur n’a pas été représenté à la personne en droit de le réclamer en raison du refus de son auteur ou encore de la méconnaissance des modalités de cette représentation. Elle se trouve également établie lorsque l’auteur, par une inertie persistante, s’abstient d’accomplir toutes les diligences requises pour exécuter son obligation de représentation9.
Sur le plan de l’élément moral, la culpabilité du prévenu s’entend d’un refus indu de représenter l’enfant, c’est-à-dire sans droit, au mépris de l’obligation qui l’incombe10. Là aussi, les mobiles sont indifférents sauf en présence d’un danger actuel ou imminent qui menace l’intégrité ou la santé de l’enfant11. Aussi, la résistance du mineur ou l’aversion de l’enfant à l’égard du parent qui le réclame ne constitue ni une excuse légale ni une cause légale d’exemple de peine « sauf circonstances exceptionnelles »12.
En l’espèce, l’obligation de remise à la mère de l’enfant a pour fondement une ordonnance de non-conciliation exécutoire de plein droit. La simple rétention de l’enfant par le prévenu en contradiction avec les termes de cette ordonnance suffit donc pour caractériser l’élément matériel de l’infraction. À cet égard, le prévenu a pu invoquer, au soutien de son pourvoi, la décision rendue par le tribunal de Moscou qui serait de nature à remettre en cause l’établissement de la résidence de l’enfant chez sa mère. Néanmoins, un tel argument ne peut recevoir un écho favorable, car il est de jurisprudence constante que la modification ultérieure, fût-elle rétroactive13, des rapports des parties est sans effet sur l’existence de l’infraction. Parce que les éléments constitutifs doivent s’apprécier à la date des faits incriminés, une telle modification importe peu à partir de l’instant où l’ordonnance de non-conciliation revêtait un caractère exécutoire au jour de la rétention.
Par ailleurs, l’existence d’une décision postérieure statuant en sens contraire ne s’oppose pas à la culpabilité du prévenu dès lors que l’obligation de remettre l’enfant a été portée à sa connaissance. Une telle connaissance ne peut être influencée par des faits postérieurs, de sorte que seules les circonstances concomitantes au refus de représenter peuvent être prises en compte pour apprécier l’intention. La preuve de cette dernière ne soulève ici aucune difficulté à partir du moment où le prévenu avait parfaitement conscience de garder l’enfant au mépris de l’appréciation du juge aux affaires familiales français relative à l’intérêt de l’enfant. L’ignorance invoquée par le prévenu quant à la conservation du caractère exécutoire de l’ordonnance de non-conciliation postérieurement à la décision russe n’est de nature ni à chasser l’intention ni à constituer une erreur de droit au sens de l’article 122-3 du Code pénal. La culpabilité du prévenu se trouve d’autant plus établie qu’il a saisi les juridictions étrangères en fraude des droits de son épouse, en la domiciliant à une fausse adresse, afin qu’elles se déclarent compétentes, témoignant d’une volonté de contrarier les termes de l’ordonnance rendue par le juge français.
Au regard des circonstances de l’espèce, il s’avère que l’infraction est constituée en tous ses éléments. Néanmoins, compte tenu de l’emplacement géographique du prévenu au moment de la commission des faits incriminés, la détermination de la juridiction compétente apparaît délicate. Mais le problème sera rapidement résolu en considération des prévisions du juge civil.
II – La localisation de l’infraction
D’un point de vue purement matériel, les faits reprochés au prévenu ont été entièrement consommés en dehors du territoire français. Toutefois, l’obligation de remise trouve son fondement même dans une ordonnance de non-réconciliation qui a fixé la résidence du mineur chez sa mère, domiciliée en France. Il est possible de voir en cette condition, préexistante à l’infraction, un fait constitutif au sens de l’article 113-2, alinéa 2, du Code pénal, permettant ainsi de soumettre l’ensemble des faits reprochés à la loi pénale française. Conformément à la théorie de l’ubiquité, cette référence aux faits constitutifs est d’une redoutable efficacité puisqu’elle rayonne l’application de la loi pénale française non seulement au lieu où l’auteur a agi, mais aussi au lieu où son résultat s’est produit ou aurait dû se produire.
Mais le recours à cette fiction territoriale s’avère ici inutile dès lors que l’on considère qu’en présence d’une infraction d’omission, « la transgression du devoir, au sens du fait générateur, importe moins que le résultat transgressé, au sens du résultat »14. Puisque le résultat incriminé prévaut sur l’abstention volontaire, l’infraction doit donc être localisée au lieu où l’inaction a eu des conséquences. En d’autres termes, « c’est à l’endroit où est née l’obligation que se consomme le refus de l’exécution »15, c’est-à-dire au lieu « où l’action omise devait intervenir »16. Deux hypothèses sont alors envisageables : soit il y a bien une concordance entre le lieu où l’obligation d’agir est née et celui où elle doit être exécutée, alors c’est à cet endroit que doit être localisée l’infraction, soit il y a une discordance entre les deux alors l’infraction doit être localisée au lieu où l’action requise aurait dû être exercée.
La jurisprudence ne s’est ainsi pas trompée lorsqu’elle considère que le délit de non-représentation est commis au lieu où l’obligation de remise doit être exécutée. Ce lieu doit être déterminé « conformément aux dispositions de la décision de justice dont l’exécution doit être assurée »17 et à défaut « de précision sur ce point dans la décision fixant l’obligation de représentation, ce lieu est le domicile du parent en droit de le réclamer »18. Le délit se consommant à l’endroit où la remise de l’enfant doit être effectuée, la loi pénale française devient alors applicable sans qu’il y ait lieu d’opérer une distinction suivant que « le domicile du prévenu, ou l’endroit où est indûment retenu l’enfant se trouve, ou non, sur le territoire national, cette circonstance étant sans effet sur la détermination du lieu de commission de l’infraction ». Il ne peut en aller autrement que lorsque la décision fixant le droit de visite et d’hébergement du père précisait « expressément que ce droit devait s’exercer à l’étranger ». Dans ce dernier cas de figure, il s’ensuit alors une inapplicabilité de la loi pénale française, car aucun acte caractérisant l’un des éléments du délit de représentation qui, par sa nature, n’est pas une infraction complexe, n’a été accompli sur le territoire de la République19.
En conclusion, deux grands enseignements doivent être tirés de cet arrêt qui, bien qu’étant destiné à la publication, ne fait que rappeler les principes déjà solidement intégrés par la jurisprudence antérieure. S’agissant du délit de non-représentation en lui-même, il est du rôle du droit pénal de sanctionner tout irrespect d’une décision de justice dès lors qu’il statue sur l’intérêt de l’enfant. En raison de son objet, la contestation d’une telle décision « doit intervenir selon les règles appropriées, substituant la force au droit, un parent ne peut décider de faire justice lui-même »20. Tout recours frauduleux ne peut que discréditer sa cause, car affectant le lien que l’enfant doit pouvoir entretenir avec ses proches. Ensuite, par sa nature passive, l’infraction de non-représentation doit être considérée comme totalement réalisée sur le territoire de l’État où l’obligation de remise aurait dû être réalisée et qu’il s’avère inutile « là où une réalité s’impose, de faire intervenir une fiction ».
Notes de bas de pages
-
1.
M.-P. Poilpot, « Les enlèvements parentaux : une violence contre l’enfant », RJPF 1999/5, 51.
-
2.
JCl. Droit pénal, art. 227-5 à 227-11, n° 28, P. Bonfils et L. Grégoire.
-
3.
Cass. crim., 17 mars 2021, n° 19-84296.
-
4.
B. Bouloc, Droit pénal général, 2021, Dalloz, Précis, p. 182, n° 182.
-
5.
L. Collet-Askri, « La protection pénale de l’enfant victime des conflits entre ses parents divorcés », RDSS 2000, p. 285.
-
6.
Cass. crim., 5 nov. 1997, n° 95-85244.
-
7.
Cass. crim., 18 déc. 2002, n° 02-83667 : Bull. crim., n° 237 ; D. 2003, p. 1062, note Y. Mayaud.
-
8.
A. Goutenoire et M. Cécile Guerin, « Atteintes à l’autorité parentale : non-représentation d’enfant et soustraction de mineur », Rép. pén. Dalloz, 2022, n° 23.
-
9.
Cass. crim., 19 avr. 2000, n° 98-84849.
-
10.
Cass. crim., 15 mars 2023, n° 22-82447.
-
11.
Cass. crim., 3 sept. 1996, no 94-85046 : Bull. crim., no 311 ; RSC 1997, p. 104, obs. Y. Mayaud.
-
12.
Cass. crim., 17 juin 1992, n° 91-86814 : Bull. crim., n° 245 ; RSC 1993, p. 104, obs. G. Levasseur.
-
13.
Cass. crim., 14 mars 2012, n° 11-85421 : Dr. pén. 2012, comm. 82, obs. M. Véron ; D. 2012, p. 2276, obs. P. Bonfils ; AJ fam 2012, p. 279, obs. M. Lambert ; Rev. pénit. 2012, p. 684, obs. A. Gouttenoire ; LPA 21 mai 2012, p. 17, note J. Lasserre Capdeville ; Gaz. Pal. 3 mai 2012, n° I9589, p. 8, note R. Mésa.
-
14.
JCl. Procédure pénale, art. 689 à 693, n° 65, A. Huet, R. Koering-Joulin et K. Mariat.
-
15.
J. Pradel, Droit pénal général, 22e éd., 2019, Cujas, n° 195.
-
16.
D. Rebut, Droit pénal international, 2022, Dalloz, Précis, p. 33, n° 46.
-
17.
Cass. crim., 4 janv. 1990 : Bull. crim., n° 8 ; RSC 1990, p. 788, obs. G.Levasseur.
-
18.
Cass. crim., 14 avr. 1999, n° 98-82853 : Bull. crim., n° 85.
-
19.
Cass. crim., 16 juill. 1969 : Bull. crim., n° 228 ; RSC 1970, p. 101, obs. G. Levasseur.
-
20.
E. Dreyer, Droit pénal spécial, 2020, LGDJ, Manuel, p. 563, n° 969, EAN : 9782275077338.
Référence : AJU009z9