Penelope Fillon malmenée à la barre

Publié le 28/02/2020

La troisième journée du procès Fillon a été consacrée à l’examen des contrats de collaboration parlementaire de Penelope Fillon depuis 1981. L’ancien candidat à l’élection présidentielle a déclaré qu’il entendait « faire éclater la vérité »

Au troisième jour du procès Fillon, les deux questions prioritaires de constitutionnalité ayant été rejetées, l’examen au fond peut enfin commencer. La présidente a prévu un temps pour d’éventuelles déclarations liminaires. François Fillon  saisit l’occasion, en raison de l’attitude du parquet, explique-t-il,  qui ne lui laisse d’autre choix que la peine de mort ou la victimisation. Une allusion au fait que la veille, l’une des deux vice-procureurs, Aurélien Létocart,  a rappelé que le détournement de fonds publics sous l’ancien régime était puni de la pendaison, tandis que le second Bruno Nataf, ironisait sur la stratégie ininterrompue de « victimisation de la défense ».

« J’ai été condamné sans appel il y a trois ans »

« J’ai été condamné sans appel il y a trois ans par le tribunal médiatique » explique le prévenu à la barre. L’objectif était clair «m’empêcher de concourir dans des conditions normales à l’élection présidentielle ». Aujourd’hui constate-t-il, « les dégâts sont irréparables » et la décision à venir n’y changera rien. Mais il entend néanmoins « faire éclater la vérité » pour son honneur, celui de son épouse et de Marc Joulaud son suppléant.

La journée est consacrée à l’examen des contrats de Penelope Fillon à compter de 1981, soit très au-delà de la période de prévention (2002-2013). Entendue en premier, celle-ci peine à sortir de sa réserve et il faut lui demander plusieurs fois de parler fort et dans le micro pour l’entendre. Sa collaboration commence en 1981 lorsque François Fillon, à la suite du décès brutal de son mentor, est élu député de la Sarthe. Dans un premier temps, ses contrats portent sur une mission précise, comme rédiger un rapport sur « l’aménagement du bocage sabolien »  en 1981 (30 000 francs), l’ »organisation du secrétariat » en 1982 (30 000 francs) etc.  A partir de 1986, elle devient collaborateur parlementaire permanent. La période débute  en 1998. A l’époque, elle est en contrat à durée indéterminée jusqu’en 2002, moyennant un salaire mensuel de 20 752 francs. Le 7 mai 2002, François Fillon est nommé ministre des affaires sociales, elle devient alors collaborateur parlementaire de son suppléant, Marc Joulaud, moyennant une rémunération de 5 200 euros nets par mois jusqu’en 2007.

Penelope Fillon malmenée à la barre
La salle 2-13 où se déroule le procès Fillon (Photo : ©O. Dufour)

Gérer l’agenda, répondre au courrier, rédiger des fiches

Enfin, de juillet 2012 à novembre 2013, François Fillon est député de Paris, son épouse redevient son assistante moyennant 3 450 euros nets. A la barre, elle détaille la nature de son travail : gérer l’agenda, répondre au courrier (une quarantaine de lettres par semaine), faire des revues de presse, rédiger des fiches pour son mari. Lorsqu’il est appelé à la barre, François Fillon précise que Penelope relisait et corrigeait tous ses discours et lui donnait son avis en fonction de son ressenti sur les préoccupations et les attentes des gens. Sa circonscription regroupant 80 communes, il pouvait lui arriver dans une journée de participer à 7 ou 8 événements. Dans ce cas, Penelope lui préparait des fiches pour qu’il puisse improviser un discours répondant aux attentes du public. Elle savait aussi le renseigner sur les personnes qui le recevaient, pour lui préciser par exemple qu’un maire venait d’avoir un enfant. La présidente tique et s’interroge sur l’utilité politique de ce type de détail.   François Fillon rétorque que c’est une manière de créer un lien qui n’existerait pas si l’on restait sur le terrain  institutionnel.

Le parquet multiplie les attaques. Tout y passe, le lieu d’exercice mentionné dans le contrat, distinct du lieu effectif, les indemnités de congés non pris (on découvrira au fil des débats qu’elle n’est pas la seule à les avoir perçues et que c’est sans doute un problème de négligence à l’assemblée), l’absence de CV, – « c’est un rendez-vous d’embauche ? », ironise Antonin Levy, l’avocat de François Fillon -, le montant des salaires, la forme des contrats…. Alors que Penelope Fillon est pressée de questions de toute part, la défense tente de calmer le jeu. Le procureur Nataf se cabre, « je suis en empathie totale avec votre cliente, sans doute plus que vous ». Pénélope se défend en renvoyant vers son mari, les contrats, les salaires, c’est lui, elle ne s’en occupait pas.

  • « A chaque nouvelle naissance vous signez un contrat, on a l’impression qu’à mesure que les besoins financiers augmentent, vous cherchez des ressources » avance Aurélien Létocart.

Antonin Levy rectifie quelques minutes plus tard en deux questions  :

  • « Avez-vous neuf enfants ? »
  •  non ;
  • trouvez-vous le parquet empathique ?,
  •  non ».

Les époux Fillon se heurtent à une difficulté majeure, le manque de notes, rapports ou autre pièces pour démontrer la réalité des missions décrites. Ils peinent aussi parfois à se souvenir précisément des détails. Pour des faits remontant à 20, 30, voire 40 ans en arrière, ce n’est pas étonnant….L’ancien député se défend en expliquant qu’il n’a jamais eu de permanence pour entreposer des archives ; celles de l’Assemblée nationale sont détruites à l’issue de chaque mandature. L’accusation insiste sur l’un des points faibles de la défense : plusieurs éléments démontrent que les rémunérations sont versées non pas en fonction des heures travaillées mais du crédit disponible dans l’enveloppe parlementaire. François Fillon ne nie pas, mais il martèle que la définition de la mission de l’assistant, de même que la fixation de son salaire,  de la seule compétence du député.

Le parquet s’interroge aussi sur le fait  que Penelope Fillon n’a jamais pris de congés, pas même lorsqu’elle a accouché de ses cinq enfants.

  • « Vous voulez qu’elle m’envoie aux prud’hommes, ironise François Fillon.
  • Rassurez-vous, ça c’est prescrit », tacle le parquet.

« Les témoignages sont tronqués, parfois travestis »

En revanche, la défense marque un point sur les taux horaires comparés des différents collaborateurs de François Fillon. Sur la période 2012-2013, Penelope Fillon a perçu 27 euros de l’heure. L’instruction a procédé à des calculs démontrant que les autres étaient payés entre 20 et 26 euros. A ceci près qu’il manque des collaborateurs dans les calculs. La présidente a complété elle-même et découvert que certains touchaient 62 euros de l’heure. Voilà qui accrédite la thèse de la défense dénonçant une instruction entièrement à charge. A son avocat qui lui demande à la barre ce qu’il pense de l’ordonnance de renvoi, François Fillon répond « elle est incroyablement partiale et je m’attacherai à le démontrer, les témoignages sont tronqués, parfois même travestis ».

« Vous êtes une travailleuse passive, c’est étonnant comme concept »

La journée se termine par l’examen de l’interview accordée par Penelope Fillon au Sunday Telegraph en mai 2007, alors que son mari vient d’être nommé Premier ministre. Elle y déclare notamment « je n’ai jamais été son assistante ou quoique ce soit de ce genre-là ». Ce qu’elle veut dire, explique-t-elle à la barre, c’est qu’elle ne joue pas un rôle de « parlementary assistant », qui en Grande-Bretagne travaille aux Parlement sur les textes législatifs, mais de « constituancy assistant », en charge des affaires locales.  « J’aime observer le monde au travail, c’est assez amusant » confie-t-elle encore dans cette interview, ce qui fait dire à Aurélien Létocart « Vous êtes une travailleuse passive, c’est étonnant comme concept ».

Depuis le début de la journée le parquet malmène la prévenue à coup d’ironie, de sarcasmes et d’insinuations enrobées de fausse compassion. Penelope Fillon passe à l’évidence un sale moment, ce d’autant plus que la présidente ne laisse rien passer non plus. Toutefois, elle tient bon. Concernant l’interview, elle explique  qu’en s’adressant à un journal anglais, elle ne voulait pas que l’on pense Outre-Manche qu’elle pourrait  jouer un rôle quelconque entre la France et l’Angleterre à raison de ses origines.

  • « Qui faut-il croire, celle qui se confie spontanément à la presse ou celle qui est sous pression face à la justice ? », interroge Aurélien Létocart.

Pierre Cornut-Gentille saisit l’opportunité de poser une question à Penelope Fillon pour corriger l’effet dévastateur de la question du parquet en rétorquant en substance qu’on répond à la presse par de la communication, tandis qu’on dit la vérité à la justice.  Pénélope Fillon acquiesce à la question qu’on ne lui a pas posée. Au terme de cette première journée de débats au fond,  la défense marque péniblement des points, tandis que le parquet pousse ses pions, sous les rires du public.

Prochaine audience lundi 13h30.

 

Lire aussi le récit de la première audience qui a donné lieu à un renvoi pour cause de grève des avocats, et celui de la deuxième qui détaille le contenu des QPC.

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