Affaire Quatennens : « Une infraction pénale n’est pas une affaire privée »

Publié le 22/09/2022

Ce week-end, Adrien Quatennens, député LFI a reconnu avoir commis des violences contre son épouse dans le cadre de leur divorce. Plusieurs autres figures politiques sont actuellement dans la tourmente, dont Julien Bayou (EELV). La plupart de ces dossiers ont en commun de faire l’objet de traitements parallèles à la justice, que ce soit dans les médias ou par des comités internes aux partis politiques concernés. Nous avons demandé à Audrey Darsonville, spécialiste des violences familiales, son avis sur ce type de gestion des violences faites aux femmes. 

Affaire Quatennens : "Une infraction pénale n’est pas une affaire privée"
Photo : © AungMyo/AdobeStock

Actu-Juridique : En tant que spécialiste des violences familiales, que vous inspire l’affaire Quatennens ?

 Audrey Darsonville : Le fait que le Canard enchaîné ait révélé le contenu de la main courante déposée par l’épouse d’Adrien Quatennens dans le cadre de leur divorce, alors que celle-ci ne voulait pas médiatiser son affaire m’a choquée. Je comprends l’intérêt en termes d’information de révéler la possible distorsion entre le discours d’un parti qui se veut à la pointe de la lutte contre les violences faites aux femmes et le comportement de ses représentants, mais si la protection du secret tombe, on va décourager les victimes de parler. Évidemment, ça ne concerne qu’une petite minorité de personnalités médiatiques, mais ça interpelle quand on sait à quel point il est capital de protéger la parole des victimes.

Actu-Juridique : Cette médiatisation l’a incité lui-même à publier sur les réseaux sociaux le 18 septembre un communiqué dans lequel il livre sa version et avoue avoir commis des violences…

AD : La réaction de certains membres de LFI dont Jean-Luc Mélenchon lui-même, saluant sa démarche a pu faire perdre de vue la gravité des faits. Au passage, le plus difficile dans ces affaires est de prouver les faits, ici Adrien Quatennens les reconnaît et en donne même le détail. Il n’est pas certain qu’il ait pris la mesure de ce que cela impliquait d’un point de vue juridique. Ce qu’il reconnaît explicitement ce ne sont pas des tiraillements habituels entre conjoints lors de procédures de divorce, mais des infractions pénales. La gifle est une violence volontaire avec la circonstance aggravante que la victime est un conjoint, concubin ou partenaire de pacs. Le portable « arraché », autrement dit pris à son épouse brutalement, est également une violence. Il reconnaît par ailleurs avoir adressé « de trop nombreux messages », cela pourrait être qualifié de harcèlement moral entre conjoints.

Actu-Juridique : Son texte est tout à la fois un aveu et le signe d’une prise de conscience de ses fautes, cela a-t-il une quelconque influence sur les qualifications pénales ?

AD : Les juges préfèrent toujours entendre que l’auteur est conscient d’avoir commis des actes répréhensibles et les regrette plutôt que l’inverse ; mais ce qu’on appelle le repentir actif n’efface pas l’infraction, cela peut simplement alléger la sanction.

Actu-Juridique : La médiatisation semble aussi avoir déclenché l’ouverture d’une enquête…

AD : Le parquet s’est en effet saisi de l’affaire, malgré la volonté de l’épouse de ne pas porter plainte mais de s’en tenir à une simple main courante. On ne sait pas ce qui a motivé la décision du parquet, la médiatisation, ou bien le fait qu’il s’agisse d’une personnalité, à moins que ça ne soit tout simplement le signe d’une justice de plus en plus mobilisée sur la question… toujours est-il que même si la victime ne souhaite pas porter plainte, juridiquement le parquet peut ouvrir une enquête. Évidemment, dans les infractions que l’on nomme « de l’intime » l’absence de coopération de la victime pose un vrai problème de preuve, c’est pourquoi en pratique on a tendance à ne poursuivre que si la victime participe à la procédure.

Actu-Juridique : D’autres hommes politiques sont dans la tourmente, dont Julien Bayou. A son sujet Sandrine Rousseau a déclaré dans une émission de télévision qu’elle avait discuté avec la plaignante qui était au bord du suicide et qu’une enquête journalistique était en cours. On a l’impression que toutes ces affaires se règlent à LFI et EELV dans l’entre-soi ; comme l’église avant eux, certains partis politiques semblent tentés de laver leur linge sale en interne.

 AD : On peut s’étonner que dans les affaires récentes, le premier réflexe ne soit pas d’inciter les victimes à déposer plainte auprès de la police. Qu’un parti politique mette en place une structure interne pour traiter les aspects politiques de ces affaires, on peut l’entendre mais cela semble dépasser ce cadre quand on lit les articles de presse sur le fonctionnement de ces cellules de traitement des violences. On ne se fait pas à justice soi-même. Une infraction pénale n’est pas une affaire privée, elle relève de l’ordre public parce qu’elle porte atteinte à la société tout entière. C’est un paradoxe d’ailleurs parce que ces deux partis veulent précisément que les violences faites aux femmes soient des sujets prioritaires de société et quand ils sont confrontés concrètement au problème, ils le traitent en privé. On ne sait rien de ces comités internes contre les violences, comment sont-ils constitués, quels en sont les membres, ont-ils des pouvoirs, lesquels ? Peut-on s’y présenter avec un avocat ? Quelles procédures sont appliquées ? On voit bien que les risques sont nombreux : museler la parole des victimes, faire varier la réponse en fonction de l’importance de la personne visée, priver l’accusé de défense…

Actu-Juridique : Précisément, Taha Bouhafs a dû renoncer à se présenter aux législatives en raison d’un témoignage anonyme et sans savoir ce qu’on lui reprochait…

AD : Il a été l’objet en effet d’une sanction politique très forte sur la base de faits peut-être vrais, peut-être faux, en tout cas non démontrés par une autorité publique, seule à même d’établir des culpabilités dans un état de droit, à l’époque et contre lesquels, pour ce que l’on en sait en lisant la presse, l’intéressé n’avait aucun moyen de défense. L’intérêt d’aller en justice c’est aussi que les forces de l’ordre disposent de moyens d’investigation permettant d’établir la réalité des faits. Ces comités desservent l’intérêt des victimes autant qu’ils violent la présomption d’innocence.

Actu-Juridique : On a le sentiment que tout ceci vise à contourner la justice, au motif que celle-ci n’écouterait pas la parole des femmes et ne serait pas assez efficace. Est-ce exact ? 

AD : Il est vrai que la justice a mis du temps à prendre la mesure du problème et à se former pour le traiter. Et on ne peut pas nier qu’il y a encore beaucoup de dysfonctionnements. Mais des progrès importants ont été faits. En 2019 et 2020 on a eu deux grandes lois contre les violences conjugales qui se sont accompagnées de politiques très volontaristes dans les parquets. La lutte contre les violences conjugales est devenue une priorité, il y a désormais des formations dédiées pour les magistrats. Et quand la justice met les moyens, elle est infiniment plus efficace et protectrice que les médias ou les comités de partis politiques. Parce qu’elle est capable d’écouter, enquêter, prendre des mesures de protection. Parce qu’elle assure aussi le respect de la présomption d’innocence. Et contrairement aux comités internes et autres observatoires des violences sexistes, elle agit dans le cadre d’audiences publiques. La justice est vraiment en train de se mettre à niveau et on ne peut que recommander aux victimes de se tourner vers elle.

 

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