V. Nioré : « Si on crée une obligation d’authentification, il n’y aura plus d’avocats »

Publié le 01/02/2023

Le vice-bâtonnier de Paris, Vincent Nioré, a témoigné ce mercredi devant le tribunal correctionnel de Paris dans le procès pour complicité de tentative d’escroquerie au jugement intenté contre deux célèbres pénalistes parisiens, Me Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras. Il a mis en garde : « si on crée une obligation d’authentification, il n’y aura plus d’avocat, c’est la mort de la profession ».

V. Nioré : "Si on crée une obligation d’authentification, il n'y aura plus d'avocats"
Dans son box vitré l’accusé, considéré comme dangereux, est entouré de quatre policiers cagoulés (Photo : O.Dufour)

Si la culpabilité des prévenus en matière pénale était corrélée à la longueur de l’ordonnance de renvoi (116 pages) ou encore au nombre de jours d’audience (3 semaines), alors on ne donnerait pas cher de l’avenir judiciaire de Me Joseph Cohen-Sabban et Xavier Nogueras. Tel n’est pas le cas évidemment, mais comment ne pas s’interroger sur le sens qu’on a pu vouloir donner à l’importance des moyens d’enquête déployés dans ce dossier ainsi qu’au temps d’audience programmé alors même qu’un procès terroriste vient d’être renvoyé pour manque de juges ?  Tout ça parce qu’un faux jugement espagnol a été produit dans un important dossier de stupéfiants (1 tonne de cocaïne) aux assises en 2018. Offensée, la justice a décidé de poursuivre non seulement le principal accusé et son homme de main, mais aussi – et c’est inédit -, deux de leurs avocats.

Les avocats n’ont pas fait de faux

Précisons d’abord, parce que l’idée a pu effleurer les juges au départ, que les avocats ne sont pas les auteurs du faux. Les perquisitions menées chez six avocats à l’époque – un record – n’ont rien donné sur ce point malgré les efforts entièrement concentrés sur cette recherche. Mais alors, s’ils sont poursuivis, c’est qu’ils savaient que le jugement espagnol  était un faux ? Pas davantage.  Les trois juges d’instruction qui ont signé l’ordonnance de renvoi admettent qu’aucun élément ne permet d’établir  avec certitude que les avocats étaient au courant que le document était falsifié.

Le raisonnement des juges est le suivant. Par sa qualité,  l’avocat contribue à « renforcer la crédibilité d’une pièce ».  En tant qu’ « homme de l’art », il « est présumé avoir procédé aux vérifications élémentaires que commande sa profession ». Une obligation qui se trouverait même renforcée – comme par hasard – devant une cour d’assises spécialement composée comme celle qui a jugé ce dossier de trafic de stupéfiants. En l’espèce, ils ont produit à l’ouverture du procès une pièce qu’ils possédaient depuis une mois et  dont la provenance était incertaine. En réclamant, il faut le préciser, un supplément d’information justement pour valider le document qui leur avait été transmis. Pas le temps, a répondu la cour, qui n’avait pas eu le temps non plus d’ouvrir les scellés contenant la fameuse procédure espagnole (117 CD). Pas plus que les avocats d’ailleurs. L’un des assesseurs, interrogé dans le cadre de l’instruction, a assuré que les avocats de la défense avaient bien demandé un supplément d’information, au motif qu’ils ne garantissaient pas l’authenticité des documents qu’on leur avait transmis.

Devoir de loyauté 

Appelé à témoigner par la défense ce mercredi 1er février, le vice-bâtonnier Vincent Nioré a méthodiquement pulvérisé cette théorie de l’avocat certificateur. « Que dit la déontologie ? L’avocat est tenu à un devoir de loyauté à l’égard du juge et doit s’abstenir de verser sciemment des pièces qu’il sait être fausses. Ce n’est pas l’imprudence qui est sanctionnée mais la conscience claire », a-t-il asséné. Quant à la prétendue obligation d’authentification à laquelle serait astreint l’avocat, « que l’on me trouve le texte qui vient dire que l’avocat est tenu à un devoir de vérifier l’authenticité des pièces qu’on lui a remis, il n’existe aucun texte, coutume ou usage en ce sens, absolument aucun » tonne le vice-bâtonnier. Et un peu plus tard de prévenir : « si on crée une obligation d’authentification, il n’y aura plus d’avocats, c’est la mort de la profession. Comment tout vérifier ? C’est impossible ! ».

Au passage, Vincent Nioré s’est étonné de la cible de ce type d’accusations.« Ce ne sont que les pénalistes qui sont visés par ce genre de procédure de faux. Est-ce qu’on veut encore aujourd’hui d’un barreau pénal qui puisse travailler en toute sérénité ? Je ne suis pas sûr ». Il a fait observer par ailleurs qu’aucune saisine disciplinaire n’était intervenue dans ce dossier à l’initiative des magistrats. A l’exception bien sûr de la procédure disciplinaire dont il a été lui-même l’objet en tant que délégué au bâtonnier lors de la perquisition chez Me Cohen-Sabban, pour avoir contesté trop vigoureusement au goût des juges à l’origine de la perquisition la saisie de certains documents devant le juge des libertés et de la détention (JLD). Lequel JLD d’ailleurs note dans l’une de ses ordonnances où il donne raison à Vincent Nioré contre ses collègues que « les avocats ne pouvaient pas avoir conscience que les pièces qu’ils remettaient à la cour étaient des faux ».

Le bouillonnant vice-bâtonnier aurait terminé son témoignage calmement – il a répété à de multiples reprises à quel point avec la bâtonnière Julie Couturier il travaillait à améliorer les relations avocats-magistrats – si le parquet n’avait, à la fin de son propos posé cette question : pourquoi l’ordre des avocats n’avait-il pas lui-même interrogé le parquet sur la nécessité d’engager des poursuites disciplinaires dans ce dossier ? Vincent Nioré d’abord ne comprend pas, puis, éclairé par Me Hervé Témime, conseil de Xavier Nogueras qui reformule la question,  il tonne « Le bâtonnier de Paris n’a aucun compte à rendre au procureur de la République. Le parquet général n’a jamais saisi le bâtonnier, la seule poursuite a été contre moi ». La suspension d’audience opportunément décidée par la présidente Isabelle Prévost-Desprez a permis d’éviter que les échanges, parfaitement maitrisés jusque là, ne s’enflamment. Car ce dossier s’inscrit depuis le départ dans un contexte général de tension entre avocats et magistrats, particulièrement exacerbé ici (lire nos articles sur l’affaire Nioré ici et ).

« Le pire ennemi de l’avocat, c’est le client »

Dans son box, entouré de quatre gardes cagoulés, Robert Dawes, condamné à 22 ans de prison dans l’affaire de trafic de stupéfiants à l’origine de ce procès pour faux, écoute attentivement les échanges concernant ses avocats qui lui sont traduits en anglais. Lors d’une audience précédente, il a chargé ses anciens conseils en même temps que, contre toute évidence, il dédouanait son homme de main, lequel est pourtant présenté par l’instruction comme l’auteur du faux. Il continue d’affirmer qu’il n’y est pour rien et ne savait pas. Il a même accusé ses deux anciens défenseurs d’être à l’origine de sa condamnation. Jamais l’adage « le pire ennemi de l’avocat, c’est le client » n’a semblé aussi pertinent que dans cette affaire. Sur les inconfortables strapontins qui leur sont dédiés, les deux avocats en tenue de ville que le tribunal prend bien soin d’appeler « Monsieur » sont pris au piège  entre un ancien client qui les charge et des magistrats qui les interrogent. Seule consolation, leurs confrères venus discrètement les soutenir dans le public. Dans leurs yeux inquiets – ils jouent leur honneur et leur robe -,  on lit le réconfort de n’être pas seuls dans ce moment particulièrement difficile.

 

Sur le même sujet, Vincent Nioré s’est exprimé à l’assemblée générale de la Conférence des Bâtonniers, voir également la déclaration du président du Conseil national des barreaux, Jérôme Gavaudan, quelques jours plus tôt. 

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