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Paris Legal Makers : le droit peut-il être une variable d’ajustement de la croissance ?

Publié le 19/01/2022

Paris Legal Makers : le droit peut-il être une variable d'ajustement de la croissance ?

Le 6 décembre dernier, pour la première fois, le Barreau de Paris organisait le Paris Legal Makers, un événement « dédié au développement économique par le droit », en partenariat avec Le Point et placé sous le haut patronage d’Emmanuel Macron, président de la République française. À cette occasion, une partie des discussions ont porté sur la fabrique du droit dans le secteur économique, lors d’une table ronde modérée par Étienne Gernelle, directeur du Point.

Dans son discours d’introduction, le bâtonnier du Barreau de Paris, Olivier Cousi, a évoqué l’ambition du Paris Legal Makers : « décloisonner les métiers du droit ». Il souhaite non seulement s’adresser aux avocats, mais également à la grande communauté de « juristes, pratiquants et actifs du droit qui sont des legal makers ». « L’idée est de dire : rassemblons-nous, retrouvons-nous et partageons ce qu’est l’essence du droit. Aujourd’hui, à Paris, plus de 70 % de l’activité des avocats parisiens est dédiée au conseil et non pas uniquement au judiciaire. Le droit est plus large, plus présent, plus actif. Paris est un lieu fondamental pour le développement de cette place du droit ».

Le Paris Legal Makers rappelle ainsi que le droit est une matière vivante qui s’adapte mais qui a aussi besoin de pédagogie et de compréhension.

Le droit pour protéger la concurrence dans le secteur des technologies

L’un des premiers points abordés lors du rendez-vous intitulé : « Économie post-Covid : le droit, variable d’ajustement dans la croissance ? », fut celui de la concurrence face aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Dans ce contexte, le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act ou Dodd-Frank Act (DFA) et la proposition de régulation des marchés numériques (Digital Market Acts – DMA), peuvent-ils vraiment être efficaces ?

« Les entreprises veulent avant tout de la certitude », répond Pierre Régibeau, chief competition economist au sein de la Commission européenne. « Elles aiment l’État de droit, souhaitent être capables d’attirer les grands marchés et veulent être compétitives. Pour cela, la concurrence peut être efficace. En ce qui concerne les géants, il faut essayer de mettre en place un certain nombre de règles pour ne pas avoir d’abus de position. Le but est de ne pas apporter trop de distorsion au marché de la concurrence. C’est ce qu’on essaye de faire en contrôlant, notamment, les fusions. Il y a également la possibilité d’accueillir plus de joueurs. Pour cela, il faut un cadre juridique. Il s’agit de penser aux comportements que l’on souhaite mettre en place pour être compétitif. Si on souhaite être utile, il faut au moins un code de conduite ».

Selon lui, sa mission est de « protéger le processus concurrentiel » qui « n’aide pas forcément le consommateur, mais le citoyen européen ». Il croit en une « politique industrielle à l’échelle européenne », sans créer de champions européens qui ne sont pas nécessaires à ses yeux.

L’arbitrage, une garantie pour les investisseurs

« La Chambre de commerce internationale (ICC) a été créée il y a plus de cent ans par un groupe d’entrepreneurs qui souhaitaient promouvoir la paix et la prospérité par le biais des échanges internationaux », précise Claudia T. Salomon, associée chez Latham et Watkins. « Il fallait une procédure de résolution des litiges entre les différents acteurs commerciaux. » C’est ainsi qu’a été fondée la Cour internationale d’arbitrage dont elle est aujourd’hui la première femme présidente. « Les échanges commerciaux n’ont fait qu’augmenter et les entrepreneurs ont confiance en cette chambre », poursuit-elle. « En termes d’investissement, on voit que 145 pays utilisent ce processus d’arbitrage, dans plus de 30 langues et que les entrepreneurs préfèrent l’arbitrage international plutôt que les tribunaux nationaux. »

« Les deux tiers des entreprises américaines et européennes possédant un chiffre d’affaires de plus de 100 millions d’euros ont une affaire d’arbitrage en cours », assure Claudia T. Salomon. Ainsi, la présidente affirme que l’arbitrage est une garantie pour les investisseurs grâce à deux outils à la disposition des entreprises.

Le premier est le contrat qui comprend des clauses d’arbitrage comme moyen de résolution des litiges, plutôt que de recourir aux tribunaux nationaux. Le deuxième vise les systèmes de traité d’investissement, bilatéraux ou multilatéraux, qui peuvent comprendre des clauses d’arbitrage, permettant ainsi de résoudre de manière diplomatique les litiges. « Dans le contexte de la résolution de conflit en B2B », ajoute Claudia T. Salomon, « l’arbitrage apporte un mécanisme. On se concentre sur la prévisibilité, sur la transparence et sur la confiance dans le système. Les parties qui cherchent une résolution du conflit en faisant appel à l’arbitrage ne cherchent pas à se venger, mais à retourner à leurs affaires habituelles ».

Définir des valeurs communes ?

En 2018, la France adopte la loi PACTE dont le but est d’apporter une opportunité aux entreprises françaises de s’attaquer à des engagements plus importants en termes de RSE et plus de transparence au niveau de la stratégie. C’est du moins le point de vue de Sophie de Fontenay, directrice juridique, risques et conformité du groupe Raise. Selon ce fonds d’investissement créé en 2013, « la performance extra financière ne peut être déconnectée des valeurs de croissance ». C’est pourquoi Raise a modifié ses statuts et définit sa raison d’être autour de quatre piliers : diversité, partage des profits et bénéfices, innovation et durabilité. « Raise croit en un nouveau mode de croissance basé sur l’investissement, la philanthropie et l’innovation verte. C’est une entreprise qui gère plus de 1,3 milliards d’euros d’actifs par l’intermédiaire de six fonds. L’objectif est d’atteindre sa mission tout en générant une forte croissance », précise Sophie de Fontenay.

Pour ce faire, le travail s’effectue en étroite collaboration avec les juristes. La Commission européenne joue également un rôle en établissant des objectifs de bilan carbone (réduction de 50% des gaz à effets de serre d’ici 2030) et en exigeant plus de transparence. La taxonomie verte apporte, de son côté, des lignes directrices.

Pour Pierre Régibeau, « il faut des labellisations et des certifications qui viennent des gouvernements mais également des entreprises privées. Cependant, si chacun a son label, on risque de ne plus pouvoir s’y retrouver. Il faudrait apporter une législation en termes de concurrence pour réduire ces labels et qu’ils aient une importance, qu’ils soient pertinents et reconnus. On pourrait essayer de mettre en place un seuil plancher d’intervention ». En dehors de l’Union européenne, Pierre Régibeau suggère un « code de conduite internationale » : « Entre les États-Unis et l’Union européenne, les normes ne sont pas les mêmes. Pour dépasser ce problème, il faudrait un accord international. Parfois cela peut également soulever des questions de supranationalité qui ne sont pas simples ».

Le règlement général sur la protection des données : un avantage ?

Lors de cette table ronde, le règlement général sur la protection des données (RGPD) a fait partie des échanges. Pierre Régibeau considère notamment que la législation actuelle « favorise les grandes entreprises », est « très complexe et peut être un poids pour les petites et moyennes entreprises ». Il faudrait donc « une réglementation qui vienne apporter des choix standardisés pour les consommateurs ». Ce serait « une bonne manière de réguler Facebook et Google ».

« Les États ne devraient-ils d’ailleurs pas disposer de leurs données ? », interpelle Étienne Gernelle. « Il s’agit de définir les droits de propriété intellectuelle sur les données de manière plus précise, insiste Pierre Régibeau. Certaines vous appartiennent, d’autres appartiennent aux entreprises. Il faut créer des marchés de données. Il faut absolument une norme pour une interopérabilité des formats des données ».

Quant à Sophie de Fontenay, pour elle, le respect de la vie privée peut même être un critère d’investissement : « C’est quelque chose qu’on vérifie systématiquement. Les données sont essentielles, surtout pour les petites et jeunes entreprises. Le RGPD peut être utile aux entreprises afin de les aider dans leur politique liée à la gestion des données ».

Vers des multinationales du droit

Pour compléter le panel, Sir Nigel Knowles, associé-directeur du DWF Group a pu présenter un nouveau modèle de croissance pour les cabinets d’avocats, celui d’être coté en bourse. « Il n’est pas impossible pour les cabinets d’avocats français de le faire », explique-t-il. « Cela peut sembler étrange à envisager mais c’est pourtant le cas au Royaume-Uni où les autorités de la concurrence ont la capacité d’accorder aux cabinets d’être coté en bourse. C’est ce qu’on a fait en 2019 ».

Ce modèle visait à prendre en compte l’environnement dans lequel le cabinet travaille. « On se retrouve face à des cabinets d’avocats qui ont entre 3 000 et 4 000 avocats, dans un secteur juridique très concurrentiel, proposant des services toujours plus performants », explique-t-il. « C’est gigantesque. Des cabinets investissent des centaines de millions de dollars sur une technologie plus sophistiquée. Il est essentiel de répondre à ce type de pressions. Vous pouvez lever des fonds dans le cadre de cette entrée en bourse pour améliorer les performances de votre cabinet, pour accéder à des marchés et acquérir de nouvelles entreprises ». DWF Group propose alors des services et conseils diversifiés : un département dédié aux services en ligne, un secteur dédié aux services financiers, à la gestion des litiges, un soutien en termes d’assurance, des entreprises de formation, des entreprises de logiciels, etc. « Nous avons un cabinet d’avocats mais également des services connectés, alignés avec les besoins de nos clients. On va devenir une entreprise de services internationale possédant 30 bureaux dans le monde » !

Dans ce nouveau monde, avec le développement de « multinationales du droit », l’Union européenne est toujours « leader en matière d’établissement des normes », d’après Pierre Régibeau. Sophie de Fontenay confirme d’ailleurs cela, avec une remarque : « Par rapport aux États-Unis, l’Europe est forte mais il faut qu’elle soit aussi rapide. En effet, si elle a pris de l’avance sur ces sujets de stratégie et de gouvernance, les États-Unis la suivent de près. Il faut agir rapidement pour être sûr que les normes soient à la pointe. À cet égard, je pense que la situation politique actuelle aux États-Unis va nous permettre d’avancer dans le bon sens ».

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