La reconnaissance par le droit français des décisions de justice en provenance du Royaume-Uni

Publié le 25/02/2021

Antérieurement, les décisions de justice en provenance du Royaume-Uni bénéficiaient d’un système de reconnaissance décomplexifié dans le cadre du droit de l’Union européenne. Qu’en est-il, outre la coopération judiciaire en matière pénale, dès lors que la période de transition s’achève et que le Royaume-Uni sort du cadre juridique de l’Union européenne ?

Photo de Parlement Britanique

I – Cadre général

La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne opère un changement de cadre en matière de reconnaissance par le droit franç

ais des décisions de justice provenant du Royaume-Uni, sur la base de l’application de principe des règles de droit international privé français, et avec des perspectives d’avenir.

A – Une mutation : le Royaume-Uni se démarque du cadre de l’Union européenne

Les relations juridiques entre la France et le Royaume-Uni sont appelées à connaître une mutation, le Royaume-Uni se démarquant du cadre de l’Union européenne, après une période de transition qui a pris fin à l’issue de l’année 2020. Cette situation nouvelle conduit à s’interroger sur la teneur des nouvelles règles de reconnaissance par le droit international privé français de décisions de justice en provenance du Royaume-Uni. Si auparavant la reconnaissance des décisions de justice du Royaume-Uni était largement admise dans le cadre des normes du droit de l’Union européenne, elle semble revêtir de nouveaux contours pour les années à venir.

B – L’application de principe du droit international privé français

Par principe, en droit international privé français, en dehors du cadre de l’Union européenne et de toute convention internationale spécifique, les juridictions françaises décident de reconnaître les décisions de justice étrangères sur la base des critères de la compétence du juge étranger, de respect de l’ordre public international selon elles, et d’absence de fraude. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, « pour accorder l’exequatur en l’absence de convention internationale comme c’est le cas dans les relations entre la France et la fédération de Russie, le juge français doit s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude »1. Cette base jurisprudentielle pose un cadre. Elle est appelée à concerner tous les cas d’absence de convention internationale, comme ceux qui sont susceptibles de se présenter désormais en nombre entre la France et le Royaume-Uni.

C – Perspectives

Les perspectives d’avenir sont marquées à la fois par une continuité et par la nécessité d’une certaine créativité.

1 – Généralités

Les accords préexistants entre le Royaume-Uni et la France, s’ils ne sont pas dénoncés, sont appelés à perdurer selon un principe de continuité, comme cela est le cas dans le contexte de bouleversements majeurs historiquement répertoriés.

2 – Projet d’adhésion à la convention de Lugano

Cette situation ouvre également la voie à une créativité de repositionnement du Royaume-Uni sur le plan international, par exemple au regard du projet d’adhésion, à titre individuel, à la convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Ce projet nécessite l’accord de toutes les parties à cette convention, à savoir l’Union européenne, le Danemark, l’Islande, la Norvège et la Suisse. Ainsi, une sensible évolution se dessine.

La plupart des règles de la convention de Lugano reprennent celles du règlement européen n° 44/2001/CE, auquel le règlement européen n° 1215/2012/CE a succédé. Cette convention de Lugano, qui concerne en principe la matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction, ne recouvre pas les matières fiscales, douanières ou administratives et exclut de son champ d’application l’état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions, les faillites, concordats et autres procédures analogues, la sécurité sociale et l’arbitrage, sur le modèle du règlement n° 44/2001/CE.

La convention part du principe que les décisions rendues dans un de ses États contractants sont reconnues dans les autres États contractants, sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure (article 33, alinéa 1er) et sans révision au fond (article 36). Les critères de non-reconnaissance reprennent le modèle du règlement n° 44/2001/CE.

La convention de Lugano est considérée comme un gage de sécurité juridique, pour avoir fait ses preuves. D’autres conventions participent de cette sécurité, notamment en matière familiale.

II – Spécificités en matière familiale

Le domaine du droit de la famille est amené à se développer suivant une nécessaire créativité. Toutefois, entre la France et le Royaume-Uni, des conventions internationales se rapportant à la matière familiale ont été conclues en dehors du cadre de l’Union européenne et semblent s’inscrire dans la durée, pour ce qui est de la reconnaissance transnationale des décisions de justice. Il s’agit notamment de la convention du 2 octobre 1973 concernant la reconnaissance et l’exécution de décisions relatives aux obligations alimentaires, de la convention européenne du 20 mai 1980 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants, de la convention du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants et de la convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes.

Ces conventions visent à harmoniser, entre leurs États contractants, les modalités de reconnaissance des décisions de justice en matière d’obligations alimentaires, de protection des enfants et des adultes vulnérables. Elles posent des critères de reconnaissance et de refus de reconnaissance de manière sectorielle. Elles ont chacune un champ d’application précis et des critères de reconnaissance et de refus de reconnaissance distincts, autour de considérations proches de celles du droit international privé français de droit commun, tels que l’ordre public et la sanction de la fraude.

Ainsi, par exemple, selon l’article 5 de la convention du 2 octobre 1973 concernant la reconnaissance et l’exécution de décisions relatives aux obligations alimentaires, la reconnaissance ou l’exécution de la décision peut néanmoins être refusée :

  • si la reconnaissance ou l’exécution de la décision est manifestement incompatible avec l’ordre public de l’État requis ;

  • si la décision résulte d’une fraude commise dans la procédure ;

  • si un litige entre les mêmes parties et ayant le même objet est pendant devant une autorité de l’État requis, première saisie ;

  • si la décision est incompatible avec une décision rendue entre les mêmes parties et sur le même objet, soit dans l’État requis, soit dans un autre État lorsque, dans ce dernier cas, elle réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance et à son exécution dans l’État requis.

La convention européenne du 20 mai 1980 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants pose le principe (article 7) selon lequel les décisions relatives à la garde rendues dans un État contractant doivent être reconnues et mises à exécution dans tout autre État contractant lorsqu’elles sont exécutoires dans l’État d’origine. Cette convention précise les critères de reconnaissance et de refus de reconnaissance de ces décisions.

Selon l’article 23 de la convention du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, les mesures prises par les autorités d’un État contractant sont reconnues de plein droit dans les autres États contractants (article 23, alinéa 1er), et la reconnaissance peut être refusée sur des critères d’incompétence de l’autorité ayant pris la mesure en cause, d’irrespect du droit de l’enfant d’être entendu en violation des principes fondamentaux de procédure de l’État requis (sauf dans les cas d’urgence), d’atteinte à la responsabilité parentale en dehors des cas d’urgence si le demandeur s’en prévalant n’a pas eu la possibilité d’être entendu, d’ordre public de l’État requis au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, d’incompatibilité avec une mesure réunissant les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État requis, de violation des règles de procédure pour ce qui est du placement ou du recueil de l’enfant (article 23, alinéa 2).

Sur le même modèle, selon l’article 22 de la convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes, les mesures prises par les autorités d’un État contractant sont reconnues de plein droit dans les autres États contractants et la reconnaissance peut être refusée sur des critères d’incompétence, de violation du droit de l’adulte à être entendu (hors les cas d’urgence), de contrariété à l’ordre public ou à une loi impérative de l’État requis, d’incompatibilité avec une mesure réunissant les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État requis, d’irrespect de la procédure de placement.

Toutefois, certaines conventions internationales liant la France et le Royaume-Uni font l’objet, de leur part, de réserves et de déclarations spécifiques.

Par exemple, pour ce qui est de la convention du 2 octobre 1973 concernant la reconnaissance et l’exécution de décisions relatives aux obligations alimentaires, le Royaume-Uni se réserve le droit de ne pas reconnaître ni déclarer exécutoires certaines décisions et les transactions en matière d’obligations alimentaires.

Dans le cadre de la convention européenne du 20 mai 1980 sur la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de garde des enfants et le rétablissement de la garde des enfants, le Royaume-Uni a spécifié ses modalités d’interprétation au regard de la convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, faite à La Haye le 25 octobre 1980, et a fait usage de sa faculté de refuser de reconnaître et d’exécuter certaines décisions.

Pour ce qui est de la convention du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, la France et le Royaume-Uni avaient précisé, notamment, qu’une décision rendue par une juridiction d’un État membre de l’Union européenne sur une question relative à la convention, était reconnue et exécutée en France et au Royaume-Uni par application des règles internes pertinentes du droit communautaire, présentées comme au moins aussi favorables que la convention. Ces règles de droit de l’Union européenne voient leur portée reconfigurée.

En matière de réserves et déclarations étatiques, à titre d’exemple, le Royaume-Uni a notamment procédé à une déclaration initiale selon laquelle la convention du 13 janvier 2000 sur la protection internationale des adultes s’appliquera uniquement à l’Écosse et que cette déclaration pourra à tout moment être modifiée, sur la base de l’article 55 de la convention. La France n’a pas procédé, pour sa part, à une restriction territoriale de l’application de cette convention sur le fondement de son article 55. Entrée en vigueur le 1er janvier 2009, cette convention n’a pas encore donné lieu à une jurisprudence très fournie.

III – Consécration de la liberté contractuelle

Le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne consacrerait une liberté contractuelle encadrée. En matière de reconnaissance des décisions de justice, les accords d’élection de for, que l’on retrouve fréquemment dans les contrats, surtout commerciaux, jouent un rôle important, tout comme les sentences arbitrales.

A – Les accords d’élection de for

Les accords d’élection de for, qui consistent à choisir la juridiction compétente en cas de litige, relèvent de la convention du 30 juin 2005 sur les accords d’élection de for, à laquelle le Royaume-Uni a adhéré à titre individuel et à laquelle la France est partie du fait de l’approbation de l’Union européenne.

Cette convention pose le principe de la reconnaissance et de l’exécution, dans les autres États contractants, du jugement rendu par un tribunal d’un État contractant désigné dans un accord exclusif d’élection de for (article 8). Elle présente les critères de reconnaissance et de non-reconnaissance des jugements fondés sur ces accords d’élection de for.

Elle s’applique, dans des situations internationales, aux accords exclusifs d’élection de for conclus en matière civile ou commerciale (article 1er), et exclut toutefois de son champ d’application nombre de domaines. Le Royaume-Uni a spécialement délimité les cas d’application de cette convention aux contrats d’assurance.

Dans les limites de son champ d’application, cette convention peut apporter beaucoup en sécurité juridique en matière de reconnaissance par le droit français des décisions de justice provenant du Royaume-Uni.

B – La reconnaissance des sentences arbitrales du Royaume-Uni

Les sentences arbitrales du Royaume-Uni sont reconnues en France sur la base des règles de droit commun du Code de procédure civile et également sur le fondement de la convention de New-York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères du 10 juin 1958, qui s’articulent entre elles.

1 – Le droit commun français sur la reconnaissance des sentences arbitrales étrangères

Le Code de procédure civile traite, pour sa part, de la question de la reconnaissance et de l’exécution des sentences arbitrales étrangères en France. Selon son article 1514, les sentences arbitrales sont reconnues ou exécutées en France si leur existence est établie, selon les modalités fixées par l’article 1515, par celui qui s’en prévaut, et si cette reconnaissance ou cette exécution n’est pas manifestement contraire à l’ordre public international. L’exécution forcée de la sentence arbitrale nécessite une ordonnance d’exequatur à l’issue d’une procédure non contradictoire (CPC, art. 1516). L’ordonnance de refus d’exequatur doit être motivée, selon l’article 1517 in fine du Code de procédure civile. Cela concerne également les sentences arbitrales rendues au Royaume-Uni.

2 – L’implication de la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, conclue à New-York le 10 juin 1958

La France et le Royaume-Uni sont parties à la convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, conclue à New-York le 10 juin 1958.

Concernant cette convention, le Royaume-Uni ne l’applique que pour les sentences arbitrales rendues sur le territoire d’un autre État partie à cette convention. La France fait de même, sur la base de la réciprocité.

Il s’agit de reconnaître et d’exécuter les sentences arbitrales étrangères sans que soient imposés des conditions sensiblement plus rigoureuses ni des frais de justice sensiblement plus élevés, que ceux qui sont imposés pour la reconnaissance ou l’exécution des sentences arbitrales nationales (article III).

La convention décrit la procédure de reconnaissance des sentences arbitrales ainsi que des critères de refus.

Selon l’article VII de la convention de New-York, ses dispositions ne privent aucune partie intéressée du droit qu’elle pourrait avoir de se prévaloir d’une sentence arbitrale de la manière et dans la mesure admise par la législation ou les traités du pays où la sentence est invoquée, de sorte qu’il y a une articulation entre le cadre du Code de procédure civile et la convention de New-York.

Selon la jurisprudence se rapportant à cet article VII, dans le cadre d’un arbitrage organisé à Londres, la sentence internationale, qui n’est rattachée à aucun ordre juridique étatique, est une décision de justice internationale dont la régularité est examinée au regard des règles applicables dans le pays où sa reconnaissance et son exécution sont demandées, de sorte qu’il est légitime de se prévaloir des dispositions du droit français de l’arbitrage international, qui ne prévoit pas l’annulation de la sentence dans son pays d’origine comme cause de refus de reconnaissance et d’exécution de la sentence rendue à l’étranger2.

La Cour de cassation avait également jugé, sur la base de ce même article VII, concernant un arbitrage organisé en Suisse, qu’il est légitime de se prévaloir des règles françaises relatives à la reconnaissance et à l’exécution des sentences rendues à l’étranger en matière d’arbitrage international et notamment de l’article 1502 du nouveau Code de procédure civile qui ne retient pas, au nombre des cas de refus de reconnaissance et d’exécution, celui prévu par l’article 5 de la convention de 1958, et que la sentence litigieuse rendue en Suisse étant une sentence internationale non intégrée dans l’ordre juridique de cet État, son existence demeurait établie malgré son annulation et sa reconnaissance en France n’était pas contraire à l’ordre public international3.

Une certaine sécurité juridique est donc garantie en matière de reconnaissance par le droit français des sentences arbitrales provenant du Royaume-Uni.

Force est de constater que la question de la reconnaissance en droit français des décisions de justice en provenance du Royaume-Uni repose sur une base consistante en droit international privé. Elle est naturellement appelée à des développements futurs, car alors que le droit du Royaume-Uni se restructure, on peut s’attendre à une évolution adaptée en droit français de l’exequatur, en conséquence d’une nouvelle jurisprudence outre-Manche.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 1re civ., 30 janv. 2013, n° 11-10588.
  • 2.
    Cass. 1re civ., 29 juin 2007, n° 05-18053 : Bull. civ. I, n° 250.
  • 3.
    Cass. 1re civ., 23 mars 1994, n° 92-15137 : Bull. civ. I, n° 104.
X