Justice malade : les greffiers manifestent leur colère dans toute la France

Publié le 26/06/2023 à 18h57

Les greffiers ont manifesté ce lundi pour protester contre le projet de nouvelle grille salariale préparée par la Chancellerie. Ils réclament des moyens et une revalorisation de leur statut.

Justice malade : les greffiers manifestent leur colère dans toute la France
Manifestation de greffiers 26 juin Tribunal judiciaire de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

« Le problème des professionnels de justice, c’est qu’ils manifestent entre midi et deux sur les marches du palais pour ne pas désorganiser le service. Quand on ne paralyse pas tout, on n’a aucune chance d’être entendu », analysait un ancien garde des sceaux, il y a quelques années. Ce lundi, les greffiers n’ont en effet rien paralysé. Comme à leur habitude, si l’on peut parler d’habitude tant leurs manifestations sont rares, ils sont sortis, certains avec leur robe, d’autres sans, sur les marches des palais de justice pour exprimer leur colère contre la Chancellerie. Sagement. À l’heure du déjeuner, pour ne pas pénaliser les justiciables.

À 12H25, sur le parvis du tribunal judiciaire de Paris, il n’y avait personne. Cinq minutes plus tard, les greffiers arrivaient par dizaines, pancarte bricolée sous le bras. Quand on a beaucoup de travail et peu de moyens, chaque minute compte.

Justice malade : les greffiers manifestent leur colère dans toute la France
Le « matériel » du manifestant est à l’image des moyens de la justice, modeste pour ne pas dire indigent. (Photo : ©P. Cabaret)

Un mouvement spontané très suivi

Bien que spontané, le mouvement a été très largement suivi. Il rappelle d’une certaine manière l’appel des 3000, cette tribune publiée dans Le Monde en novembre 2021 par des milliers de magistrats, en dehors de toute initiative syndicale. Le suicide d’une de leur collègue les avait bouleversés et incités à témoigner de leur propre souffrance professionnelle.  Une nouvelle fois donc, les syndicats ont été dépassés par la colère de leurs membres. Ce qui les a placés dans une situation délicate. Impossible de ne pas venir soutenir le mouvement,  mais  gare aux accusations de tentatives de récupération. Ils sont donc restés discrets, les drapeaux roulés sous le bras.

Justice malade : les greffiers manifestent leur colère dans toute la France
De gauche à droite : Ludovic Friat, président de l’USM, Natacha Aubeneau (USM), Hervé Bonglet, secrétaire général d’UNSA Services Judiciaires, Cécile Marmelin (USM) et Alexandra Vaillant (USM)

Les institutions représentant les avocats n’ont pas non plus été invitées officiellement à participer au mouvement. C’est par l’intermédiaire des réseaux sociaux qu’ils ont appris la mobilisation. Certains d’entre eux se sont déplacés, dont Julien Brochot, ancien membre du conseil de l’ordre. Le vice-bâtonnier, Vincent Nioré, était présent.

Justice malade : les greffiers manifestent leur colère dans toute la France
Au centre, le vice-bâtonnier Vincent Nioré échange avec Amandine Garlant, greffière au TJ de Paris. A droite, Me Julien Brochot.

Faute d’organisation syndicale à la manœuvre, pas de prise de parole, ni de slogans repris en chœur. C’est en discutant avec les manifestants que l’on découvre les raisons de leur colère.

Tous les corps ont évolué sauf celui des greffiers

Tout est parti de la nouvelle grille salariale présentée par le directeur des services judiciaires en février dernier. Les greffiers espèrent depuis longtemps accéder à la catégorie A. Las, on leur propose un B+, soit une légère amélioration de leur statut actuel. À l’époque, les syndicats expriment leur opposition au projet. Le ministère leur répond que ce n’est qu’une première base de discussion qui, de toute façon, n’a pas encore reçu l’aval ni du contrôleur budgétaire du ministère de la justice, ni de Bercy. Les syndicats décident donc d’attendre avant de diffuser le document à leurs membres. Le 1er mars, UNSA Services judiciaires publie un communiqué dans lequel il déplore que le ministre et le directeur des Services Judiciaires « nous mentent depuis des mois en nous promettant par exemple la catégorie A pour les greffiers (annonce du GDS devant 350 stagiaires et la presse à l’ENG en novembre 2021) puis en repoussant ces discussions après les états généraux et maintenant en 2024 ! La conseillère sociale du Ministre nous disant maintenant que le Ministre ne l’a jamais dit ! Tous les autres corps du ministère ont connu des évolutions statutaires, pas les greffiers ni les personnels de greffe ! ».

CFDT Interco Justice et FO Justice décident finalement de rendre le document public. Les greffiers commencent à réaliser des simulations et ils s’aperçoivent que non seulement ils n’ont pas obtenu ce qu’ils voulaient, mais que la nouvelle grille va pénaliser leur carrière. « Les greffiers à la sortie de l’école seront payés comme des professionnels qui ont 5 ou 6 ans d’ancienneté sans que nous soyons revalorisés, confie une manifestante, greffière à la cour d’appel de Paris.  Je perds un échelon, certains plusieurs, en fait, plus on est ancien, plus on perd d’échelons ».

Justice malade : les greffiers manifestent leur colère dans toute la France
Photo : ©P. Cabaret

Deux pétitions ont été lancées la semaine dernière, l’une sur Internet, l’autre sur papier, elles ont déjà rassemblé respectivement 3 200 et 3 000 signatures, sur un corps de 22 000 fonctionnaires. Il y a quelques jours, les greffiers sont allés plaider leur cause auprès de conseillers de l’Elysée et de Matignon. Ce lundi après-midi, les quatre syndicats, Unsa Services judiciaires, CFDT Interco Justice, FO Justice et CGT Chancelleries et Services judiciaires, ont été reçus à 16h00 place Vendôme. Ils comptent bien capitaliser sur la mobilisation spontanée de leurs collègues. Passer en catégorie A couterait 35 millions d’euros par an, selon une estimation réalisée par UNSA Justice. Une goutte d’eau dans le budget de 10 milliards, une paille comparé aux 120 millions d’euros annuels que coûte la revalorisation du salaire des magistrats.

« Le constat est simple, nous sommes épuisés »

Si la manifestation de l’heure du déjeuner pour ne pas désorganiser le service (ni être assimilable à une grève avec la retenue sur salaire qui s’ensuit) ne suffira pas forcément à convaincre le ministère de traiter la situation des greffiers en priorité,  un autre phénomène impose en revanche de prêter une oreille plus qu’attentive à leurs revendications. « Énormément de collègues démissionnent. À l’instruction, on va perdre neuf greffiers sur soixante-quinze, soit plus d’un dixième, confie une greffière parisienne venue manifester. On n’a pas conscience là-haut que ça ne fonctionne que parce qu’on aime notre métier et qu’on a des valeurs.  J’ai vu des collègues pleurer, à bout, ne pas dormir par peur de la journée du lendemain. C’est la solidarité entre nous qui nous sauve ».

« Le constat est simple, nous sommes épuisés » déclare un greffier de Charleville-Mézières filmé sur les marches de son tribunal, en écho à sa collègue parisienne.

Alors que les tribunaux peinent plus que jamais à absorber les flux de dossiers, l’institution sait que sans greffiers tout s’arrête, elle l’a expérimenté pendant le confinement. Or, ils n’en peuvent plus. Certes, depuis 2021, le budget de la justice croît de 8% par an, c’est historique. D’ici 2027, les crédits atteindront 11 milliards d’euros. Seulement voilà, l’institution a atteint ce point critique où le pronostic vital est engagé et où la question qui se pose est la suivante : les secours arriveront-ils à temps ?

Justice malade : les greffiers manifestent leur colère dans toute la France
Photo : ©P. Cabaret

Mise à jour du 28 juin : nous publions ci-dessous le communiqué conjoint des syndicats à l’issue de la réunion au ministère qui s’est tenue lundi.

26.06.23 Communiqué OS DSJ
Plan