Rue de Trévise : « Des travaux réalisés en urgence auraient évité l’explosion »

Publié le 25/11/2021

Les investigations réalisées dans le cadre de l’instruction de l’explosion au gaz survenue rue de Trévise le 12 janvier 2019, communiquées mercredi aux victimes, confirment « les fautes » de la Ville de Paris. Elle « n’a pas pris les mesures pour remédier » à l’affaissement du trottoir qui a causé ce sinistre aux conséquences dramatiques. Ce que conteste la mairie.

explosion rue de Trévise
Explosion rue de Trévise (Crédits : DR)

 

Mercredi 24 novembre, les parties civiles et leurs avocats ont été conviés à une réunion d’information organisée par les juges d’instruction saisis fin janvier 2019 du « dossier Trévise ». Ils leur ont notifié être arrivés au terme des investigations (notre article d’hier). Une fois passés les délais légaux, permettant notamment aux mis en cause de contester l’ultime rapport des experts communiqué le 19 novembre 2021, et une fois purgée une dernière requête en nullité par la chambre de l’instruction, ils rendront un avis de fin d’information judiciaire. L’ordonnance ne sera pas signée cette année, les appels formés par Me Sabrina Goldman, conseil de la Ville, n’étant pas encore audiencés (notre encadré). Par la suite, il reviendra au procureur de la section du parquet chargée des accidents collectifs de rédiger son réquisitoire définitif.

En l’état de la procédure, deux personnes morales sont susceptibles d’être renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris : la Ville et la compagnie immobilière CIPA, syndic de copropriété gérant l’immeuble du 6, rue de Trévise, dans le IXe arrondissement. L’explosion s’est produite au pied de cet édifice, occasionnant des dégâts dans un rayon de 100 mètres. Elle a provoqué la mort de deux pompiers, d’une touriste espagnole et d’une infirmière, blessé 66 riverains, dont certains sont handicapés à vie, et privé de leurs logements, bureaux et commerces des centaines de familles et de professionnels.

« Absence de contrôle et de suivi des réfections »

 A ces proches endeuillés, à ces mutilés et sinistrés, ainsi qu’à leurs avocats, rassemblés en l’auditorium Pierre Drai du Palais de Justice, deux des trois juges d’instruction, un procureur adjoint et cinq experts, dont quatre près la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation, ont dressé un état complet des 35 mois d’enquête. Il en ressort « des fautes » constitutives des délits reprochés : homicides et blessures involontaires, destruction, dégradation ou détérioration par l’effet d’une explosion ou d’un incendie. La mairie de Paris, qui avait connaissance de problèmes récurrents au 6, rue de Trévise comme l’indique aussi le rapport de son Inspection générale (notre article du 24 novembre), n’en a pas cherché le motif et « n’a pas pris les mesures pour y remédier ».

L’affaissement du trottoir, « constaté à plusieurs reprises » depuis le mois de juin 2015, ainsi que « le vide » sous la chaussée dû à une dépression du sous-sol et signalé par l’entreprise de travaux Fayolle en 2016, n’a pas été réparé. Mandatée par la municipalité pour intervenir, la société Fayolle est intervenue cette année-là, en présence d’un agent de la mairie, mais n’était pas chargée de déterminer les raisons de l’affaissement, contrairement aux déclarations de la Ville. Elle n’était même pas informée des interventions menées précédemment par la Direction de la voierie et des déplacements (DVD) et la Direction de la propreté et de l’eau (DPE). Fayolle a « effectué les travaux pour lesquels elle était payée », concluent les experts judiciaires, raison pour laquelle l’entreprise est placée sous le statut intermédiaire de témoin assisté, faute « d’indices graves et concordants » établissant d’une manière ou d’une autre sa responsabilité.

Il est donc reproché à la municipalité parisienne « une absence de contrôle et de suivi des réfections » : « Sans la déformation du sol, aucune rupture de la canalisation de gaz n’aurait été occasionnée », précisent-ils.

« La défectuosité du radier a échappé aux égoutiers »

 Si la DVD n’a pas recherché la cause des affaissements du trottoir et n’y a pas pallié, la DPE en charge du réseau d’assainissement (les canalisations, égouts et collecteurs), est passée à côté de l’origine du « désordre ». Dès le 25 novembre 2015, un affouillement est constaté sous l’immeuble près de la cave N°40. La fracture, selon les experts, est directement liée au drame. La rupture du collecteur d’eaux a entraîné un écoulement permanent, qui a fini par modifier le sous-sol : 300 à 500 m3 d’eau se sont ainsi déversés ! Des égoutiers intervenus le 25 novembre 2015 ont estimé que le problème, situé dans les communs de l’immeuble, était du ressort du syndic et n’ont pas donné suite. « La défectuosité du radier a échappé aux égoutiers », dit le rapport remis aux juges.

Ce dispositif, généralement en béton, protège la construction de l’érosion des eaux. « Les manquements » du personnel de la DPE et « leur défaut de vigilance » sont jugés « en lien immédiat avec la cause du sinistre ». S’il n’appartenait pas à ces services de colmater les fuites, c’est indéniable, ils pouvaient rédiger un rapport des dégâts, ce dont ils se sont dispensés, et surtout alerter du danger. Le syndic aurait alors, peut-être, diligenté des travaux en urgence. Faute d’avoir été informé, il réagit … six mois plus tard ! Lors de son assemblée générale, il fait voter la réfection et commande des devis.

Le 4 décembre 2016, une entreprise prête à intervenir n’est pas retenue. Il faudra attendre le mois de mars 2017 pour qu’un plombier soit désigné. Un autre avait précédemment conseillé par écrit d’inspecter les égouts pour savoir « s’il y a un lien entre le collecteur et l’affaissement ».

La suite est malheureusement connue : « Faute de réactivité du syndic », la modification du sol s’est poursuivie. En tardant à agir, « il a contribué à la réalisation du dommage », a-t-il été indiqué aux parties civiles. D’où sa mise en examen.

« La canalisation de gaz a subi un déplacement de 30 centimètres »

 La dépression progressive a peu à peu fragilisé la conduite de gaz dont GRDF avait pris la peine de signaler la présence, par écrit. Trois tronçons ont été placés sous scellés. L’examen métallurgique a démontré que « la canalisation a subi un déplacement de 30 centimètres vers le bas, ce qui a amené les matériaux au-delà de leurs capacités de déformation et a causé la rupture mécanique. Elle n’aurait pas été occasionnée sans l’affaissement du sol », évalué entre 60 centimètres et 1,50 mètre. GRDF, distributeur du gaz, effectuait un contrôle annuel, pourtant imposé que tous les deux ans, leur dispositif était conforme à la règlementation. Les juges mettent donc hors de cause la filiale d’Engie.

Et c’est ainsi que, samedi 12 janvier 2019, les pompiers alertés pour « une odeur de gaz » interviennent devant le numéro 6 de la rue de Trévise. Ils en déterminent l’origine et tentent d’effectuer une coupure générale. Une étincelle produite par un appareil ménager provoque l’explosion à 8h59. Dix-sept minutes plus tard, l’incendie fait toujours rage : le réseau n’a pas encore été décomprimé, le gaz se propage à raison de 21m3 par heure. Les pompiers et riverains proches du numéro 6 n’avaient aucune chance d’en sortir indemnes. Ce fut le cas des deux sapeurs, soufflés par le blast, de la touriste espagnole Laura, de l’infirmière Adèle retrouvée le 13 sous les décombres, et des employés de l’hôtel Ibis, Angela, Inès, Amor, Ameroch qui comptent parmi les blessés toujours en phase de reconstruction.

Les éventuelles personnes physiques qui pourraient répondre du drame encourent une peine de deux ans de prison, et les personnes morales, des peines d’amende.

 

Me Sabrina Goldman, avocate de la mairie de Paris : « Nous considérons qu’il n’y aucune faute, aucun manquement »

Me Sabrina Goldman, du Barreau de Paris, et la Ville qu’elle défend, nous indiquent être « en désaccord avec les conclusions de l’expertise technique réalisée au pénal, et qui fondent la mise en examen de la mairie. Après un travail d’étude approfondi par les ingénieurs de la Ville, et une inspection générale réalisée à sa demande, nous considérons qu’il n’y a eu aucune faute dans l’entretien de la voirie, ni aucun autre manquement qui aurait pu permettre d’éviter l’accident ».

C’est pourquoi Me Goldman a saisi la cour d’appel de Paris, « afin que de nouveaux experts puissent avoir un autre regard sur ce sujet, ce d’autant plus que les experts au civil ont pour le moment une analyse qui ne va pas dans le même sens » que celle livrée aux juges d’instruction. L’avocate est toutefois consciente que sa démarche rallongera les délais et accentuera la souffrance des parties civiles : « Je vais demander à la cour d’accélérer l’audiencement de cet appel. L’exercice de cette voie de recours n’a en tout cas rien de dilatoire : il n’empêche ni les travaux de reconstruction de la rue de Trévise, ni l’investissement de la Ville en faveur de l’indemnisation des victimes. »

Me Goldman réitère le souhait d’Anne Hidalgo d’aboutir rapidement à la mise en place de l’accord-cadre : « La mairie de Paris, dans une démarche de compréhension et de recherche de la vérité, est aux côtés des victimes depuis le 12 janvier 2019 et s’y emploie encore aujourd’hui, multipliant les efforts pour mettre en œuvre un accord d’indemnisation avant la fin de l’année 2021. » La Ville « a confiance en la Justice, dans le fait que la manifestation de la vérité puisse avoir lieu et se réjouit que l’information judiciaire prenne bientôt fin ».

 

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