Le système budgétaire du Royaume-Uni

Publié le 22/04/2021

À travers cet ouvrage, Ramu de Bellescize nous propose une plongée dans ce fascinant mélange de traditions parfois archaïques et de modernité que constitue le système budgétaire de notre voisin britannique.

Le Royaume-Uni, si proche géographiquement, reste cependant parfois déconcertant pour les Français, en particulier les juristes. Ceux-ci sont en effet bien souvent partagés entre l’admiration pour ce pays qui a su inventer le régime parlementaire et dont l’État de droit est reconnu, voire envié, pour sa qualité, et une certaine perplexité quant à de nombreuses règles déconcertant l’esprit cartésien qui caractérise la pensée française.

L’originalité du modèle budgétaire britannique ne peut que renforcer ce sentiment d’étrangeté ressenti par l’observateur français. La souplesse des règles budgétaires ou l’absence du principe d’unité, si important en France, sont de nature à laisser un peu perplexe celui ou celle qui a l’habitude des processus très codifiés en vigueur dans notre pays, particulièrement sous la Ve République. Même la faiblesse du contrôle parlementaire sur le budget n’est pas de semblable nature : encore plus accentuée qu’en France en ce qui concerne le consentement, extrêmement formel, du Parlement1, elle est partiellement compensée par un contrôle a posteriori beaucoup plus marqué.

C’est ce système original, passionnant et en évolution, que Ramu de Bellescize nous invite à découvrir dans le présent ouvrage.

Celui-ci débute, fort logiquement, par les sources historiques du droit budgétaire. Le premier texte auquel il faut alors s’intéresser est, sans surprise, la Magna Carta, qui contient plusieurs articles relatifs aux questions financières. Le plus important est sans conteste l’article 12, qui pose les bases d’une première forme de consentement à l’impôt, à ce stade, toutefois, surtout conçu pour empêcher le Roi d’imposer ses volontés aux barons. Mais cet article va prendre une tout autre ampleur, comme la Charte dans son ensemble, au terme d’une longue histoire2 : « D’un argument (des barons) contre le roi, la Charte est devenue un document symbolisant la liberté politique »3.

Pour que s’affirme réellement le consentement à l’impôt, il faut toutefois attendre le XVIIe siècle, avec la Petition of rights, déclaration de libertés envoyée par le Parlement à Charles Ier. Elle affirme en effet, sans ambiguïté, le vote exclusif des impôts par le Parlement. Ce principe sera réaffirmé de manière constante par les deux constitutions du Commonwealth républicain. C’est à nouveau le cas dans le Bill of Rights de 1689, ce qui a d’autant plus d’importance qu’il appartient encore aujourd’hui au droit positif et sert donc toujours de référence4. Et pour la première fois, avec le Bill of Rights, est posé non seulement le principe du consentement, mais aussi sa forme et la durée de l’autorisation parlementaire.

L’histoire, dans le domaine budgétaire, est aussi celle des institutions qui y sont impliquées.

En l’espèce, c’est par l’Échiquier qu’il convient de commencer. C’est lui qui va, jusqu’au XVe siècle, assurer la majeure partie des fonctions relatives aux finances, sous la conduite de deux grands officiers, le Chancelier du royaume et le Lord Grand Chancelier.

Mais, à compter de la fin du Moyen Âge, le Trésor s’émancipe et se renforce progressivement, jusqu’au XXe siècle, au cours duquel il acquiert une puissance incontestable. Celle-ci est à peine entamée par la perte, en 1964, de la compétence en matière de planification, qu’il a retrouvée dès 1969 et qui est d’ailleurs, depuis lors, largement tombée en déshérence. Plus sérieuse toutefois est la perte, en 1997, de la politique monétaire, confiée à la Banque d’Angleterre devenue indépendante. Mais le Trésor continue à exercer des fonctions hautement stratégiques, puisqu’il prépare le budget, définit les grandes orientations de politique fiscale et gère la dette, ce qui le place naturellement au cœur de la conduite de l’État.

Si l’histoire est éclairante, le juriste cherchera naturellement aussi à prendre connaissance des règles qui régissent le système budgétaire du Royaume-Uni.

Sur ce plan, il ne tardera pas à avoir une singulière surprise, en constatant qu’il n’y a pas de principe d’unité budgétaire. Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’éléments de cohérence de l’ensemble budgétaire.

Le premier est constitué par le discours de la Reine, qui ouvre l’année parlementaire. Le cérémonial suranné qui l’entoure fait parfois oublier l’essentiel : ce discours contient les grandes lignes de ce que fera le gouvernement au cours de l’année à venir. Il renferme donc, à ce titre, des dispositions budgétaires et financières.

Celles-ci seront précisées dans le discours du budget, second élément d’unité budgétaire. Prononcé par le Chancelier de l’Échiquier devant le Parlement, il réunit les grands éléments relatifs aux dépenses et aux recettes. Souvent convenu, ne serait-ce que parce que les grandes masses sont généralement, sauf situation exceptionnelle, assez stables, il peut parfois être marquant, comme celui prononcé par David Lloyd George le 29 avril 1909, lorsqu’il a annoncé son « budget du peuple »5.

Si l’on retrouve bien des éléments d’unité budgétaire, « l’adoption du budget se caractérise par un principe que l’on pourrait appeler le principe de diversité »6.

On constate en effet une disjonction entre l’adoption des recettes et celle des dépenses.

Les recettes sont adoptées en automne, par un texte qui peut, étant assimilé à un Money Bill, se passer du consentement des Lords. L’observateur français y trouvera quelques notions qui lui sont familières, comme le fait qu’il est interdit aux parlementaires de proposer des amendements qui auraient pour effet d’accroître les prélèvements.

L’adoption des dépenses s’avère plus complexe. Cela tient en particulier au fait que le Parlement est amené, à leur propos, à donner trois fois son consentement au cours de l’année :

  • pour les dépenses de l’année budgétaire en cours (Estimates) ;

  • pour celles de l’année budgétaire à venir (Votes on account) ;

  • pour les dépenses en dépassement de l’année précédente (Excesses).

Ces différents éléments participent d’une certaine complexité dans le consentement parlementaire. Pour autant, cette complexité ne doit pas cacher le fait principal : la faiblesse du Parlement dans le processus budgétaire, qui est d’ailleurs une caractéristique de la quasi-totalité des démocraties parlementaires aujourd’hui.

En effet, outre la marginalisation de la chambre des Lords depuis le Parliament Act de 1911, le fait majeur est bien sûr la domination de l’exécutif sur l’ensemble du processus. Celui-ci a un fondement juridique, à travers le monopole de la Couronne, qui interdit aux parlementaires de proposer dépenses et recettes. Il a aussi des racines politiques, fait majoritaire et discipline de partis assurant à l’exécutif une réelle docilité parlementaire.

Naturellement, l’adoption d’un budget n’est pas une fin en soi. Ce qui compte, ce sont les dispositions qu’il contient, elles-mêmes traduisant une orientation politique. De ce point de vue, ces dernières années ont été marquées par une recherche de discipline budgétaire, illustrée par la « règle d’or » adoptée en 1997 sous Tony Blair, qui prévoyait que le gouvernement ne pouvait emprunter que pour investir, non pour régler les dépenses courantes. Naturellement, les conséquences de la crise financière de 2008 ont mis à mal ces ambitions, revues à la baisse sous le nom de « responsabilité budgétaire ».

En ce qui concerne le contenu même du budget, on s’arrêtera sur une spécificité britannique : les conséquences budgétaires de l’existence, en son sein, de quatre nations. Cela a pour premier effet d’induire une ventilation des dépenses publiques tenant compte de l’existence de ces nations. C’est l’objet de la Barnett Formula, qui tente d’établir une forme d’égalité dans la répartition des fonds publics. Autre singularité, le fait que les députés des autres parties du Royaume-Uni votent, à la chambre des Communes, des dispositions touchant exclusivement l’Angleterre, alors que l’inverse n’est pas vrai. Cette situation, connue sous l’expression de West Lothian Question, n’a toujours pas trouvé de solution satisfaisante.

Et bien sûr, puisque l’on est au Royaume-Uni, impossible de ne pas évoquer « le financement du monarque »7. En la matière, après une longue période de dépérissement, la liste civile, créée en 1760, a disparu en 2010, pour être remplacée par le Royal Grant. Sur le fond toutefois, peu de changement : le souverain reçoit une dotation, en échange de la cession des revenus du domaine royal. Il perçoit également ceux du duché de Lancastre, propriété personnelle du souverain depuis 1399.

Naturellement, l’exécution budgétaire fait, au Royaume-Uni, l’objet d’un contrôle. On peut même le faire remonter fort loin, puisqu’existait déjà, dès 1314, un contrôleur de l’Échiquier. Au sens moderne du terme, c’est toutefois l’Exchequer and Audit Act de 1866 qui crée véritablement ce contrôle, en instituant notamment un cycle de reddition des comptes et en créant l’Exchequer and Audit Department. L’évolution de l’action publique a entraîné naturellement celle du contrôle, exercé désormais à la fois par un organisme indépendant, le National Audit Office et par une commission parlementaire, le Public Account Committee.

En définitive, que retenir de ce voyage à travers les arcanes du système budgétaire britannique ? Sans doute, comme souvent au Royaume-Uni, cet étonnant mélange de tradition ancestrale et de modernité, qui fait la persistante singularité de ce pays.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Lienert I., « Who controls the budget : the Legislature or the Executive ? », IMF Working Paper juin 2005, n° 05/115, Fiscal Affairs Department, Washington DC.
  • 2.
    Sur la Charte et son histoire, on trouvera une bonne synthèse dans Vincent N., Magna Carta, a very short introduction, 2012, Oxford University Press.
  • 3.
    De Bellescize R., Le système budgétaire du Royaume-Uni, 2019, LGDJ, p. 39.
  • 4.
    V. par ex., au sujet de l’affaire Congreve v. Secretary of State for the Home Office : de Smith S., Constitutional and Administrative Law, Penguin Books, 1998, p. 295.
  • 5.
    Sur ce budget et ses conséquences, v. not. Charlot C., « Autopsie d’une crise parlementaire, 1909-1911 », Études anglaises 2010/3, vol. 63, p. 318 à 332.
  • 6.
    De Bellescize R., Le système budgétaire du Royaume-Uni, 2019, LGDJ, p. 97.
  • 7.
    De Bellescize R., Le système budgétaire du Royaume-Uni, 2019, LGDJ, p. 195.
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