Étude d’impact des projets d’énergie renouvelable en mer : le nouveau rôle du ministre chargé de l’Énergie est-il conforme au droit européen ?

Publié le 01/03/2019

Les projets d’éoliennes en mer sont soumis à l’évaluation environnementale prévue par l’article L. 122-1 du Code de l’environnement. Cette évaluation environnementale, aux termes de la directive n° 2011/92/UE du 13 décembre 2011 dite directive Projets, est constituée de la consultation pour avis d’une autorité environnementale compétente, et de la préparation par le maître d’ouvrage d’une étude d’impact. Afin de réduire les délais de mise en œuvre des projets d’énergie renouvelable en mer, la loi pour un État au service d’une société de confiance, dite loi ESSOC, a permis au ministre chargé de l’Énergie de préparer et mettre à disposition du maître d’ouvrage « tout ou partie de l’étude d’impact ». Or l’étude d’impact est l’un des éléments utilisés par le préfet de département, autorité décisionnaire aux termes du Code de l’environnement, pour accorder ou non à ces projets l’autorisation environnementale nécessaire à leur mise en œuvre. Cette innovation législative conduira donc le préfet à apprécier, tant sur le fond que sur la forme, la qualité de l’étude d’impact rédigée par le ministre pour les maîtres d’ouvrage. Eu égard à la lecture téléologique des directives faite par les jurisprudences européenne et nationale, visant à garantir l’effet utile de la procédure d’évaluation environnementale, et à la rédaction même de la directive Projets, la conformité de cette nouvelle disposition au droit européen semble incertaine.

L’article 58 de la loi pour un État au service d’une société de confiance ESSOC1 a modifié le Code de l’environnement, afin d’accélérer les procédures d’autorisation de développement des installations de production d’énergie renouvelable en mer (ERM). Pour ce faire, il a notamment prévu que « tout ou partie de l’étude d’impact peut être réalisée et mise à disposition des maîtres d’ouvrage par le ministre chargé de l’Énergie »2.

Cette disposition, si elle est indéniablement un facteur d’accélération des procédures d’autorisation des projets d’éolien en mer, soulève cependant une difficulté. L’élaboration par le ministre de l’étude d’impact utilisée par le maître d’ouvrage pour appuyer sa demande d’autorisation environnementale au préfet de département n’est-elle pas contraire aux textes européens pertinents ?

L’évaluation environnementale (EE) telle que définie par les textes européens est composée de différentes phases, qui comprennent la réalisation par le maître d’ouvrage d’une étude d’impact, et la consultation d’une Autorité environnementale (AE) pour avis. Ces normes européennes ont fait l’objet d’une transposition législative en droit interne et de développements jurisprudentiels consacrés notamment à la consultation de l’AE. L’analyse de ces deux éléments offre un cadre d’interprétation du droit européen applicable à la procédure d’EE. À la lumière de la grille de lecture du droit européen ainsi dégagée (I), il est possible d’apprécier la conformité aux règles européennes des dispositions ayant modifié la procédure de l’étude d’impact (II).

I – La transposition législative et la jurisprudence encadrant la consultation de l’AE dans le cadre de l’EE consacrent une lecture téléologique de la directive Projets

A – La désignation législative de l’AE compétente pour rendre son avis dans l’EE vise à garantir son objectivité

La prise en compte des incidences sur l’environnement de certains plans/programmes ou de certains projets est prévue aux articles L. 122-1 et suivants du Code de l’environnement. Ils constituent pour l’essentiel des transpositions de deux directives européennes : la directive n° 2001/42/CE du 27 juin 2001 en ce qui concerne les plans et programmes, et la directive n° 2011/92/UE du 13 décembre 2011 s’agissant des projets, qu’ils soient publics ou privés. La transposition de ces deux textes a permis la mise en place de la procédure d’évaluation environnementale, définie par le Code de l’environnement comme un « processus constitué de l’élaboration, par le maître d’ouvrage, d’un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement, dénommé ci-après “étude d’impact”, de la réalisation des consultations prévues à la présente section, ainsi que de l’examen, par l’autorité compétente pour autoriser le projet, de l’ensemble des informations présentées dans l’étude d’impact et reçues dans le cadre des consultations effectuées et du maître d’ouvrage »3.

Pour les projets, sont soumis à évaluation environnementale ceux qui sont désignés par voie réglementaire d’une part, et, d’autre part, ceux pour lesquels l’autorité environnementale compétente estime l’évaluation nécessaire après une étude au cas par cas, eu égard à l’incidence potentielle de ces projets sur l’environnement. En l’état actuel du droit, l’article L. 122-1 du Code de l’environnement prévoit la désignation ex-ante d’autorités environnementales pour certaines catégories de projets4. Il prévoit également que, pour les catégories de projets pour lesquelles elle est compétente, l’autorité environnementale réalise non seulement l’examen au cas par cas des projets n’étant pas réglementairement soumis à l’EE, mais rend également l’avis requis par la procédure d’EE.

Aux termes de l’article R. 122-6 du Code de l’environnement, l’autorité environnementale de droit commun est le ministre chargé de l’Environnement. Cependant, le même article prévoit, dans trois situations, la compétence de la formation d’AE du conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Ces trois situations sont énumérées par le code :

« 1° Pour les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements qui donnent lieu à une décision du ministre chargé de l’Environnement ou à un décret pris sur son rapport ;

2° Pour les projets qui sont élaborés par les services dans les domaines relevant des attributions du même ministre ou sous la maîtrise d’ouvrage d’établissements publics relevant de sa tutelle. Pour l’application du présent alinéa, est pris en compte l’ensemble des attributions du ministre chargé de l’Environnement telles qu’elles résultent des textes en vigueur à la date à laquelle l’autorité environnementale est saisie ;

3° Pour les projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements faisant l’objet de plusieurs décisions d’autorisation lorsque l’une au moins de ces autorisations relève de sa compétence en application du 1°, du 2° ci-dessus ».

En prévoyant que le ministre chargé de l’Environnement ne peut, s’il intervient dans le processus de mise en œuvre d’un projet – de manière plus ou moins directe – se prononcer ni sur l’examen au cas par cas ni pour formuler un avis requis pour l’EE, cette disposition garantit le caractère objectif de l’avis rendu par l’AE. Le pouvoir réglementaire a ainsi implicitement estimé que la désignation du ministre chargé de l’Environnement comme AE compétente pour se prononcer sur des projets desquels il aurait à connaître à un stade ultérieur aurait été de nature à mettre en cause son objectivité dans l’appréciation des incidences du projet sur l’environnement, ce qui aurait conduit à une méconnaissance de l’exigence posée par la directive Projets. L’intervention du ministre au stade de la consultation de l’AE a donc été strictement encadrée pour prévenir tout risque d’inconventionnalité.

B – Les jurisprudences européenne et nationale ont consacré l’effet utile de la consultation prévue dans le cadre de l’EE à travers l’autonomie fonctionnelle des autorités y prenant part

La seule décision relative à la question de l’autonomie de l’AE rendant son avis dans le cadre de l’EE par rapport à l’AE décisionnaire pour approuver le projet est l’arrêt Department of the Environment for Northern Ireland c/ Seaport 5. Dans cette décision, qui concernait les plans et programmes, la Cour a estimé que, dans les cas où la même autorité est chargée de rendre un avis dans le cadre de l’EE et d’autoriser le projet, alors il est nécessaire que :

« Au sein de l’autorité normalement chargée de procéder à la consultation en matière environnementale et désignée comme telle, une séparation fonctionnelle soit organisée de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir les missions confiées aux autorités de consultation au sens de cet article 6, § 3, et, en particulier, de donner de manière objective son avis sur le plan ou programme envisagé par l’autorité à laquelle elle est rattachée » 6.

Cette dernière partie de l’analyse vient elle aussi consacrer le nécessaire « effet utile » de la consultation prévue dans le cadre de l’EE. Si les États membres disposent d’une certaine marge de manœuvre pour désigner des AE, cette latitude est conditionnée au respect de l’objectif même des directives, qui est de permettre une appréciation objective des incidences sur l’environnement d’un plan ou programme.

Cette analyse a été reprise par le Conseil d’État qui, dans un arrêt FNE de 20157, a annulé les dispositions du décret n° 2016-616 du 2 mai 2012 relatif à l’évaluation de certains plans et documents ayant une incidence sur l’environnement, en raison de leur contrariété à l’article L. 122-7 du Code de l’environnement interprété à la lumière de la jurisprudence Seaport, eu égard notamment à l’absence de séparation fonctionnelle entre AE consultée dans le cadre de l’EE et AE chargée d’élaborer ou d’autoriser un projet prévue par le décret. Le Conseil d’État a par la suite jugé que, comme pour les plans et les programmes, la conformité aux règles européennes de la désignation de l’AE intervenant au stade de la consultation pour certains projets ayant une incidence sur l’environnement devait garantir l’effet utile de sa consultation8. Il a par conséquent annulé une disposition du décret 2016-519, « en tant qu’[elle] maintient, au IV de l’article R. 122-6 du Code de l’environnement, la désignation du préfet de région en qualité d’autorité compétente de l’État en matière d’environnement ».

L’arrêt Seaport et les deux arrêts FNE du Conseil d’État consacrent ainsi, tant pour les projets que pour les plans et programmes, l’obligation de garantir l’effet utile de la consultation prévue dans le cadre de l’évaluation environnementale, afin de permettre une prise en compte efficace des incidences desdits projets, plans et programmes sur l’environnement.

La consultation de l’AE pour avis ne représente cependant qu’un élément du processus d’évaluation environnementale. L’article L. 122-1 précise en effet qu’elle contient également la rédaction, par le maître d’ouvrage, d’un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement, également appelé « étude d’impact ». Les modifications récentes du cadre juridique de l’étude d’impact en ce qui concerne les projets d’ERM soulèvent donc, eu égard à l’importance de l’objectivité et de « l’effet utile » de la consultation de l’AE – consacrée par les textes et la jurisprudence-, la question de leur conformité aux règles européennes.

II – La conformité de l’article L. 181-28-1 du Code de l’environnement aux textes européens en question

A – La loi ESSOC a permis une dérogation à la procédure de droit commun d’élaboration de l’étude d’impact pour les ERM sans en approfondir la portée juridique

L’article 58 de la loi ESSOC dispose que :

« Art. L. 181-28-1.-I.-Pour les installations de production d’énergie renouvelable en mer et leurs ouvrages de raccordement aux réseaux publics d’électricité, sont applicables les dispositions suivantes :

1° Tout ou partie de l’étude d’impact peut être réalisée et mise à disposition des maîtres d’ouvrage par le ministre chargé de l’Énergie ;

(…) ».

Cette possibilité permet au ministre chargé de l’Énergie de réaliser et mettre à disposition des maîtres d’ouvrage tout ou partie de l’étude d’impact. Elle est dérogatoire au droit commun de l’étude d’impact prévu par l’article L. 122-1 du Code de l’environnement. Celui-ci dispose en effet que :

« L’évaluation environnementale est un processus constitué par l’élaboration, par le maître d’ouvrage, d’un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement, dénommé ci-après “étude d’impact” (…) ».

Cette disposition n’a cependant pas de valeur supra-législative ; rien n’empêche par conséquent qu’une autre norme de même nature lui porte atteinte, ou crée un régime dérogatoire pour telle ou telle catégorie de projets. L’article 58 de la loi ESSOC a d’ailleurs modifié la section VI du chapitre unique du titre VIII du livre Ier du Code de l’environnement, qui prévoit que trois catégories de projets sont concernées par des règles dérogatoires au droit commun de l’autorisation environnementale : les installations, ouvrages, travaux et activités susceptibles d’avoir des incidences sur l’eau et les milieux aquatiques ; les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) ; et les installations de production d’énergie renouvelable en mer.

Sur ces trois blocs de dispositions dérogatoires, seules les dispositions relatives aux ERM permettent de déroger à la procédure de droit commun de l’élaboration de l’étude d’impact. La procédure ouverte par l’article L. 181-28-1 du Code de l’environnement dans sa rédaction issue de la loi ESSOC est donc nouvelle non seulement parce qu’elle n’a jamais été mise en œuvre, mais également parce qu’elle n’existe pour aucune autre catégorie de projets.

L’analyse des débats parlementaires ayant conduit à son adoption permet d’apprécier la manière dont sa conformité au droit européen a été prise en compte.

L’article était initialement un article d’habilitation, qui autorisait le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi visant à faciliter le développement des projets d’ERM. Initialement relativement peu précis, l’article d’habilitation a été modifié en première lecture à l’Assemblée nationale, par un amendement visant notamment à intégrer à l’article d’habilitation la possibilité pour le gouvernement de prendre les mesures relevant du domaine de la loi pour :

« 2° Modifier les dispositions relatives à l’évaluation environnementale prévue aux articles L. 122-1 et suivants du Code de l’environnement afin de permettre à l’État de réaliser, dans le respect des directives modifiée (sic) et n° 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement et n° 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, une partie de l’étude d’impact des projets d’installation de production d’énergie renouvelable en mer et de leur raccordement au réseau électrique ; (…) ».

Si la question de la conformité d’une telle disposition aux directives européennes était donc bien mentionnée dans l’article d’habilitation adoptée par amendement, elle n’a cependant fait l’objet d’aucun débat lors des discussions en séance. C’est en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale que l’article 34 est devenu un article de législation directe, qui – dans la même rédaction que l’article finalement adopté – prévoit notamment que :

« II. – Pour les installations de production d’énergie renouvelable en mer et leurs ouvrages de raccordement aux réseaux publics d’électricité, sont applicables les dispositions suivantes :

1° Tout ou partie de l’étude d’impact peut être réalisée et mise à disposition des maîtres d’ouvrage par le ministre chargé de l’Énergie ».

Là encore, les débats parlementaires n’abordent à aucun moment la question de la conformité au droit européen, mais portent essentiellement sur les questions du permis enveloppe et de la possibilité de renégociation des tarifs de rachat de l’électricité. Ces débats n’ont donc pas répondu aux deux principales fragilités de cette disposition, eu égard au cadre européen dans lequel elles s’inscrivent.

B – La réalisation de l’étude d’impact par le ministre chargé de l’Énergie pourrait méconnaitre la lettre et l’esprit de la directive Projets

Deux éléments semblent aller dans le sens d’une incompatibilité de cette disposition au droit de l’Union Européenne.

Le premier tient à la rédaction même de l’article 5 de la directive n° 2011/92/UE, qui prévoit que :

« 1. Lorsqu’une évaluation des incidences sur l’environnement est requise, le maître d’ouvrage prépare et présente un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement. Les informations à fournir par le maître d’ouvrage comportent au minimum (…) ».

Rappelons à ce stade que l’article L. 122-1 du Code de l’environnement précise bien que l’étude d’impact au sens du droit national correspond à un « rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement ». La loi permet ainsi au ministre chargé de l’Énergie de préparer l’étude d’impact, avant que le(s) maître(s) d’ouvrage la présente(nt) au préfet de département dans le cadre de l’autorisation environnementale et à l’AE consultée pour avis, là où la directive prévoit expressément que « le maître d’ouvrage prépare et présente un rapport d’évaluation des incidences sur l’environnement ». La directive précise cependant bien, dans son article premier relatif aux définitions, que le maître d’ouvrage est « soit l’auteur d’une demande d’autorisation concernant un projet privé, soit l’autorité publique qui prend l’initiative à l’égard d’un projet ». Si la directive ne ferme pas la porte à la préparation de l’étude d’impact par une autorité publique – sous réserve de l’absence de conflits d’intérêts −, elle restreint cependant cette possibilité aux situations dans lesquelles l’autorité publique en question est le maître d’ouvrage. Or, l’article L. 122-1, dans sa rédaction actuelle, distingue clairement le ministre chargé de l’Énergie du ou des maître(s) d’ouvrage. Ce faisant, cet article prend le risque d’attribuer au ministre chargé de l’Énergie une possibilité que la directive limite strictement aux maîtres d’ouvrage.

L’on pourrait cependant estimer que le doute permis par la rédaction de l’article L. 122-1 n’est pas sérieux, le ministre chargé de l’Énergie pouvant être assimilé au maître d’ouvrage, et donc entrer dans le cadre de la directive. Dans ce cas, un deuxième élément pourrait à son tour interroger sur la conformité de cette disposition avec droit de l’Union européenne. Il tient à l’importance de l’objectivité et de l’effet utile de la procédure d’EE, consacrés dans le cas des consultations de l’AE, comme nous l’avons vu dans la première partie.

En effet, l’article R. 181-2 du Code de l’environnement prévoit que :

« L’autorité administrative compétente pour délivrer l’autorisation environnementale ainsi que le certificat de projet prévu par l’article L. 181-6 est le préfet du département dans lequel est situé le projet ».

La double casquette du préfet – représentant du ministre chargé de l’Énergie, auteur de l’étude d’impact, aux termes de l’article 72 de la constitution d’une part, et autorité décisionnaire dans le cadre de l’autorisation environnementale d’autre part – est-elle de nature à porter atteinte à l’effet utile de l’analyse de l’étude d’impact dans le cadre de l’autorisation environnementale ?

Premièrement, l’on pourrait arguer que, si le préfet ne pouvait pas fonder un refus d’autorisation environnementale sur une carence liée à l’étude d’impact – sur la forme ou sur le fond −, alors la question de l’absence d’autonomie de l’autorité décisionnaire et de l’autorité en charge de l’étude d’impact ne se poserait pas. Cependant, l’analyse des textes nous pousse à une conclusion différente. L’article L. 122-1-1 dispose en effet que :

« I. − L’autorité compétente pour autoriser un projet soumis à évaluation environnementale prend en considération l’étude d’impact, l’avis des autorités mentionnées au V de l’article L. 122-1 ainsi que le résultat de la consultation du public et, le cas échéant, des consultations transfrontières ».

La partie réglementaire du code prévoit par ailleurs, à l’article R. 181-34, que le préfet est tenu de rejeter la demande d’autorisation environnementale :

« 3° Lorsqu’il s’avère que l’autorisation ne peut être accordée dans le respect des dispositions de l’article L. 181-3 ou sans méconnaître les règles, mentionnées à l’article L. 181-4, qui lui sont applicables ».

L’étude d’impact étant le principal élément permettant au préfet d’apprécier le respect par le maître d’ouvrage des règles de protection de l’environnement auxquelles renvoie l’article L. 181-3, il apparaît bien que le préfet peut fonder un refus d’autorisation sur son analyse de l’étude d’impact.

Deuxièmement, en application des principes dégagés par le corpus de jurisprudence précité, il est pertinent de s’intéresser à la nature du lien entre le préfet et ses services, compétents pour autoriser un projet, et le ministre chargé de l’Énergie. L’article 9 bis de la directive prévoit en effet que :

« Lorsque l’autorité compétente est aussi le maître d’ouvrage, les États membres appliquent au minimum, dans leur organisation des compétences administratives, une séparation appropriée entre les fonctions en conflit lors de l’accomplissement des missions résultant de la présente directive ».

Il s’agit ici de se demander si les services instructeurs dans le cadre de l’autorisation environnementale – en l’espèce les directions départementales des territoires et de la mer – disposent de l’autonomie fonctionnelle nécessaire au respect de la directive Projets telle qu’interprétée par l’arrêt Seaport. Dans ses conclusions sur l’affaire FNE de 2017, le rapporteur public avait estimé que les missions régionales d’AE (MRAE) désignées par le décret n° 2015-1229 répondaient au critère d’autonomie fonctionnelle dégagée par la jurisprudence Seaport. Il avait notamment considéré que l’appui d’agents du « service régional chargé de l’environnement » dont bénéficient ces missions n’était pas de nature à entacher leur autonomie fonctionnelle, ces agents étant « soustraits » temporairement à l’autorité du préfet pour répondre exclusivement à celle de la MRAE9. Il est difficile, en l’espèce, d’imaginer une situation où des agents de la préfecture seraient soustraits à l’autorité du préfet pour être placés sous celle du ministre. Par suite, si les services du ministre chargé de l’Énergie faisaient appel, lors de l’élaboration de l’étude d’impact, aux services de la préfecture chargés d’instruire la demande d’autorisation, services restant sous l’autorité du préfet compétent pour accorder l’autorisation, alors l’autonomie fonctionnelle définie par la jurisprudence et requise par l’article 9 bis de la directive pourrait ne pas être respectée.

Il semble donc possible d’affirmer que le préfet, en tant qu’il fonde en partie sa décision d’accorder ou non l’autorisation environnementale sur l’étude d’impact rédigée par le ministre, et eu égard à l’éventuelle participation de ses services à la rédaction de l’étude d’impact, ne serait pas en mesure d’apprécier objectivement le contenu de ladite étude. Les autorisations rendues par le préfet seraient par conséquent susceptible d’être prises sur une base légale contraire au droit de l’Union.

Conclusion

Tant la désignation par la loi des AE compétentes pour rendre un avis dans le cadre de l’EE que les interprétations jurisprudentielles de la directive Projets ont consacré la nécessaire autonomie des autorités intervenant dans le cadre de l’EE. Cette autonomie est notamment définie de manière téléologique, à la lumière de l’objectif de la directive : permettre une appréciation objective des incidences d’un projet sur l’environnement. La possibilité donnée au ministre chargé de l’Énergie de mettre à disposition des maîtres d’ouvrage tout ou partie de l’étude d’impact nécessaire à la demande d’autorisation environnementale n’a, semble-t-il, pas retenu l’attention du législateur quant à sa conformité aux règles européennes, malgré la jurisprudence de la Cour. Il semble donc, eu égard d’une part à la rédaction même de la directive Projets, et d’autre part au rôle joué par le préfet et ses services dans la délivrance de l’autorisation environnementale, que cette possibilité soit de nature à porter atteinte à l’effet utile de l’évaluation environnementale. Sa conformité au droit européen est donc au moins contestable. Alors que les projets d’ERM sont particulièrement sujets au contentieux (deux ans par projet en moyenne10), le recours à cette procédure par le ministre chargé de l’Énergie serait de nature à porter atteinte à l’objectif même de l’article 58 de la loi ESSOC, celui de sécuriser et d’accélérer la réalisation des projets d’ERM, alors que la France ne dispose, à l’heure actuelle, d’aucune éolienne en mer fonctionnelle.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2018-727, 10 août 2018, pour un État au service d’une société de confiance.
  • 2.
    C. envir., art. L. 181-28-1.
  • 3.
    C. envir., art. L. 122-1.
  • 4.
    V. sur ce point Monteillet S., « Autorités environnementales : une (re)mise en perspective européenne », AJDA 2017, p. 976.
  • 5.
    CJUE, 20 oct. 2011, n° C-474/10.
  • 6.
    CJUE, 20 oct. 2011, n° C-474/10, cons. 9
  • 7.
    CE, 26 juin 2015, nos 360212 et 365876, Association France nature environnement.
  • 8.
    CE, 6 déc. 2017, n° 400559, Association France nature environnement.
  • 9.
    Dutheillet de Lamothe L., Concl. rapp. pub., n° 400559, p. 4.
  • 10.
    Rapp. de la Commission spéciale de l’Assemblée nationale (1ère lecture) sur le projet de loi ESSOC, p. 486.
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