Explosion rue de Trévise : avant le procès, un livre sur le drame

Publié le 31/01/2025

Alors que la procureure de Paris, Laure Beccuau, a requis le 14 octobre 2024 le renvoi devant le tribunal correctionnel de la Ville de Paris et du syndic du 6, rue de Trévise (IXe arrondissement), afin qu’ils soient jugés pour homicides et blessures involontaires, les experts désignés dans la procédure civile jugent invraisemblables les conclusions des pénalistes. En attendant l’ordonnance de renvoi que les juges vont rendre – seule à même de fixer la date du procès –, un premier livre sur la tragédie est paru samedi. Océane Cocco, conjointe du caporal Nathanaël Josselin, témoigne de sa traversée du désert avec Kélyan, l’enfant du héros qui a sauvé des vies au péril de la sienne.

Explosion rue de Trévise : avant le procès, un livre sur le drame
Le caporal Nathanaël Josselin (Photo Armée de terre / Défense)

Cet ouvrage se situe à mille lieues des polémiques qui polluent, depuis six ans, l’existence des familles des morts, des 66 blessés et des 200 riverains qui commencent à réintégrer leur logement après les travaux de réfection des immeubles détruits de la rue de Trévise à Paris.

Rappel des faits. Samedi 12 janvier 2019, 8 h 40, une odeur de gaz se répand dans la petite rue paisible du IXe arrondissement. Les effluves de méthane gagnent les voies adjacentes sur environ 100 mètres. Premiers sur place, le sergent Simon Cartannaz et le caporal Nathanaël Josselin, pompiers de la caserne Château d’Eau, envoient les passants s’abriter et entreprennent de couper le gaz de l’édifice où ils relèvent la plus forte concentration. Tandis que Nathanaël est à deux doigts d’écarter le danger, la déflagration souffle tout alentour. L’immeuble du n° 6, les deux hôtels en face, la boulangerie : « L’onde de surpression violente », relève le réquisitoire que nous avons consulté, souffle vitres et planchers des immeubles voisins, les voitures calcinées sont retournées. « Une boule de feu », témoigneront les victimes.

La responsabilité de la Mairie et du syndic CIPA clairement engagée

Au cœur de cette « scène de guerre », selon le parquet, 200 pompiers de la célèbre compagnie parisienne arrivent en renfort. Ce sont eux qui trouvent leurs collègues Simon Cartannaz, décoré à deux reprises depuis 2013, date de son intégration, et Nathanaël Josselin, arrivé un an plus tard à Château d’Eau. « Joss », comme on le surnommait, est évacué à l’hôpital Bégin par hélicoptère ; les deux tentatives de réanimation sont vaines. Dans le chaos d’un hôtel, les secouristes découvrent Laura Sanz Nambela, une touriste espagnole de 36 ans qui voyageait avec son mari, père de leurs trois jeunes enfants. Elle meurt à 15 heures. Le lendemain, le corps d’Adèle Biaunier, infirmière, est extrait d’un enchevêtrement de béton. Elle est la quatrième victime.

S’ajoutent au drame 221 blessés, dont 46 grièvement, notamment Angela, une danseuse sicilienne salariée de l’hôtel à qui, six ans après l’explosion, les médecins orthopédistes envisagent toujours d’amputer le pied gauche. Et Inès, employée intégrée ce jour-là. D’autres personnes subissent encore des opérations.

L’hypothèse d’un attentat ayant été vite écartée, les investigations s’attachent à comprendre les raisons de la fuite de gaz. C’est ainsi qu’au fil des années, il sera établi selon l’instruction pénale la responsabilité de la Ville de Paris, qui n’a pas recherché « la cause de l’affaissement du trottoir » devant le 6, rue de Trévise et « pas effectué les travaux nécessaires pour y remédier ». Au syndic, la compagnie immobilière CIPA, il est reproché de n’avoir pas réparé le collecteur d’eaux usées de l’immeuble dont la fuite avait pourtant été signalée dès le 25 novembre 2015 ! Cet écoulement d’eau aurait petit à petit entraîné l’affaissement de la chaussée, et endommagé la canalisation de gaz (voir à ce sujet notre article du 25 novembre 2021 et celui sur la publication du rapport de l’Inspection générale de la Ville que nous avons détaillé le 24 novembre 2021).

« Aucune date de procès fixée avant l’ordonnance de renvoi »

 Si le dossier pénal les accable, la procédure civile ne va pas dans le même sens. Selon Le Parisien, qui a eu accès à une note datée du 15 janvier 2025, un expert en géotechnique estime « invraisemblable » le scénario des juges d’instruction. Initiée à la demande des assurances Generali, assumant une part des dédommagements, qui se chiffrent en centaines de millions, l’enquête se poursuit, réunissant autour de la table les parties dont la Ville, CIPA, l’entreprise Fayolle en charge de travaux sur place, GRDF dont le mauvais état de la canalisation de gaz demeure « questionné ». Les experts au civil doivent rendre leurs conclusions cette année.

Quant à l’annonce de l’audiencement d’un procès en février ou mars 2026, qui a réjoui à tort les plaignants, elle serait le fruit « d’une erreur », indique une source judiciaire : « Aucune date de procès ne sera fixée avant que les juges aient rendu leur ordonnance de renvoi. » Ceux-ci ont en effet toute liberté de ne pas suivre les réquisitions du parquet. La méprise serait due à l’examen sommaire des possibilités de programmer ce long procès dans le calendrier de 2026, sans plus.

Enfin, parmi les désillusions révélées par la procédure au fil du temps, il reste le règlement des indemnisations, confiées au cabinet Sedgwick, qui n’est pas soldé. Linda Zaourar, la présidente de Vret (Victimes et rescapés de l’explosion rue de Trévise), s’en est émue le 12 janvier 2025, à l’occasion de la commémoration de la tragédie. Au grand dam des victimes, celle-ci a surtout porté sur la joie des sinistrés qui commencent enfin à rentrer chez eux – ce qui est compréhensible. Ils veulent d’ailleurs qu’à l’avenir, la rue ne soit plus endeuillée par les cérémonies. Il est envisagé qu’un « marché de légumes » soit installé là où Nathanaël Josselin, a été déchiqueté ! Seule une plaque, posée cet été, rappellera que quatre hommes et femmes ont perdu la vie rue de Trévise. C’est bien le moins.

« L’incroyable force du message » d’Océane Cocco, veuve de « Joss »

 À distance de l’enfer judiciaire et du processus indemnitaire subis depuis six ans, Océane Cocco a publié samedi 25 janvier Dans l’ombre de mon héros, un livre bouleversant en hommage à l’amour de sa vie, Nathanaël Josselin, mort à 28 ans.

Aujourd’hui intégrée à la police judiciaire de Lyon, la jeune femme de 27 ans tente, tant bien que mal, de poursuivre sa vie au côté de Kélyan, le fils du caporal, 9 ans, dont elle est « la maman de cœur » – avec l’assentiment de Josiane, la mère de l’enfant qui le lui confie souvent. Il avait huit mois lorsque Joss et Océane sont tombés amoureux.

Le général Jean-Claude Gallet, commandant la Brigade des Pompiers de Paris jusqu’en 2019, salue en préface « l’incroyable force du message » de l’autrice « qui nous entraîne dans son cheminement vers l’espoir ». Le président de l’Œuvre des pupilles orphelins (ODP), Grégory Allione, écrit avoir « eu plaisir de voir comment, au fil des mois, tu parvenais à sortir la tête de l’eau ». La majorité des royalties générées par la vente de l’ouvrage sera reversée au fonds d’entraide de l’ODP (1).

Le premier chapitre nous entraîne brutalement dans l’horreur du samedi 12 janvier, du dernier texto de Joss : « J’ai hâte d’être à lundi. Je t’aime. » Il a pris son service la veille, et s’inquiète du week-end qui l’attend, à cause des « gilets jaunes » qui déferlent sur la capitale. À son réveil, Océane allume BFM TV : « L’effroi. Un titre passe en boucle : “Explosion rue de Trévise à Paris”. » Un pressentiment. L’appel à la caserne : « Nathanaël est sur place. Pour l’instant, nous n’avons pas de nouvelles. Je garde ton numéro. Dès qu’on a des infos je te contacte. Promis. »

La suite, décrite avec une infinie pudeur, est douloureuse à lire.

Nathanaël et Simon « ont épargné une vingtaine de vies »

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L’assistance constante de Bénédicte, psychologue à la caserne Masséna, la solidarité des « baraqués en tenue » de Château d’Eau, collègues de Nath, des familles unies dans le chagrin, les mots du général Gallet à l’intention de Nath et Simon : « Sans leur intervention et celle de leurs camarades, le bilan aurait pu être plus lourd. En demandant aux gens de rester chez eux et en effectuant un périmètre de sécurité avant de mourir, ils ont épargné une vingtaine de vies dans ce quartier passant avec trois hôtels aux abords bourrés de touristes. » Tout cela met du baume sur les plaies d’Océane.

Le choix du cercueil. Son magnifique uniforme de cérémonie qu’il devait porter au mariage programmé du couple pacsé. Le défilé des ministres et des élus, la traque des journalistes, les hommes de la BRI qui déposent une gerbe, le bracelet qu’elle a offert à Joss pour la Saint-Valentin. Et, enfin, les funérailles, l’hommage national, le cortège escorté de motards, et tous ces pompiers en tenue au garde-à-vous sur les trottoirs de Paris… Les mots, toujours, pour raconter la personnalité du caporal « prêt à tout sacrifier, tout donner, pour [sa] compagne Océane et pour [son] fils Kélyan ».

Ce livre revient aussi sur la merveilleuse rencontre entre deux jeunes gens qui s’aimaient éperdument, sur la courte existence de Nathanaël, que l’on découvre plein d’humanité. Sur les années passées depuis avec Kélyan, ce petit garçon si courageux, portrait craché de son père. Sur les liens tissés à jamais avec les pompiers de France. Ode à l’amitié et aux valeurs chères à ces hommes et femmes dévoués qui risquent chaque jour leur vie.

S’il n’épargne pas « les tergiversations de la Mairie de Paris », pas plus que l’édile Anne Hidalgo « qui ne s’estime pas du tout responsable », qui « [lui] paraît déconnectée » et « la tournure politique » des événements (articles en annexes sur le combat juridique), le livre d’Océane Cocco se concentre aussi sur « l’après », sur la formation qu’elle a entreprise, sur ses réunions avec les orphelins, sur son « cœur qui bat pour deux ».

Une leçon de vie et de résilience, accompagnée de très belles photos.

Explosion rue de Trévise : avant le procès, un livre sur le drame
(copyright Pompiers de Paris)

 

 

(1) Dans l’ombre de mon héros, par Océane Cocco et Christophe Tézier, Éditions des Sapeurs-pompiers de France, 120 pages, 19 euros.

 

Pour consulter tous nos articles sur l’explosion de la rue de Trévise, c’est par ici.

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