Le retour dans le domaine pénal de la notion d’« imbecillitas sexus » est-il souhaitable ?
« Il est temps que leur mort ne soit pas vaine. Il faut que le féminicide soit inscrit dans le Code pénal. Nous ne sommes pas la propriété des hommes », déclare une militante lors d’une manifestation parisienne contre les violences faites aux femmes, organisée le 25 novembre 2023 par les collectifs #NousToutes et Grève féministe[1]. Le concept de « féminicide » sera-t-il intégré dans le droit pénal positif français ? En dépit des récentes déclarations faites par le Ministre de la Justice Gérald Darmanin[2], cela semble fort improbable. Retour sur l’histoire du droit pénal…

Les femmes, « sexe faible » par nature
Dans le droit romain, la prétendue faiblesse de la femme était exprimée par les mots d’imbecillitas ou d’infirmitas. Cette prétendue faiblesse du sexe féminin était – pour les Romains comme pour les Antiques en général – une évidence ne souffrant pas de contradiction, car fondée sur la biologie, l’homme étant, par nature, physiquement beaucoup plus fort que la femme. Or, dans une société valorisant la guerre et les travaux virils, et marquée donc par une conception patriarcale, la virilité était entourée de toute sorte de vertus, tandis que la féminité se trouvait d’emblée disqualifiée (en dehors, bien sûr, de la maternité qui conservait tout son prestige).
Cette tradition s’était poursuivie au Moyen Âge, à la Renaissance et jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Dans le droit positif, on considérait donc comme acquis que la répression de la délinquance féminine devait se distinguer par certaines particularités, généralement inspirées par la magnanimité. Le célèbre juriste André Tiraqueau s’en expliquait ainsi : « La raison est celle que nous avons décrite ci-dessus (…), à savoir que les femmes sont douées de moins de raison que les hommes. (…) Il est donc logique que les femmes soient moins gravement châtiées en cas d’infraction. (…) mais il ne convient pas de leur accorder une totale impunité, comme aux animaux, puisque ceux-ci sont tout à fait privés de raison, tandis que les femmes en ont quelque peu »[3]. Quand même !
Au XVIII siècle, les mœurs s’adoucissent et la violence recule, mais médecins et penseurs se placent toujours dans cette perspective. Diderot, qui pourtant déplorait qu’on sous-estime les qualités des femmes, écrivait que chez elles « les sens dominent, non l’esprit ; elle porte en dedans d’elle-même un organe incoercible [sic !], susceptible de spasmes terribles (…), sa tête parle encore le langage de ses sens, même lorsqu’ils sont morts »[4]. Toutes nymphomanes, et donc incapables de se contrôler !
Au siècle des Lumières, les juristes restent toujours convaincus que cette faiblesse intrinsèque mérite indulgence. Daniel Jousse confirme qu’« en parité de crime, les femmes ne sont pas punies si sévèrement que les hommes »[5], tandis que Muyart de Vouglans mentionne « la fragilité du sexe, ou la timidité et l’inexpérience ordinaire à cet état »[6]. Enfin, Pierre-Jean-Jacques-Guillaume Guyot décrit en ces termes la faiblesse féminine : « Il est rare que les femmes prévoient aussi bien que les hommes les suites des différentes actions qu’elles commettent ; elles sont faciles à persuader ; la crainte a aussi plus d’empire sur elles que sur les hommes ; elles sont plus faibles qu’eux, elles méritent dès lors une certaine indulgence »[7].
Une magnanimité avérée des tribunaux pour les femmes poursuivies
Cette faiblesse d’esprit « naturelle » aux femmes, s’accompagne aussi d’une plus grande sensibilité à la souffrance physique, qui les empêche de supporter la rigueur de certains châtiments. C’est en toute logique donc que les femmes condamnées pour assassinat n’étaient jamais soumises au supplice de la roue (le plus atroce de tous, et très répandu dans toute l’Europe), mais à la potence ou à la décapitation. Certes, sorcières et relapses n’échappaient pas à la peine « purificatrice » du feu, mais généralement elles bénéficiaient d’un « retentum », c’est-à-dire qu’elles étaient étranglées ou transpercées discrètement par le bourreau. Pas de galères non plus pour les femmes (en raison de la promiscuité des bagnes, et aussi de leur moindre force physique), ni même de bannissement en dehors du royaume (pour qu’elles n’accouchent pas à l’étranger). L’enfermement dans des « maisons de force » spécifiques aux femmes (les futures prisons) et la flétrissure (moyen de « marquer » le corps des femmes) remplaçaient le bagne, les galères et l’exil. D’une manière générale, on peut donc considérer que le particularisme sexuel en matière pénale devait tenir compte, certes, de la fragilité d’esprit du « sexe faible », de la différence de force physique mais, aussi, de la pudeur (la justice étant un spectacle public offert à la population, il ne fallait pas que le corps de la femme soit exposé de manière « indécente »).
La magnanimité des tribunaux s’étendait même aux méfaits moins importants : les condamnations à des amendes étaient ainsi moins lourdes pour les femmes (souvent à la moitié de celles dues par les hommes). Il s’agissait, souvent, d’injures publiques, les dames étant considérées comme incapable de « tenir leur langue ».
« Cæsar non supra grammaticos »[8]
Revenons à l’actualité. Le meurtre (qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme), assorti de circonstances aggravantes, permet d’ores et déjà la condamnation à la peine maximale prévue par le droit pénal français, à savoir la perpétuité. On ne voit donc pas en quoi l’adoption d’un crime spécifique de « féminicide » permettrait de durcir les peines encourues dans de tels cas… sauf à réintroduire la peine de mort ? En fait, si on comprend bien les arguments des personnes se disant favorables à cette réforme, il s’agirait (sauf erreur de ma part…) plus d’un changement sémantique que d’une modification du Code pénal. Il est évident que la généralisation du terme de « féminicide » dans le langage courant et, même, dans les statistiques de la criminalité, ne présente en soi aucun inconvénient : c’est son éventuelle introduction dans le droit positif français qui constituerait un extraordinaire retour en arrière, mettant en cause la notion d’égalité devant la loi et consacrant une prétendue « faiblesse » intrinsèque au sexe féminin. Mais est-ce qu’on manifeste pour un changement de la langue ?
Le projet paraissait définitivement enterré depuis qu’une mission d’information parlementaire sur le sujet a rendu ses conclusions, le 18 février 2020. Sa porte-parole, la députée de La République en Marche Fiona Lazaar avait posé la question en des termes fort pertinents : « Cela reviendrait, en quelque sorte, à inscrire dans la loi que les femmes ne sont pas des victimes comme les autres. Et ça aurait aussi pour effet de les poser, dans le droit, comme victimes par essence. Cela n’aiderait pas à faire avancer la cause des femmes »[9].
Comment expliquer donc les propos de Gérald Darmanin, Ministre de la Justice, tenus le 26 décembre 2024, annonçant son souhait d’allonger la durée de la garde à vue de 48 heures à 72 heures « dans les cas de violences sexuelles aggravées et de féminicide » ? C’est peut-être uniquement un problème de sémantique…
[1] L’Humanité, « Manifestation du 25 novembre : le féminicide doit être inscrit dans le code pénal », article du 25 novembre 2023.
[2] Voir sur le sujet du féminicide dans actu-juridique.fr : Audrey Darsonville, Féminicide : ce ne sont pas les textes qu’il faut changer, mais les comportements, 24 février 2020 ; Julien Sapori, Considérations sur le projet de prolongation de la durée de la garde à vue en matière de féminicide, 07 janvier 2025.
[3] André Tiraqueau, De poenis legum ac consuetudinum, Paris, 1559.
[4] Denis Diderot, Œuvres complètes, « Critique de l’essai sur les femmes », Paris, 1875.
[5] Daniel Jousse, Traité de la Justice criminelle de France, Paris, 1771.
[6] Pierre-François Muyart de Vouglans, Les lois criminelles en France dans leur ordre naturel, Paris, 1780.
[7] Pierre-Jean-Jacques-Guillaume Guyot, Répertoire universel et raisonné de la jurisprudence civile, criminelle, canonique et bénéficiaire, Paris, 1784/85.
[8] « César n’est pas au-dessus de la grammaire » (locution latine).
[9] La Croix, « Faire du féminicide une infraction à part serait contre-productif », article du 20 février 2020.
Référence : AJU494758
