Dans le prétoire : le père d’Anaïs voulait juste « faire des bisous » aux amies de sa fille

Publié le 18/09/2020

Un homme de 51 ans comparaît le 11 septembre 2020 devant la 7e chambre correctionnelle du tribunal de Versailles pour agression sexuelle sur mineures. On lui reproche d’avoir embrassé par surprise deux adolescentes au cours d’une soirée entre lycéens. Il risque 5 ans de prison.

Palais Versailles
Palais de justice de Versailles (Photo : © P.Anquetin)

Un samedi soir de septembre 2019 dans les Yvelines, cinq filles et deux garçons de 16 à 17 ans sont réunis dans l’appartement de l’un des parents. Anaïs [tous les prénoms ont été modifiés], les a invités pour fêter son retour au lycée après une période de déscolarisation. Le père d’Anaïs, le seul adulte présent, a pour mission de garder un œil sur le petit groupe. Vers 23 heures pourtant, la soirée tourne court. Non à cause des adolescents, mais à cause du papa, beaucoup trop entreprenant envers les jeunes filles.

« Il m’a poussée dans un petit cagibi »

« J’étais sur le balcon. Le père d’Anaïs avait bu toute la soirée. Il est arrivé. Il s’est mis en face de moi. Il m’a pris le visage. Il m’a donné un baiser avec sa bouche. » Cette scène, Lila la raconte le lendemain matin au commissariat où elle porte plainte, accompagnée de ses parents.

Le même jour, dans un autre commissariat, Elodie porte plainte également : « Le père d’Anaïs nous incitait à consommer de l’alcool. Je voulais boire quelque chose sans alcool, alors il m’a fait venir dans la cuisine. Il m’a poussée dans un petit cagibi, il m’a enfermée. Il m’a embrassée de force sur le visage et dans le cou. Il a mis ses mains dans mon pantalon sur mes fesses. Il a essayé de soulever mon pull. J’étais tétanisée. Il a dit : « C’est dommage que tu ne puisses pas le faire. » A ce moment, Romain a ouvert la porte du cagibi. Je suis tout de suite sortie. J’ai craqué dans les bras de Romain. »

Les policiers appellent Romain pour l’interroger. « J’étais sur le balcon, mais je n’ai pas vu où était le bisou. Le père [d’Anaïs] a dit à Lila : « Tu vois, c’est pas grave, c’est juste un bisou. » Il est parti. Ensuite, j’ai cherché Elodie. Je l’ai trouvée dans le cagibi. Elle m’a sauté dans les bras et elle m’a dit qu’il avait essayé de la violer. »

« Je ne l’ai pas forcée »

Le père d’Anaïs est interpelé et placé en garde à vue. « On a fait la fête, ça a peut-être un peu débordé, déclare-t-il. Lila m’a embrassé. Je me suis retrouvé avec Elodie vers la salle de bain. On s’est tenus par la main. Je l’ai embrassée deux-trois fois, mais je ne l’ai pas forcée. Il y avait consentement de leur part, je ne comprends pas leurs déclarations. »

Il comparaît aujourd’hui devant la 7e chambre du tribunal correctionnel de Versailles, spécialisée dans les infractions sexuelles. L’agressions sexuelle peut être punie de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende. Encadré dans son box par deux épais policiers, l’homme paraît frêle, sec. Son visage est émacié, gris, fatigué.

Après avoir lu les témoignages des adolescents, la présidente d’audience détaille le casier judiciaire du père. On apprend qu’au moment de cette soirée de septembre 2019, il était déjà sous contrôle judiciaire pour une autre agression sexuelle commise quelques mois plus tôt. « Sur sa belle-fille de onze ans », précisera la procureure. Il a été condamné en novembre 2019, après la soirée, à 18 mois de prison. « Il n’avait pas reconnu les faits, souligne la juge. Il n’a pas fait appel. » Et ce n’est pas tout : en août 2020 il a été condamné à 5 mois pour violence aggravée. « Une bagarre », élude le prévenu.

La présidente lit ensuite la synthèse d’une expertise psychiatrique. L’expert a décelé « une personnalité perverse, manipulatrice et narcissique. Sa dangerosité criminologique est importante » La contre-expertise demandée par le mis en cause ne le sauvera pas : « la dangerosité criminologique n’est pas à écarter. »

« Il me suit »

Tout de suite après les faits, les médecins avaient constaté huit jours d’ITT pour Lila, dix jours pour Elodie. Au cours de l’instruction les deux filles présentaient, selon les experts, des symptômes de stress post-traumatiques : anxiété, cauchemars, ruminations, sentiment d’insécurité, troubles alimentaires…

Lila et ses parents ont déménagé. « Elle n’a pas souhaité se retrouver devant Monsieur au procès », explique son avocate. Mais Elodie est venue, intimidée, et déterminée. La présidente se contente de questions fermées :

« — Les choses se sont passées comme ça, ce jour-là ?

— Quelle était votre consommation d’alcool ? Vous avez dit que vous aviez bu un cocktail dans une coupe de champagne et puis plus rien ?

— Il vous collait, avez-vous dit ?

— Pas au début, mais à partir de 22 h, quand on dansait.

—Vous le suivez dans la cuisine ?

— Je vais dans la cuisine, il me suit. »

Le récit de la scène du cagibi défile ensuite sur le même rythme.

« Vous vous êtes mis au niveau de ces adolescents »

Dans son box, le prévenu encaisse. Il ne cesse d’ôter ses lunettes pour les remettre. C’est à son tour de répondre à la magistrate. Il se lève :

«—  J’ai exprimé mes excuses. J’aurais pas dû boire et faire ces embrassades. Mais c’est beaucoup de mots lourds d’accusation. Il ne s’est pas passé tout ça. Je lui ai donné la main, on est allés dans le cagibi, on s’est embrassés, elle a mis la main sur mon torse. Je lui ai dit : « ça sert à rien d’insister. » Je n’ai pas senti de réticence de sa part. (…) Je me trouve face à une grosse vague d’accusations, j’ai tout le TGI contre moi.

— Pourquoi elle réagirait de la sorte si elle était d’accord ?

— Il faut lui demander !

— Vous avez entendu les psys, ils disent que ces enfants ne vont pas bien.

— Elle était pieds nus, elle avait du vernis à ongle, elle portait un vêtement en viscose… Je n’ai jamais tenté de la violer, il faut que tout le monde se le mette dans la tête. »

Outre les baisers et les caresses, la présidente lui reproche d’avoir trahi son rôle d’adulte référent de la soirée. « Vous vous êtes mis au niveau de ces adolescents. » La procureure, agressive, porte le fer :

« — Vous alliez faire quoi dans ce cagibi, Monsieur ?

— On s’est embrassés, il n’y avait aucune intention…

— Une jolie jeune fille, dans un cagibi… Vous alliez faire quoi, Monsieur ?

— Des bisous. »

Il est enfin interrogé sur sa personnalité. La mère d’Anaïs a demandé le divorce à la suite de la première agression sexuelle. Dans sa déposition, elle lui reproche aussi de ne pas vouloir travailler. « Il a une véritable phobie sociale. ». Il se défend : « Ma fille était épileptique, il fallait que je m’en occupe. » Les arrêts maladie ont interrompu les périodes de travail. Puis ce fut le RSA.

A-t-il des projets ? « Changer de vie sociale, chercher du travail en cuisine… »

Quatre ans requis dont deux avec sursis

Les avocates des deux jeunes filles demandent 3 000 € pour le préjudice moral de Lila, 3 000 € pour ses parents. Et 4 000 € pour Elodie, 2 000 € pour ses parents, 800 € de préjudice matériel pour la prise en charge thérapeutique.

Dans son réquisitoire, la procureure s’adresse d’abord à Elodie. « C’est courageux qu’elle soir là aujourd’hui, qu’elle ait osé s’exprimer. Elle ne s’est pas laissé démonter. Je lui souhaite de se relever. Et pour Lila, j’espère que la décision du tribunal lui permettra de se reconstruire. »

Quant à Monsieur… « A aucun moment il ne s’est posé la question de savoir si elles étaient d’accord ou pas, et c’est très inquiétant. Par la suite, quand il sera à nouveau confronté à une jeune fille fragile, comment réagira-il ? » Elle requiert quatre ans de prison, dont deux avec sursis probatoire, et le maintien en détention.

« Pas un prédateur sexuel »

La partie est difficile pour l’avocate du père de famille. « Je n’entends pas plaider la relaxe. Je suis la seule à le connaître un peu mieux, pour le fréquenter depuis onze mois en détention. »

Elle retouche le portrait que magistrats et avocats ont dressé de lui. « Il n’est pas un prédateur sexuel, il n’est pas le dangereux pervers qu’on a tenté de décrire. » Elle veut rappeler la nature de l’agression : « embrasser, ce n’est pas la même chose que d’autres actes que je n’ai pas entendus ici. »

Elle souligne qu’il a déjà fait douze mois de détention provisoire. Elle voudrait l’aider à « réfléchir à son positionnement. Il faut qu’il adhère. Il y a beaucoup de travail ! » Pour cela le sursis probatoire est le plus adapté.

Une plaidoirie réussie, immédiatement brouillée par les derniers mots du prévenu : « Je ne suis pas quelqu’un d’agressif. Je ne peux pas mettre le couteau sous la gorge des gens pour les obliger de le penser. »

Il est condamné à deux ans de prison dont six mois avec sursis assorti d’une période probatoire de deux ans : obligation de soins, de travail, d’indemniser des victimes, interdiction d’entrer en contact avec elles, inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles.

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