La déontologie et la formation du médiateur : une question de confiance

Publié le 13/02/2023

Selon le rapport sur la justice du XXIe siècle, seulement 1 % des affaires judiciaires font l’objet d’une médiation. Le défi de la politique nationale de l’amiable, annoncée le 13 janvier dernier par le garde des Sceaux, va consister précisément à sortir la médiation de cette confidentialité. Fabrice Vert, Premier Vice-président au tribunal judiciaire de Paris et Michèle Guillaume-Hofnung, Professeure émérite des facultés de droit, estiment qu’il faut agir sur la confiance, ce qui passe en particulier par la déontologie et la formation. 

médiation
Photo : ©AdobeStock/Wasan

 Médiation et conciliation : modes premiers de règlement des litiges ? Tel est le titre d’un article de la première présidente Chantal Arens et de la professeure de droit Natalie Fricéro publié le 25 avril 2015 par la Gazette du palais. On en est encore bien loin quand on sait par exemple que selon le rapport sur la justice du XXIe siècle seulement 1 % des affaires judiciaires font l’objet d’une médiation.

La politique nationale de l’amiable annoncée le 13 janvier dernier solennellement par le garde des Sceaux reste à construire.

La confiance ne se décrète pas  

Un des leviers d’acculturation de la médiation dans les milieux judiciaires mérite d’être travaillé. Il s’agit de la confiance dans le médiateur et dans la médiation accordée par les juges, les avocats, les justiciables et les pouvoirs publics.

La confiance ne se décrète pas mais s’acquiert et cette confiance ne sera largement partagée que s’il est répondu à certains impératifs

La médiation contemporaine est une pratique sociale récente amorcée dans les années quatre-vingt.

Les interrogations sur son bon développement et son acculturation dans le domaine judiciaire donnèrent naissance à deux rapports pratiquement concomitants.

Le rapport n° 3696 de la délégation pour l’Union Européenne de l’Assemblée Nationale « La médiation, un nouvel espace de justice en Europe » présenté en février 2007 par le député Jacques Floch, et le rapport « célérité et qualité de la justice, la médiation une autre voie » issu du groupe de travail sur la médiation, installé par le premier président de la cour d’appel de Paris, Jean-Claude Magendie le 11 février 2008.

Leurs explications sur les difficultés d’implantation de la médiation restent pertinentes.

Tout d’abord, en premier lieu, la médiation et les modes amiables dans le domaine judiciaire ne doivent pas être présentés comme de la déjudiciarisation ou un moyen de réduire les stocks, mais comme un enrichissement de la réponse judiciaire et une chance supplémentaire offerte aux justiciables de nouer ou renouer un dialogue et de les aider à résoudre leur litige.

En second lieu, chaque mode amiable doit recevoir une définition le distinguant des autres modes amiables avec, selon le cas, une procédure ou un processus bien identifié (bien nommer pour bien faire).

En troisième lieu, les modes amiables, qui font partie de l’office du juge, doivent être intégrés dans le fonctionnement des juridictions (structurer sans rigidifier, fil directeur du rapport sur la Médiation de la cour d’appel Paris de 2008) dans le cadre d’une politique de l’amiable (objectifs, moyens, évaluation).

En quatrième lieu, il est nécessaire de développer une formation performante des acteurs judiciaires sur la pratique des modes amiables et délivrer une information à nos concitoyens sur les processus amiables et leurs avantages.

En cinquième lieu, il faut penser des mesures incitatives, notamment financières, pour favoriser le recours aux modes amiables et des mesures sanctionnant les justiciables de mauvaise foi.

En sixième lieu, la compétence et la déontologie du médiateur doivent être garanties de médiateur.

L’établissement de la confiance dans le médiateur passe par deux stades.

*Il faut d’abord lever les méfiances, les craintes de concurrence à l’égard d’une profession émergente et surtout protéiforme. La fragilité de l’identité du cœur de la profession – la médiation – affaiblit grandement l’image du médiateur. Si on ne connaît pas la médiation comment faire confiance au médiateur ?

*Il faut ensuite que la profession donne des garanties de sérieux. L’exercice s’avère délicat dans la mesure où il ne faut pas scléroser la profession par un carcan inadapté. Il ne faut pas perdre de vue que le contrôle n’aboutit pas toujours à une réelle garantie. Deux pistes méritent l’approfondissement. La construction d’une déontologie adaptée et un corpus de formation solide.

 Lever les défiances et les craintes mais aussi faire connaître

Les défiances et les craintes existent dans plusieurs professions, la faible connaissance est hélas pratiquement générale. Les gisements de confiance sont donc à chercher là.

Il est inévitable que le juge détenteur de l’imperium gardien des libertés individuelles et garant de l’ordre public ait éprouvé quelque méfiance à l’égard d’un nouvel acteur se targuant d’incarner « une Justice douce ». On comprend qu’en droit du travail ou en droit de la famille la méfiance ait pu naître.

On comprend aussi que dans un premier temps les avocats aient vu dans le médiateur un redoutable concurrent. Grâce à des échanges mutuels les avocats ont largement évolué mais pas tous.

Dans les entreprises, les directions juridiques ou les directions de ressources humaines continuent à éprouver une certaine méfiance à l’égard du médiateur. Elles s’en défendent en se pensant « médiateurs naturels » dans les conflits qu’elles doivent gérer. Les « médiateurs naturels » ne font confiance qu’à eux-mêmes ce qui ne laisse pas de place à d’autres professionnels.

Le degré de confiance du justiciable quant à lui dépendra largement de la culture de médiation de son avocat. Si son avocat est acquis à la médiation et a su faire preuve de pédagogie le justiciable verra dans le médiateur un partenaire fiable. Mais si son avocat ne sait pas ce qu’est la médiation et voit dans le médiateur un concurrent, le justiciable y verra un intervenant qui va allonger la procédure.

Des garanties de sérieux : la formation et la déontologie

La solidité de la déontologie et de la formation repose sur une garantie préalable, celle d’une définition rigoureuse et totalement spécifique de la médiation. En effet si on ne sait pas ce qu’est la médiation, on ne sait pas ce que l’on fait et on ne sait pas à quoi on se forme. La définition préalable fournit un gage de confiance. C’est pourquoi le Code National de déontologie du médiateur de 2009 (élaboré par plusieurs associations de médiateurs et l’Union professionnelle indépendante des médiateurs) commence judicieusement par une définition de la médiation. Le code de déontologie contribue doublement à identifier le médiateur puisque, comme on vient de le voir, il définit ce que fait le médiateur, à savoir la médiation, mais aussi parce que la définition de la médiation pose les critères qui définissent le médiateur.

La médiation activité du médiateur, se présente de manière très précise et très identifiable. Elle est un processus et non pas une procédure fut-elle allégée. Elle repose sur la liberté des médiés et du médiateur. Ainsi l’expression médiation obligatoire installe un oxymore létal ainsi que la méfiance. : « si c’est si bien pourquoi m’imposer ? ». L’expression information obligatoire sur la médiation serait à la fois plus exacte et pédagogique. La médiation obligatoire rapprocherait la médiation de la conciliation, puisqu’il existe des cas classiques de conciliation obligatoire (sans qu’on puisse affirmer l’efficacité de l’obligation). Tout rapprochement des régimes juridiques fournirait un indice d’assimilation des natures juridiques. La liberté soutient la responsabilité des médiés. Tout au long de la médiation le médiateur peut s’appuyer sur elle pour rappeler aux médiés qu’ils ont accepté la « règle du jeu ». Ce processus permet non seulement de régler le conflit, mais aussi de le prévenir et ce qui est sa fonction première de créer ou de recréer le lien. Ces quatre fonctions offrent à la médiation ainsi qu’au médiateur et à ses partenaires un potentiel plus large que le simple règlement des conflits. Elles élargissent donc le potentiel périmètre de la confiance envers le médiateur. Enfin le caractère absolument confidentiel du processus contient le germe de la confiance. L’étymologie parle d’elle-même.

Le médiateur constituant le deuxième critère de la médiation fait l’objet d’un soin particulier. Le code le définit comme un tiers impartial indépendant et neutre. Rien de plus facile pour un juriste que de définir le tiers, et c’est heureux, c’est un élément d’identification fondamental. Le tiers se définit par son extériorité. Le « médiateur maison » est certainement respectable mais il lui manque l’extériorité. La formule « médiateur maison » engendre par elle-même un soupçon de dépendance ou de partialité même si le médiateur peut à titre personnel offrir des garanties de probité.

 L’indépendance, la neutralité, l’impartialité

Les autres critères de définition du médiateur sont tout aussi exigeants et c’est pourquoi ils peuvent fonder la confiance :

*L’impartialité est la qualité du médiateur à l’égard des personnes. Le médiateur doit veiller à ne pas se laisser influencer par des antipathies ou des sympathies. Il est inévitable pour un être humain d’en ressentir, mais un médiateur doit savoir les repérer et se réajuster.

*La neutralité est la qualité du médiateur à l’égard des résultats de la médiation. Il doit se garder de faire prévaloir sa solution. Il doit respecter la solution des médiés. La médiation est une maïeutique, le médiateur peut trouver que le résultat dont les médiés ont accouché n’est pas celui escompté mais c’est leur résultat. Seule une objection d’ordre public justifierait de déroger à l’absolue neutralité. La neutralité du médiateur est garante de la nature éthique du processus de médiation. La médiation est un processus de communication éthique. Le médiateur garantit l’égale dignité de la parole de chacun. C’est tout mais c’est essentiel. Cela requiert de la part du médiateur beaucoup d’énergie. Il consacre son énergie à garantir le cadre.

*L’indépendance du médiateur constitue elle aussi une source importante et particulièrement exigeante de confiance. Elle s’apprécie bien sûr à l’égard des médiés mais aussi à l’égard de possibles partenaires encombrants. Les attentes explicites ou implicites des financeurs de dispositifs de médiation ou des prescripteurs de médiations pèsent parfois lourdement sur les médiateurs. Les médiés lorsqu’ils le perçoivent peuvent perdre confiance.

Le métier de médiateur n’est donc pas simple, difficile de s’affirmer « médiateur naturel » ou de se croire comme Monsieur Jourdain « médiateur sans le savoir ». La maxime « la formation avant toute chose » a guidé les pionniers de la médiation. La création de la première formation à la médiation en 1987 dans le cadre de Droit de l’Homme et Solidarité DHS proposait un parcours en deux ans. Une première année enseignait un socle généraliste de 180 heures. Une deuxième année 180 heures fournissait les compléments de spécialisation dans les secteurs que nous avions identifiés comme les secteurs d’avenir.

La compétence du médiateur

La formation constitue la meilleure source de légitimité et de confiance dans le médiateur. Elle doit obéir à conditions incontournables qui pourraient passer pour des lapalissades si elles n’étaient pas malheureusement nécessaires pour le moment. Elle doit être une formation et doit porter sur la médiation. La formation dépasse le simple entraînement qui séduit car il dure peu et se présente comme pratique. Elle doit former spécifiquement à la médiation ce qui ramène à l’exigence première, reposer sur une définition spécifique de la médiation. Elle doit comporter des principes fondamentaux de la médiation, des éléments de psychologie, de sociologie, de droit et bien sûr beaucoup de mises en situations pratiques une fois les principes fondamentaux consolidés.

 Une des missions du futur conseil national de la médiation

La confiance ne se décrète pas elle se gagne, elle se construit. On ne peut pas non plus la garantir à coups de normes et de labellisations prématurées. Le Conseil National de la Médiation, qui sera prochainement installé, pourrait apporter des réponses sur ces questions essentielles puisqu’entre dans sa mission selon la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire de proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation, des référentiels nationaux de formation des médiateurs et de faire toute recommandation sur la formation. Une mission enthousiasmante, exigeante et essentielle. .

 

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