Médiation en appel : surveillez les délais pour conclure !

Publié le 16/01/2023

Dans un arrêt du 12 janvier dernier, la Cour de cassation a estimé justifiée la caducité de la déclaration d’appel suivant une médiation puisque l’appelant n’a pas respecté le délai de trois mois prévu à l’article 908 du code de procédure civile (CPC) pour remettre ses conclusions au fond, dont le point de départ est la date de l’expiration de la médiation judiciaire. Natalie Fricero, professeur des Universités, met en garde sur l’importance de respecter les délais. Elle estime également nécessaire de réformer le code de procédure civile pour permettre au juge de prolonger la médiation judiciaire au-delà de la durée actuelle de six mois. 

Médiation en appel : surveillez les délais pour conclure !
Cour de cassation  (Photo : ©P. Cabaret)

Un arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation du 12 janvier 2023 (Arrêt n° 34 F-B Pourvoi n° A 20-20.941) doit retenir l’attention des avocats, et, sans doute, donner lieu à une réforme dans le cadre du développement de l’amiable qui fait l’objet des objectifs prioritaires actuels (voir la présentation des projets de réforme par le garde des Sceaux, ministre de la Justice du 5 janvier 2023, et la journée de lancement de l’amiable du vendredi 13 janvier 2023).

Dans cette affaire, un plaideur forme appel et par une ordonnance du 13 juin 2016, le conseiller de la mise en état ordonne une médiation, précise dans son ordonnance que la mission du médiateur prendra fin à l’expiration d’un délai initial de trois mois commençant à courir à compter de la première réunion et ordonne un sursis à statuer sur toutes les demandes des parties. Par ordonnance du 13 décembre 2016, le conseiller de la mise en état a accordé au médiateur un délai supplémentaire jusqu’au 20 février 2017 pour mener à bien sa mission. Le 26 décembre 2017, l’appelante a déposé des conclusions aux fins de reprise d’instance après médiation. Saisi de conclusions d’incident par l’intimé, le conseiller de la mise en état a déclaré caduque la déclaration d’appel par ordonnance du 17 octobre 2018 que l’appelante a déférée à la cour d’appel, qui confirme la sanction. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cet arrêt : la caducité est justifiée, puisque l’appelant n’a pas respecté le délai de trois mois prévu à l’article 908 du CPC pour remettre ses conclusions au fond, dont le point de départ est la date de l’expiration de la médiation judiciaire.

Le délai imparti à l’appelant pour conclure à peine de caducité de la déclaration d’appel a pour point de départ l’expiration de la mission du médiateur !

Le pourvoi a donné à la Cour de cassation l’occasion de fixer les conditions d’application de l’article 910-2 du CPC. Afin de favoriser la médiation en cours d’instance d’appel sans pénaliser les parties, la décision d’ordonner une médiation judiciaire sur le fondement de l’article 131-1 du CPC interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du CPC. L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur (il en va de même de l’injonction de rencontrer un médiateur, ordonnée sur le fondement de l’article 127-1 du CPC, jusqu’à l’expiration du délai fixé par le juge). La durée initiale de la médiation judiciaire est de trois mois à compter du jour où la provision est versée entre les mains du médiateur depuis le décret du 25 février 2022 (art. 131-3 CPC : le décret de 2022 permet le versement de la provision entre les mains du médiateur, et non plus au greffe de la juridiction). Elle peut être renouvelée une fois par le juge, pour une même durée, à la demande du médiateur. En application des dispositions prévues à l’article 910-2 du CPC, c’est à la date de la fin de la mission du médiateur que les délais pour conclure sont comptés : en l’espèce, lorsque l’appelante remet ses conclusions à la cour d’appel, le délai de trois mois dont elle disposait après l’expiration de la mission du médiateur était expiré, ce qui justifiait le prononcé de la caducité de la déclaration d’appel (art. 908 CPC).

Le moyen du pourvoi invoquait le fait que le délai de trois mois pour conclure ne pouvait partir qu’à compter de l’audience à laquelle l’affaire doit être rappelée par le juge à l’issue de la médiation judiciaire, comme le prévoit l’article 131-10 du CPC, les parties étant convoquées par lettre RAR par le greffe. La Cour de cassation rejette ce moyen : « l’appelante ajoute au texte de l’article 910-2 du CPC lorsqu’elle soutient que l’instance n’a pas repris au motif que le médiateur n’a pas remis de note de fin de médiation au juge et que l’affaire n’a pas été fixée à une audience de mise en état ». Ces exigences ne sont pas prévues à l’article 910-2 du CPC qui vise expressément, et exclusivement, l’expiration de la mission du médiateur : ce terme marque la reprise de l’instance, et le délai de trois mois imparti à l’appelant pour conclure doit être décompté à partir de cette date, qu’il s’agisse de la première période de trois mois, ou de sa prolongation pour trois mois supplémentaire !

Les pourparlers amiables informels poursuivis après la médiation judiciaire n’interrompent pas les délais pour conclure !

Il arrive que la durée fixée par le juge pour la médiation judiciaire (6 mois maximum) ne suffise pas pour conclure un accord : le nombre de parties, la nature du litige et la complexité des faits peuvent expliquer qu’un temps supplémentaire soit laissé aux parties et au médiateur. Malheureusement, la poursuite de pourparlers informels ne peut pas se dérouler sous l’égide d’une médiation judiciaire, l’article 131-10 du CPC ne le permettant pas. Les avocats doivent alors être particulièrement vigilants dans l’accomplissement des actes de procédure dans l’instance d’appel : en effet, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir décidé que « les pourparlers poursuivis de façon informelle ne sont pas de nature à interrompre les délais pour conclure ». La solution contraire ferait craindre que l’interruption des délais pour conclure ne s’éternise sans contrôle.

Si les parties entendent prolonger les pourparlers au-delà de la période des 6 mois de médiation judiciaire, l’avocat de l’appelant doit impérativement remettre ses conclusions sur le fond à la cour d’appel et les notifier à l’avocat de l’intimé avant l’expiration du délai de trois mois pour conclure, courant à compter du terme de la médiation judiciaire (art. 908 CPC). À défaut, l’appelant sera sanctionné par la caducité de la déclaration d’appel… Cette solution, justifiée en l’état actuel des textes, pose problème : les parties peuvent-elles encore dialoguer en toute sérénité alors que leurs avocats sont contraints d’échanger des conclusions sur le fond fondées sur des positions nécessairement antinomiques (d’autant que les conclusions doivent être conformes aux dispositions prévues à l’article 954 du CPC, énoncer toutes les prétentions sur le fond, avec les moyens en fait et en droit) ?

La médiation judiciaire peut se poursuivre sous la forme d’une « médiation conventionnelle » : comme l’article 910-2 du CPC ne vise pas cette hypothèse, ce qui doit conduire à exclure également l’interruption du délai de caducité…

La volonté des pouvoirs publics de promouvoir l’amiable au cours de l’instance d’appel devrait conduire à une réforme du CPC, pour laisser au juge la possibilité de prolonger la médiation judiciaire au-delà des 6 mois actuellement prévus (article 131-10 CPC), si le médiateur l’informe que la poursuite des négociations est nécessaire pour parvenir à un accord. Il faut laisser aux parties le temps nécessaire pour trouver un accord et créer un cadre propice à un dialogue loyal et apaisé !

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