Pour ou contre la médiation obligatoire ?

Publié le 27/02/2023

Malgré toutes ses vertus, la médiation n’est pas aussi utilisée qu’elle le devrait. Faut-il alors envisager de la rendre obligatoire ? Pour Fabrice Vert, il est temps d’envisager au minimum de recourir à des incitations fortes. Explications. 

Pour ou contre la médiation obligatoire ?
Business people shake hands with business partnership at a meeting. The concept of mediation.

Le caractère obligatoire de la médiation est l’un des vieux marronniers de la médiation, objet de nombreux colloques et de chroniques régulières [i] [ii].

Vers la création d’un droit à la médiation ?

La question est néanmoins d’actualité et mérite toute notre attention au regard des réalités du terrain et de l’annonce d’une politique nationale de l’amiable censée rendre effectif l’office conciliatoire du juge, et de la proposition de certains de voir créer un nouveau droit subjectif, le droit à la médiation à l’instar du droit au juge.

Tout d’abord il faut préciser ce que l’on entend par médiation obligatoire. Il ne s’agit pas de contraindre les parties à trouver un accord pour mettre un terme à leur litige mais de leur demander de se réunir autour d’une table, assistées le cas échéant de leurs conseils, pour tenter de trouver, avec l’aide d’un tiers, impartial, neutre et indépendant, un accord mettant fin au litige, à peine d’irrecevabilité de la demande en justice.

On peut s’étonner de voir prôner un tel caractère obligatoire dès lors qu’on pourrait naïvement se convaincre que les avantages de la médiation se suffisent pour consacrer la médiation comme un mode habituel de règlement des litiges. En effet, les nombreux avantages de la médiation sont bien connus. L’intérêt de la médiation, outre sa rapidité évitant des procès lents et coûteux et sa confidentialité, est de permettre aux justiciables de se réapproprier le procès en évitant l’aléa judiciaire, d’en devenir des acteurs responsables, de leur permettre de porter eux-mêmes leur parole et d’écouter celle de l’autre, de se comprendre mutuellement, d’aborder l’entièreté du conflit aussi bien dans ses aspects économiques, relationnels, psychologiques, sociaux au-delà du litige strictement juridique qui bien souvent ne traduit pas la véritable origine du conflit, la réponse judiciaire à ce litige ne pouvant dès lors mettre fin à ce dernier. Au-delà de l’accord ponctuel qui mettra, le cas échéant fin au litige soumis au juge, la médiation permet de nouer ou de renouer un lien social entre des parties en conflit et de préserver l’avenir si elles sont amenées à continuer à entretenir des relations, qu’elles soient de nature commerciale, familiales, de voisinage. Elle permet aussi de trouver des solutions inventives et originales où l’équité aura toute sa place.

Le faible succès du recours volontaire aux modes amiables

Mais ces qualités avérées n’ont pas suffi à assurer le succès des modes amiables en raison des nombreux freins culturels d’une société française qui se caractérise plus comme une société du conflit que du compromis et qui ne pratique guère la négociation et le dialogue, privilégiant l’affrontement et les postures. Quant à l’enceinte judiciaire, elle est trop souvent perçue comme une arène où combattent des « ténors » et maintenant des « ténoras », l’amiable y paraissant bien souvent incongru malgré ses vertus.

On peut ainsi constater le faible succès du recours volontaire aux modes amiables que sont la convention de procédure participative, malgré ses nombreux atouts, ou l’expertise amiable par actes contresignés par avocats.

Par ailleurs, c’est la généralisation en 2019 de l’injonction de rencontrer un médiateur qui a permis un certain essor de la médiation dans les juridictions (alors que la médiation judiciaire existait depuis une loi de 1995 avec une utilisation marginale).

Autre exemple qui milite pour le recours obligatoire aux modes amiables, c’est l’historique à rebondissement de l’article 750-1 du Code de procédure civile issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, modifié par un décret n° 2022-245 du 25 février 2022 – qui disposait dans sa dernière version de l’article 1 :

« À peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage. » Ces dispositions ont conduit à de nombreuses saisines, avec succès, notamment des conciliateurs de justice préalablement à l’action devant le juge, pour des litiges de la vie quotidienne. Or, on a pu constater dans les tribunaux depuis l’annulation de cet article par le Conseil d’État dans sa décision du 22 septembre 2022, que les conciliateurs de justice sont beaucoup moins saisis par les justiciables depuis la disparition du caractère obligatoire de la saisine du conciliateur.

Aussi, devant le développement marginal de la médiation et plus largement de la voie amiable, certains prônent l’obligation de rencontrer un médiateur ou un conciliateur, avant tout recours au juge pour rendre effective la voie amiable dans le règlement des litiges.

La médiation obligatoire validée par les cours suprêmes européennes

La Cour européenne des droits de l’Homme, dans un arrêt Momcilovic contre Croatie du 26 mars 2015, a considéré que l’objectif d’une disposition législative instaurant, à peine d’irrecevabilité de la demande en justice, une obligation de recourir préalablement à un mode amiable de résolution du différend est conforme à l’article 6 § 1 de la Convention européenne. La Cour admet que cette restriction à l’accès direct au tribunal poursuit un but légitime qui est d’assurer des économies pour le service public de la justice et d’ouvrir la possibilité pour les parties de résoudre leur différend sans l’intervention des tribunaux

Par ailleurs, la Cour de justice de l’Union européenne, le 14 juin 2017, dans l’affaire C-75/16 Livio Menini et Maria Antonia Rampanelli/Banco Popolare Societa Cooperativa, retient que le droit de l’Union ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui prévoit, dans les litiges impliquant des consommateurs, qu’une médiation obligatoire soit menée avant tout recours juridictionnel.

Certains pays comme l’Australie ou en Europe l’Italie, devant le succès mitigé du recours spontané aux modes amiables de résolution des litiges ont introduit des dispositifs de recours préalables obligatoires à la médiation (actuellement le Québec envisage la médiation préalable gratuite pour « les petites créances » de 15 000 dollars).

La France a également, outre l’article 750-1 du Code de procédure civile, qui devrait bientôt renaître de ses cendres (avec quelques modifications) après son annulation par le Conseil d’État, commencé à introduire dans certains contentieux un recours préalable obligatoire à la médiation avant la saisine du juge, notamment à titre expérimental en matière familiale dans plusieurs juridictions pilotes (L’article 7 de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, a instauré, à titre expérimental, une tentative de médiation familiale « obligatoire » à peine d’irrecevabilité) ou dans certains contentieux administratifs (le dispositif de médiation préalable obligatoire, pérennisé depuis le 25 mars 2022, dans certains contentieux administratifs a permis de trouver un accord pour 76 % des 4 364 médiations préalables menées depuis le début de son expérimentation).

Si le caractère obligatoire de l’amiable permet indéniablement la croissance du nombre de médiations ou de conciliations, ses adversaires pointent le risque, pour la médiation en tout cas, de la dénaturer en la rendant obligatoire, sans être assuré par ailleurs de la développer. La médiation étant axée sur l’autonomie et la responsabilité de l’ensemble de ses acteurs, il serait contraire à son essence même d’en faire un préalable obligatoire à toute action judiciaire.

Convaincre les parties que la médiation est de nature à répondre à leurs intérêts serait plus propice à la réussite du processus que de les y forcer, le caractère obligatoire systématique pouvant transformer ce processus en pure formalité et donner aussi peu de résultats que les tentatives préalables obligatoires de conciliation dans les conseils de prud’hommes.

Des mesures incitatives fortes

En revanche, le pouvoir du juge d’enjoindre les parties, non pas de recourir à la médiation, mais de s’informer sur la médiation. devrait être généralisé à l’ensemble des modes amiables (et très prochainement à l’audience de règlement amiable), car c’est souvent cette rencontre présentielle, imposée,  des parties avec le médiateur qui sera le facteur déclenchant dans la décision de tenter la voie amiable. À cet égard, il pourrait être opportun de prévoir, lorsque le juge a proposé une médiation et a enjoint les parties de s’informer sur le sujet, que chacune de leur demande formulée sur le fondement de l’article 700 du CPC puisse être rejetée si elles ne se sont pas pliées à l’injonction (sauf motif légitime), ou que l’affaire puisse être radiée pour défaut de diligence si c’est le demandeur qui n’a pas déféré à cette injonction.

Pour développer l’amiable il faudra aussi nécessairement répondre à un impératif tenant à l’adoption de mesures financières incitatives comme cela existe dans de nombreux pays.

Peut-être ne faut-il pas dénaturer la médiation en la rendant obligatoire mais il est nécessaire, en France, de prendre des mesures volontaristes à la hauteur du changement de paradigme annoncé lors du discours du ministre de la justice à l’occasion du lancement de la politique nationale de l’amiable.

Citons pour conclure, même si comparaison ne vaut pas raison, le Royaume-Uni qui, à l’occasion des réformes d’ampleur Woolf et Jackson, a simplifié la procédure civile et assuré un développement spectaculaire des alternative dispute résolution, avec une réduction des délais de traitement des affaires.

[i] F.Vert « La tentation de la médiation obligatoire, » Gazette du palais, 17 janvier 2014.

[ii] Béatrice Blohorn-Brenneur , Myriam Bacqué « Médaition obligatoire ou volontaire ; Quelles réformes pour quels enjeux ?7èmes assisses internationales de la médiation judicaire », Editions L’Harmattan.

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