Cours criminelles départementales : les premières QPC remontent à la Cour de cassation

Publié le 30/06/2023

La cour criminelle départementale (CCD) de Lyon a accepté mardi de transmettre à la Cour de cassation quatre questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) relatives aux CCD. Celles-ci soutiennent notamment que l’intervention du  jury pour juger les crimes est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. 

Cours criminelles départementales : les premières QPC remontent à la Cour de cassation
Photo : ©Florence Piot/AdobeStock

Le combat pour sauver les cours d’assises vient de connaître une importante victoire. Certains professionnels de justice, dont beaucoup de magistrats et d’avocats, mais aussi des universitaires à l’instar de Benjamin Fiorini, maitre de conférence en droit privé et sciences criminelles à Paris 8, redoutent en effet que les cours criminelles départementales (CCD), composées exclusivement de magistrats, qui se sont généralisées depuis le début de cette année, n’engendrent à terme la disparition du jury populaire.

Mardi 27 juin, la cour criminelle départementale de Lyon a accepté de transmettre à la Cour de cassation quatre QPC concernant les CCD à l’occasion d’un procès de vol à main armée. Les deux accusés s’étaient présentés pour acheter une voiture à un particulier suite à une annonce, l’avaient braqué et volé son véhicule. Le procès s’est déroulé devant la CCD de Lyon lundi et mardi derniers. « Le barreau de Lyon avait adopté une motion le 11 janvier pour protester contre la généralisation des CCD alors que le bilan de l’expérimentation était mitigé. Puis j’ai participé avec Monsieur le Professeur Benjamin Fiorini en avril à une conférence et nous partagions le même constat concernant ces cours » raconte le vice-bâtonnier Jean-François Barre qui a déposé les QPC dans cette affaire. « Il se trouve que par le hasard du rôle, nous étions la première affaire jugée en CCD, mon client a accepté que je dépose les QPC. Monsieur l’avocat général a requis en faveur de leur transmission en les estimant fondées ». Pour les deux accusés, cette procédure est neutre. Ils ont été condamnés respectivement à 4 ans dont 2 ans de sursis probatoire et 5 ans dont 36 mois de sursis probatoire et placement sous détention à domicile sous surveillance électronique. L’un était sous contrôle judiciaire, l’autre ne va pas tarder à l’être. Ils n’ont pas l’intention de faire appel. Si le Conseil constitutionnel devait décider de déclarer les CCD contraires à la constitution, elle le ferait très certainement sans effet rétroactif. Les enjeux les concernant sont donc quasiment nuls.

Un principe fondamental reconnu par les lois de la République ? 

En revanche, pour l’avenir des assises et, d’une certaine manière, celui de l’institution judiciaire ainsi que pour le sort des futurs justiciables appelés à comparaître devant une juridiction criminelle, les enjeux sont importants. Ce sont en effet les premières QPC transmises sur la constitutionnalité des CCD. Elles ont bénéficié d’une lacune de la réglementation : « en principe aux assises, on ne peut pas soulever de QPC en première instance. Mais les textes organisant les CCD n’ont pas effectué cette précision les concernant » explique Benjamin Fiorini, qui a conçu ces QPC. Sans doute un excès de précipitation, à moins que ce ne soit le signe que le ministère considère les CCD comme assimilables à la procédure correctionnelle.

La première question soutient que le principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFLR) au sens du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. « Pour cela, il faut que le principe en question ait été consacré à l’ère républicaine et n’ait connu aucune exception. J’ai fait des recherches, le jury a toujours été préservé en matière de crimes de droit commun, les seules fois où il a pu être écarté c’est en matière militaire ou politique » souligne l’universitaire.

À supposer que cette QPC ne prospère pas, une autre question « de repli » se fonde sur les échanges en septembre 1986 entre Robert Badinter alors président du Conseil constitutionnel et le doyen Georges Vedel  lorsqu’il s’est agi de se prononcer sur la conformité à la constitution de la création des cours d’assises spécialement composées. Robert Badinter estime que le jury est un PFLR, ce que conteste le doyen Vedel. Ils s’accorderont finalement sur une position intermédiaire consacrant le jury dans les affaires les plus graves, sans le qualifier. Dès lors que les CCD concernent 57 % des crimes, cela les rendrait contraires à la Constitution  (Voir sur le site du Conseil constitutionnel le compte-rendu des débats  pv1986-09-02 et 03.pdf (conseil-constitutionnel.fr) pages 42 et suivantes.

 

Extrait des débats de la séance du Conseil constitutionnel des 2 et 3 septembre 1986 :

Cours criminelles départementales : les premières QPC remontent à la Cour de cassation

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Rupture d’égalité 

Les deux autres QPC portent sur l’atteinte au principe d’égalité des citoyens liée au traitement différencié entre les personnes jugées par les CCD et celles jugées aux assises. « Les règles de vote concernant la culpabilité et la peine sont différentes devant les deux juridictions : la cour criminelle condamne à la majorité, soit trois voix contre deux, tandis qu’aux assises il faut sept voix contre deux. Ainsi, l’auteur de coups mortels bénéficiera de la minorité de faveur aux assises, pas celui qui sera jugé par une cour criminelle » précise Benjamin Fiorini. Cet universitaire se bat depuis des mois pour la défense du jury populaire. Il a rédigé une pétition, sensibilisé les politiques, travaillé sur des propositions de loi, engagé un tour de France pour convaincre avocats et magistrats de le rejoindre dans son combat et travaille désormais sur le terrain judiciaire. D’autres QPC vont être déposées.

Il semblerait que les parquets soient inquiets. Quant à la Chancellerie, elle prend le dossier très au sérieux.

 

Les quatre QPC transmises par la cour criminelle départementale de Lyon

1/  Les articles 181-1, 181-2, 380-16, 380-17, 380-18, 380-19, 380-20, 380-21, 380-22 et 888-1 du Code de procédure pénale, qui déterminent la compétence et organisent le fonctionnement des cours criminelles départementales, portent-ils atteinte au principe d’intervention du jury pour juger les crimes de droit commun, lequel constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ? 
 
2/  Les articles 181-1, 181-2, 380-16, 380-17, 380-18, 380-19, 380-20, 380-21, 380-22 et 888-1 du Code de procédure pénale, qui déterminent la compétence et organisent le fonctionnement des cours criminelles départementales, portent-ils atteinte au principe à valeur constitutionnelle selon lequel l’intervention du jury constitue le droit commun du jugement en matière criminelle ? 
 
3/ L’article 380-19, 4°, du Code de procédure pénale, en prévoyant que les cours criminelles départementales prennent leurs décisions sur la culpabilité à la majorité simple de trois voix sur cinq, porte-il atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la justice garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, dans la mesure où les accusés renvoyés devant les cours criminelles départementales ne bénéficient pas du principe de minorité de faveur – au moins sept voix sur neuf –  applicable aux accusés renvoyés devant les cours d’assises ? 
 
4/ L’article 380-19, 4°, du Code de procédure pénale, en prévoyant que les cours criminelles départementales prennent leurs décisions sur la peine à la majorité simple de trois voix sur cinq, y compris lorsqu’il s’agit de prononcer la peine maximale encourue, porte-il atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la justice garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, dans la mesure où les accusés renvoyés devant les cours criminelles départementales ne bénéficient pas dans cette hypothèse du principe de majorité qualifiée – au moins sept voix sur neuf – applicable aux accusés renvoyés devant les cours d’assises ? 

 

 

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