Justice : « J’accomplis le travail de deux parquetiers à temps plein »

Publié le 14/12/2021

Suite à la publication de la tribune des 3000 le 23 novembre dernier, les témoignages de magistrats sur l’état de l’institution continuent d’affluer. Nous publions aujourd’hui celui d’une magistrate du parquet en charge plus particulièrement des mineurs.

Justice : "J'accomplis le travail de deux parquetiers à temps plein"

Les Témoignages de magistrats continuent d’affluer auprès de l’USM.

La parole est libérée.

Grâce à la tribune du Monde.

A cause de la communication hors sol de la Chancellerie sur « la justice réparée », les personnels judiciaires « heureux ».

Cette libération de la parole est également une prise de conscience.

Dans ce témoignage, « presque banal » d’une parquetière en charge des mineurs, le lecteur comprend finalement pourquoi le politique se contente, en France, d’un nombre de magistrats très inférieur à celui de nos voisins européens  : parce que chaque magistrat travaille pour « 1,2 », « 1,5 » voire « 2 » emplois à plein temps de magistrat… et c’est pareil pour les autres acteurs de la chaine pénale, greffiers, conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation etc.

 Des économies mais à quel prix humain ?

 Ludovic Friat

Secrétaire Général de l’USM

 

 

 “En poste depuis 4 ans dans une juridiction de groupe 2 (nb : juridiction de taille importante), j’exerce en qualité de substitut du procureur.

Je suis plus particulièrement en charge du service des mineurs, regroupant tant les mineurs auteurs que les mineurs victimes.

C’est un contentieux délicat que celui des mineurs victimes.

Une urgence peut se cacher dans un dossier, ou dans une lettre, qui se retrouve au milieu de ma pile de courrier. C’est «ma hantise » de découvrir une urgence concernant un enfant en danger dans un dossier qui prend la poussière dans mon cabinet depuis plusieurs semaines.

Alors pour éviter cela, je traite mon courrier, tous les soirs, après ma journée de travail.

J’ai même acheté une valise « spéciale courrier », et après ma longue journée de permanence ou d’audience, je rentre chez moi vers 19h30. Je couche mes deux enfants en bas-âge puis je me remets au travail, de 20h30 à 23h30.

Tous les jours, exceptés les vendredi et samedi soirs.

Il y a bien des semaines où je n’arrive plus à tenir ce rythme, trop épuisée, avec un conjoint se plaignant à juste titre de mon indisponibilité. Ces semaines de relâchement, je les planifie soit en fonction des congés de ma greffière qui fait entrer mon courrier, soit en fonction de mes week-ends de permanence.

Ces week-ends de permanence, je les passe de toutes les façons au tribunal, alors entre deux déferrements, j’en « profite » pour faire du courrier et rattraper le retard pris lors de « mon relâchement ». S’agissant des week-end de permanence, je traite en moyenne entre 3 et 8 appels par nuit. Parfois, il est juste impossible de se rendormir ensuite. Dans la journée je traite entre 2 et 5 déferrements le samedi puis le dimanche.

Ensuite j’enchaine sur la semaine « normale » sans récupération, épuisée, en attendant le week-end suivant avec impatience pour enfin me reposer.

Les règlements définitifs (1), je les rédige le soir, le week-end ou pendant mes congés car c’est tout simplement impossible sur mes heures « normales » de travail.

Mes audiences ? Je les vois la veille ou le jour même à la va-vite, avec souvent le regret d’être passée à côté d’une subtilité d’un procès-verbal ou d’une audition, sur laquelle j’aurais pu m’appuyer pour construire des réquisitions plus pédagogiques.

La direction d’enquête de la police judiciaire et les orientations pénales ? Elles prennent en compte avant tout le manque d’effectif des enquêteurs et nos délais d’audiencement bien trop long. Alors, comme mes collègues, je priorise. Et nous donnons des réponse pénales « dégradées » pour le reste.

En faisant le compte de toutes les heures travaillées les soirs, week-ends et congés, je me rends compte que j’accomplis le travail de deux parquetiers à temps plein ».

 

(1) Synthèse des dossiers d’instruction débouchant sur des réquisitions de non-lieu ou de renvoi devant la juridiction de jugement

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