Affaire Bayou : cessons de creuser la tombe de l’État de droit !

Publié le 06/10/2022

Le 20 septembre dernier, Julien Bayou s’est mis « en retrait de la coprésidence du groupe écologiste à l’Assemblée » suite aux accusations portées à son encontre d’avoir eu des « comportements de nature à briser la santé morale de plusieurs femmes » dans le cadre de sa vie sentimentale. Notre chroniqueuse, Me Julia Courvoisier met en garde contre des pratiques de plus en plus contraires à l’état de droit. 

Affaire Bayou : cessons de creuser la tombe de l'État de droit !
Photo : ©AdobeStock/Aleshschenko

Avec les « affaires politico-judiciaires » de violences faites aux femmes, je me dis, à chaque fois, que l’on ne peut pas faire pire. Et à chaque fois, je réalise que si. Je me demande d’ailleurs de plus en plus souvent jusqu’où nous allons aller dans le renoncement à nos principes les plus essentiels que nous devrions chérir et respecter plutôt que de les mépriser et les écraser comme nous le faisons depuis des années.

Ces grands principes qui régissent notre justice ont vocation à faire respecter la paix sociale en sanctionnant les coupables et en réparant les victimes. La justice doit permettre un équilibre.

La présomption d’innocence est l’affaire de tous

Contrairement à une idée qui s’est répandue comme la peste pour on ne sait quelle raison, la présomption d’innocence doit être respectée par tous, et pas uniquement par les juges. C’est d’ailleurs déjà suffisamment difficile de la faire respecter au cours des procédures pénales qu’il serait bien de ne pas la faire disparaitre en dehors !

Les violations de la présomption d’innocence peuvent être sanctionnées pénalement mais aussi civilement, puisque l’article 9-1 du code civil dispose que :

« Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence.

Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne physique et morale, responsable de cette atteinte ».

La particularité de cet article est qu’il vise la violation de la présomption d’innocence par tous, mais uniquement lorsqu’une enquête pénale est en cours. Et c’est sûrement là que le bât blesse.

Après Damien Abad, Taha Bouhafs ou encore Adrien Quatennens, voici donc l’affaire « Julien Bayou ». Je n’ai même pas eu le temps d’écrire sur Adrien Quatennens, contre lequel des mains courantes et une plainte ont été déposées (qui ont donné lieu à l’ouverture d’une enquête du parquet) que, sur un plateau de télévision, à une heure de grande écoute, Sandrine Rousseau a ouvertement accusé Julien Bayou d’avoir causé la tentative de suicide de son ex-compagne.

Tout en précisant qu’aucun de ces faits n’était, à son sens, pénalement répréhensible.

Aucune plainte. Aucune main courante. Aucune enquête pénale. Rien.

Si ce n’est une discussion confidentielle sur son canapé avec l’ex-compagne de Julien Bayou.

Courir le jupon n’est pas un délit

Comble de l’extrême, il semblerait que depuis de très longs mois, un véritable gang de femmes, dont certaines ex-compagnes de Julien Bayou, l’aurait mis « sous surveillance » afin d’alerter ses potentielles nouvelles amies qu’il serait infréquentable. En d’autres termes, qu’il serait un coureur de jupons. Un coureur de jupons, mais pas un délinquant puisqu’aucune plainte n’a été déposée contre lui. Ce que reconnaît d’ailleurs Sandrine Rousseau.

Certains ont été choqués par cette « mise sous surveillance » privée. Je fais évidemment partie de ceux-là et je m’interroge.

Comment peut-on ouvertement accuser un homme d’être responsable de la détresse d’une femme et de sa tentative de suicide, tout en précisant que son comportement n’est pas pénalement répréhensible ? Si tel était le cas, la loi pénale pourrait s’appliquer sans aucun souci et il faudrait alors avoir le courage de son combat et saisir le Procureur de la république.

Comment peut-on également accepter, dans un parti politique, qu’une sorte de gang de femmes, dont l’une serait une ex-compagne de Julien Bayou, l’ait surveillé, suivi et fliqué pendant des mois dans l’indifférence de tous ?

Comment peut-on accepter qu’un responsable politique ait toléré, sans broncher, d’être mis sous surveillance comme cela par une police privée et exclusivement féminine ?

Imaginez quelques secondes que nous parlions d’une femme qui serait épiée et surveillée pendant des mois par des hommes, dont certains seraient ses ex-compagnons, pour alerter les autres qu’elle serait une croqueuse d’hommes ? Je crois que nous ne l’accepterions pas.

Cette « affaire » Bayou est une nouvelle étape évidente dans le renoncement à tous nos principes et pas uniquement à la présomption d’innocence. Peut-on accepter qu’un suspect, parce qu’il est un homme, n’ait pas les mêmes droits que les autres suspects ?

Il n’y a qu’une route et une seule, celle de l’État de droit

Si la loi pénale n’est pas utilisée pour faire respecter l’ordre public et installer la paix sociale, par quoi va-t-on la remplacer ?

L’État de droit dans lequel nous avons la chance de vivre, même s’il est parfois défaillant, permet à toute personne suspectée de savoir ce qu’on lui reproche et de pouvoir se défendre. Devoir recueillir des éléments à charge, mais aussi à décharge, permet de confirmer la parole des plaignantes et d’obtenir des procès. C’est sur cette route, et pas sur une autre, que nous devons mener le combat contre les violences faites aux femmes.

Alors ce matin, en vous écrivant ces quelques lignes, je n’ose imaginer quelle sera la prochaine affaire du même acabit et ce que nous découvrirons. De pire en pire, vous ai-je dit.

Ce qui est certain c’est que, tous les jours, nous creusons un peu plus profond la tombe de notre État de droit. Et la lutte fondamentale contre les violences faites aux femmes sombrera avec lui.

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