Affaire Sollacaro : Un rapport du CNB dénonce la partialité de l’inspection générale de la justice

Publié le 04/02/2022

Le Conseil national des barreaux (CNB) a adopté en assemblée générale vendredi 4 février un rapport sur l’incident d’Aix-en-Provence en mars 2021 au cours duquel Me Paul Sollacaro a été expulsé manu militari de la salle d’audience. L’institution dénonce l’absence de contradictoire et la partialité du travail accompli par l’inspection générale de la justice dans cette affaire. Une réforme de la police d’audience est jugée nécessaire. 

Affaire Sollacaro : Un rapport du CNB dénonce la partialité de l'inspection générale de la justice
Photo : ©AdobeSTock/Lusyaya

Près d’un an après après que le président du tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence a fait expulser Me Paul Sollacaro de la salle d’audience par des policiers dans une affaire de stupéfiants sur fond de covid,  la commission Libertés et droits de l’homme du CNB vient de soumettre à l’assemblée générale sont rapport sur les faits  (lire notre récit de cette folle audience « Messieurs les policiers, faites évacuer Monsieur Sollacaro »). Ce travail répond aussi aux  deux rapports de l’Inspection générale de la justice, dirigée à l’époque par le magistrat Jean-François Beynel, l’un portant sur le déroulement des événements, l’autre sur les solutions préconisées pour apaiser les tensions entre avocats et magistrats (lire notre article : « Affaire Sollacaro : le rapport de l’inspection charge les avocats »). « C’est le rapport qu’on attendait de l’inspection et qu’elle n’a pas produit,  un véritable travail d’enquête fondé sur les documents et les témoignages qui pointe tous les manquements, toutes les violations, toutes les fautes sans tenter de détourner l’attention sur la grève des avocats qui n’a absolument rien à voir avec ce qu’il s’est passé » salue Paul Sollacaro.

Transfert de responsabilité

La lecture du rapport de l’Inspection donnait en effet le sentiment très net que l’on cherchait à reporter la faute de l’incident sur les avocats. Les auteurs consacraient en particulier de longs développements à la grève des avocats intervenue en janvier 2020 pour contester la réforme des retraites. Celle-ci aurait contribué, selon eux, à alourdir les stocks de dossiers et donc à créer des tensions.  Une présentation que la commission Libertés et droits de l’homme du CNB s’empresse de corriger.

« L’importance donnée dans son rapport par l’Inspection générale de la justice à la grève des avocats comme cause dans la détérioration des relations avocats et magistrats et l’absence de questions des inspecteurs aux avocats sur ce sujet n’a pas manqué de surprendre les avocats entendus par la Commission. Cette présentation des faits, conjuguée avec la mise en avant de quatre autres incidents antérieurs à ceux des 11 et 12 mars 2021 et mettant en cause des avocats, est perçue comme marquant une volonté de l’IGJ de minimiser les faits des 11 et 12 mars et d’imputer aux avocats une part de responsabilité dans tous ces incidents et problèmes de relations entre avocats et magistrats ».

Le vrai problème, souligne le CNB, ce sont les sous-effectifs, sur lesquels l’inspection préfère glisser sans s’attarder.

Mais il n’y a pas que cela. Pour étayer la théorie de la faute des avocats, l’inspection a relayé dans son rapport 4 incidents survenus avant celui de Me Sollacaro. Nouveau problème, pointé par le CNB, l’inspection n’a pas cru bon d’entendre les intéressés, au mépris des règles de base du contradictoire. De la part des bœufs-carotte du ministère de la justice, ça fait un peu désordre. Ainsi, en janvier 2020, au beau milieu de la grève, deux avocats demandent le renvoi d’une affaire de stupéfiants en raison de leur mouvement de protestation, le tribunal rejette. Les avocats déposent alors des conclusions de nullité, le tribunal joint au fond et renvoie à l’audience du lendemain. La défense veut interjeter appel mais le greffe refuse d’enregistrer les déclarations, ce qui contraint les avocats à solliciter le services d’un huissier pour constater ce refus. Les actes d’appel seront finalement enregistrés. L’affaire aurait pu s’arrêter là, mais il s’ensuit un bras de fer avec les magistrats. « Le procureur de la République près le Tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence, par la voix de son substitut, a indiqué à l’audience que Me Marylou Diamantara avait menti à la barre car la greffière n’aurait jamais refusé d’enregistrer les appels. Me Diamantara a également été menacée de poursuites disciplinaires. Le lendemain, à l’audience du 24 janvier, le procureur de la République l’a de nouveau interpellée en exigeant, à deux reprises, qu’elle présente publiquement des excuses à la greffière. Cette interpellation a provoqué chez l’avocate une crise de larmes » note le rapport du CNB.

L’inspection n’a pas cru bon de vérifier auprès de l’intéressée et présenté comme acquis dans son rapport l’absence de refus de la greffière.  Manque de chance pour les services du ministère, le CNB dispose de trois attestations d’avocats confirmant la version de Me Diamantara. Lorsqu’elle a découvert cette présentation « partiale » des faits par l’IGJ, l’avocate a écrit au procureur d’Aix afin de s’assurer que « ce rapport ne reflète en rien la réalité des évènements ainsi relayés, notamment relatifs à ma déontologie. » Elle n’a pas reçu de réponse.

Un refus de renvoi manifestement illégal

S’agissant des incidents des 11 et 12 mars objet central du rapport, celui-ci dénonce chez l’inspection « La volonté d’atténuer la responsabilité des magistrats dans la gestion des incidents et de pointer la responsabilité des avocats ». Pour mémoire, Me Paul Sollacaro prévient le parquet et le président la veille de l’audience que son client, prévenu dans une importante affaire de stupéfiants, est cas contact et donc dans l’impossibilité de se déplacer. Le 11 mars, premier jour d’audience, il informe le tribunal qu’il est positif, produit un certificat et demande une disjonction. Le parquet s’y oppose et le tribunal décide sur le siège de rejeter la demande. Me Sollacaro indique alors qu’il va demander à son client de se présenter. Nouveau refus du tribunal. Problème, l’avocat ne dispose pas d’un mandat de représentation et ne souhaite de toute façon pas représenter son client, l’affaire est trop grave. Face à cette impasse, la discussion s’envenime et le président ordonne aux policiers présents de sortir l’avocat par la force.

« La relation de ces faits par les avocats auditionnés par la Commission, attestée par de nombreux courriers d’avocats présents à l’audience, est différente de celle rapportée par l’Inspection générale de la justice » relève le rapport du CNB, pointant une nouvelle fois la partialité de l’enquête du ministère.

Surtout, il dénonce l’illégalité totale du refus opposé par le magistrat à la demande de Me Sollacaro.

« Il en résulte une évidence, que l’on s’étonne de devoir rappeler : le report à une audience ultérieure du jugement d’un prévenu disposant d’une excuse valable s’impose à la juridiction. Il ne s’agit pas d’une faveur discrétionnaire, d’une évaluation de la proportionnalité entre l’inconvénient présenté par l’absence du prévenu d’une part et les contraintes de gestion des flux judiciaires d’autre part, mais bien d’un principe insusceptible d’accommodements. La représentation par le conseil dûment mandaté à cet effet ne constitue pas une option ouverte au Tribunal mais une prérogative du prévenu dont l’exercice peut lui être refusé, mais qui ne peut lui être imposée. Enfin, dans l’hypothèse d’une impossibilité de comparution pour raison de santé, son audition à domicile constitue une option « s’il existe des raisons graves de ne point différer le jugement de l’affaire ». En l’espèce, ce mécanisme ne pouvait être utilisé puisque le prévenu était réputé contagieux, ce que le Tribunal a implicitement admis en faisant savoir que la salle d’audience lui serait interdite s’il venait à s’y présenter. Il est inconcevable que, face au cas de force majeure constitué par le placement en quarantaine du prévenu pour des raisons sanitaires, le Tribunal ait cru pouvoir s’affranchir de ces principes ».

Revoir les règles de la police d’audience

Me Sollacaro a porté plainte pour violences aggravées (en cours), faux en écriture publique (classement probable), mais il a aussi saisi le Conseil supérieur de la magistrature. Las ! Ce-dernier a considéré que l’avocat n’était pas un justiciable et déclaré sa demande irrecevable. En d’autres termes, l’affaire révèle qu’il n’existe pas de recours pour l’avocat victime du comportement fautif d’un magistrat. Le rapport du CNB  préconise en conséquence d’ouvrir aux avocats la possibilité de saisir le CSM. Une réforme qui nécessite de modifier la Constitution et ne peut donc être envisagée que sur le long terme.

En revanche, le CNB émet quatre propositions plus faciles à mettre en oeuvre.

La première consisterait dans une modification de la police d’audience. Pour justifier l’expulsion de  Me Sollacaro, le président a invoqué le fondement de  l’article 404 du code de procédure pénale qui dispose :

« Lorsque, à l’audience, l’un des assistants trouble l’ordre de quelque manière que ce soit, le président ordonne son expulsion de la salle d’audience.

Si, au cours de l’exécution de cette mesure, il résiste à cet ordre ou cause du tumulte, il est, sur-le-champ, placé sous mandat de dépôt, jugé et puni de deux ans d’emprisonnement, sans préjudice des peines portées au code pénal contre les auteurs d’outrages et de violences envers les magistrats.

Sur l’ordre du président, il est alors contraint par la force publique de quitter l’audience ».

Un aberration selon les avocats. Le texte vise à travers les « assistants » le public et non pas leur profession. « Il n’existe aucun texte qui autorise un président à faire expulser un avocat par la police » analyse Paul Sollacaro. Pour lever toute ambiguïté dès lors que certains magistrats semblent convaincus du contraire, le rapport du CNB préconise la création d’un nouvel article 405-1 du CPP et en propose deux versions.

L’une se contente d’inscrire dans la loi une pratique déjà répandue consistant à appeler le bâtonnier en cas de conflit entre un avocat et un magistrat. Cela figure déjà dans les obligations déontologiques des magistrats mais sans grande force contraignante. C’est aussi dans le règlement intérieur du barreau de Paris. Ce nouvel article aurait le mérite d’en faire une règle générale de force législative.

« Si le président estime que l’ordre de l’audience est troublé par un avocat, celle-ci est suspendue et le bâtonnier ou son délégataire est appelé immédiatement. Les chefs de la juridiction en sont aussitôt informés. Ensemble, ils recherchent en chambre du conseil une résolution amiable de l’incident. »

La deuxième version pose l’interdiction de l’expulsion et l’obligation de rechercher une solution amiable.

« Aucun avocat ne peut être expulsé ou écarté d’une salle d’audience alors qu’il exerce les droits de la défense de son client. Si un incident survient avec un avocat et ne peut être résolu directement par le président et l’avocat, le président ne peut prendre aucune décision concernant cet avocat sans s’être préalablement entretenu en chambre du conseil, au cours d’une suspension d’audience, avec le bâtonnier du barreau dans le ressort de la juridiction ou son délégué afin de tenter de trouver, avec l’avocat concerné et l’assistance du bâtonnier, une solution amiable à l’incident. Les chefs de la juridiction en sont aussitôt informés. Dans tous les cas, le président veille au respect des droits de la défense. »

Ensuite, le CNB considère qu’il faut davantage inciter les parquets à rédiger leurs réquisitions, car cette bonne pratique demeure encore trop marginale.

Troisième proposition : mettre en place un système d’appel et/ou de pourvoi à très bref délai dans l’intérêt des droits de la défense.

Enfin, les auteurs du rapport jugent nécessaire de promouvoir les échanges et les actions de formation entre avocats, magistrats et greffiers, tant en formation initiale que continue.

Examiné ce vendredi à 14 heures en assemblée générale, le rapport a été voté à l’unanimité. Il a le mérite de décrire clairement les fautes  que l’inspection s’était employée à édulcorer. Il reste que le magistrat mis en cause n’a jamais été sanctionné, ni même seulement désapprouvé par le gouvernement. Ce qui donnerait à penser qu’il est normal d’expulser un avocat par la force d’une salle d’audience, si le rapport du CNB n’avait opportunément réalisé un nécessaire rappel au droit. Dans cette affaire, dix prévenus qui encouraient pour certains jusqu’à 20 ans de prison ont été jugés sans leurs défenseurs parce qu’un juge n’a pas apprécié qu’un avocat lui tienne tête….

Rapport CNB incident Sollacaro

 

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