Jacques Boulard installé à la première présidence de la Cour d’appel de Paris
Jacques Boulard a été installé dans ses nouvelles fonctions de Premier président de la Cour d’appel de Paris le 26 septembre, en présence de nombreuses personnalités dont le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti. Il succède à Jean-Michel Hayat, appelé à faire valoir ses droits à la retraite.
Quand on évoque les chiffres de la Cour d’appel de Paris, on est très vite saisi de vertige : elle couvre 6 départements représentant 8 millions d’habitants et compte dans son ressort pas moins de 47 juridictions dont 9 tribunaux judiciaires rassemblant 5000 magistrats fonctionnaires et contractuels. Cela représente 20 % de la justice française.
Arrivé tout droit de Toulouse
L’homme qui va en prendre la tête s’appelle Jacques Boulard. Il est né en 1963 à Rennes. Contrairement à ses quatre prédécesseurs (JM. Hayat, C. Arens, J. Degrandi, JC. Magendie), il n’est pas « monté » du tribunal de Paris à la Cour mais arrive tout droit de la cour d’appel de Toulouse dont il était jusque-là le premier président. S’il a commencé sa carrière au parquet de Pontoise en 1989, Jacques Boulard, a ensuite rejoint le siège pour ne plus jamais le quitter. Il a exercé au ministère de la Justice successivement à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), à la protection judiciaire de la jeunesse et à la fonction ressources humaines. De retour en juridiction, Jacques Boulard a présidé les tribunaux de Libourne, Reims, Valenciennes et Nanterre. À la cour d’appel de Toulouse, où il a été nommé en 2017, on le regrette déjà.
À Paris, on l’accueille à bras ouverts. Il est vrai que l’actuel procureur général de la cour Remy Heitz et lui se sont connus en début de carrière à Pontoise, puis retrouvés à la DACG. Les deux hommes sont de leur propre aveu « amis de trente ans ». Dans son allocution, Remy Heitz a évoqué trois défis pour la juridiction.
Un stock d’affaires criminelles inquiétant
D’abord l’instauration des cours criminelles départementales le 1er janvier prochain. Le magistrat ne s’en cache pas, il s’agit de réduire les stocks qui se sont accumulés à cause de la crise sanitaire : en tout, on compte 550 dossiers en attente dans le ressort dont 150 à Paris et 100 en Seine-et-Marne. Ensuite, l’état des établissements pénitentiaires. Si les aménagements de peine sont en hausse, en revanche les travaux d’intérêt général baissent et les durées de détention augmentent. Résultat, un taux d’occupation en 146 % e, moyenne sur le ressort et de 160 % à la Santé, ce qui implique concrètement 82 matelas au sol, et 66 cellules triplées (trois détenus) dans des locaux de 9 m2.
Le défi des jeux olympiques
Enfin, troisième sujet de préoccupation, la préparation et la tenue des Jeux Olympiques à Paris en 2024. Rémy Heitz a fait le calcul, les jeux se dérouleront sur 35 sites différents, correspondant aux ressorts de 9 cours d’appel et de 13 tribunaux judiciaires. Plus de la moitié des épreuves se tiendront à Paris, en Seine-Saint-Denis et en Seine-et-Marne. Il y aura forcément un effet d’aubaine pour des groupes criminels, prévient-il : « la justice doit anticiper les adaptations dans la prévention et le traitement des actes de délinquance, renforcer ses capacités de permanence et de jugement et mettre en place un dispositif d’aide et d’accompagnement des victimes, il y va de l’image de notre institution et de notre pays ».
Au risque de contrarier le garde des Sceaux, assis au premier rang de l’assistance, juste en face de lui, Jacques Boulard a commencé son discours d’installation par une évocation de la crise des valeurs que traverse la justice et qui a trouvé son paroxysme dans la tribune publiée au Monde en novembre dernier (lire notre dossier sur la souffrance des magistrats ).
« L’informatique judiciaire n’est pas à la hauteur »
Il a dénoncé, au titre des « causes de ce malaise » : « une charge de travail anormalement lourde qui ne repose sur aucun référentiel fiable, une inflation normative qui obscurcit notre ordonnancement juridique, une absence d’accompagnement méthodique de réformes toujours plus complexe et qui trop souvent se contredisent ». Pour lui, « le renforcement des moyens humains » annoncé par le ministre « constitue assurément une grande partie de la solution ». Mais la « transformation numérique est un autre enjeu majeur », or a-t-il souligné, « l’informatique judiciaire n’est toujours pas à la hauteur des fortes attentes des professionnels ».
Une prise de fonction n’est pas le moment d’annoncer un plan d’action. Mais les nouveaux arrivants ont toujours en tête des priorités. Jacques Boulard en a évoqué trois. D’abord, au vu du contexte, il faut porter une attention particulière aux conditions de travail et à la prévention des risques psychosociaux. Cela englobe la déontologie, mais aussi les relations entre avocats et magistrats.
L’importance de la foi du palais
Sur ce dernier point, il estime que les recommandations du conseil consultatif conjoint ne doivent pas rester sans suite, car, pour reprendre la formule de cette structure : « C’est en restaurant la foi du palais que nous renouerons un dialogue serein et fécond entre avocats et magistrats non pas adversaires, mais bien partenaires dans cette quête d’une justice humaine et de qualité ». Ensuite, le nouveau premier président entend renforcer la qualité du processus juridictionnel ce qui passe notamment par le développement de contrats d’objectifs avec les chambres ayant des stocks anciens. Enfin, il entend valoriser la place judiciaire de Paris sans négliger la justice du quotidien. Autrement dit, c’est un premier président attentif à la justice économique internationale et à la fonction de juridiction d’appel des autorités de régulation, comme l’autorité de la concurrence ou l’autorité des marchés financiers.
Et ce n’est pas le moindre défi lancé par cette cour hors normes à tous les niveaux : concilier des fonctions spécialisées nationales avec le traitement de la justice du quotidien.
Référence : AJU320099