Féminicide : « Ce ne sont pas les textes qu’il faut changer mais les comportements ! »

Publié le 24/02/2020

La députée LREM Fiona Lazaar a déposé le 18 février son rapport d’information sur la reconnaissance du terme de féminicide. Elle conclut qu’il ne serait pas pertinent de l’introduire dans le système juridique en raison du caractère incertain de sa définition et des problèmes de preuve qu’il soulèverait. Audrey Darsonville, professeur de droit pénal à l’université Paris Nanterre et spécialiste des violences sexuelles réagit au rapport. 

Actu-Juridique : Etes-vous surprise que la mission d’information juge l’introduction du terme « féminicide » dans le droit non pertinente ?

Audrey Darsonville : C’est une sage conclusion qui va à l’encontre de la très forte pression médiatique. Ce terme n’a aucune existence juridique en France. Pourtant les médias s’en sont emparé, ils en ont généralisé l’usage et se sont ensuite étonnés, voire indignés que la justice ne l’utilise pas. Cette attitude est d’autant plus critiquable qu’ils donnent à ce mot un sens restreint.  Ainsi Le Monde dans son décompte 2019 vise les femmes tuées par leur conjoint, or le féminicide ne recouvre pas que cette hypothèse du meurtre conjugal mais davantage le fait de tuer une femme en raison de son sexe, ce qui est assez différent. L’exemple type du féminicide c’est celui de la tuerie de l’école polytechnique de Montréal en 1989. L’auteur a séparé les hommes et les femmes puis assassiné 14 étudiantes, au seul motif qu’elles étaient des femmes. L’homme qui tue sa compagne est  souvent dans une autre logique. Il ne la tue pas parce qu’elle est une femme mais parce qu’elle est sa femme.

Féminicide : "Ce ne sont pas les textes qu'il faut changer mais les comportements !"
Photo : ©Esthermm/AdobeStock

Actu-Juridique : Le rapport pointe précisément le caractère incertain de sa définition…

AD. : En effet, les associations n’ont pas la même définition que l’ONU qui ne met pas la même chose sous ce terme que les journalistes. Globalement, on observe deux approches. Certaines associations françaises considèrent que le féminicide désigne le meurtre d’une femme, par opposition à l’homicide qui se réduirait au seul meurtre d’un homme. Pour d’autres, le féminicide est le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme. La première définition consiste à créer une loi spécifique à un sexe, ce qui est radicalement contraire à l’universalisme du droit. La deuxième quant à elle soulève un sérieux problème de preuve. D’abord elle fait du mobile un élément constitutif l’infraction alors qu’en principe le mobile est indifférent. Peu importe la raison pour laquelle vous avez tué, le fait est que vous avez tué.  Et cela pose en outre un problème de preuve car il va falloir démontrer que la femme a été tuée parce qu’elle était une femme. Cela revient à compliquer la procédure et donc à moins bien protéger les femmes victimes.

Actu-Juridique : Créer une incrimination spécifique de  « féminicide »  serait donc une fausse bonne idée ?

AD. : Oui dans la mesure où, en plus de ce que l’on a a évoqué précédemment, d’un point de vue symbolique, cela revient à considérer que les femmes, autrement dit la moitié de l’humanité, sont des victimes par nature qu’il faut surprotéger par un texte particulier. On n’est pas une victime, on n’est pas faible par définition pour la simple raison qu’on est une femme. C’est ce que pointe le rapport parlementaire. En revanche, il conclut que l’on peut utiliser le terme sur le terrain social et politique pour attirer l’attention sur ce phénomène et contribuer à mieux le combattre.

Féminicide : "Ce ne sont pas les textes qu'il faut changer mais les comportements !"
Bruno Bleu/AdobeStock

Actu-Juridique : C’est aussi la position du Syndicat de la magistrature. Cependant, est-il judicieux de dire qu’un terme a du sens dans le débat général et pas en droit, au risque de susciter l’incompréhension des citoyens ? 

AD. : C’est tout le problème. Personnellement, je ne suis pas favorable à l’utilisation de ce terme, ni en droit ni ailleurs. D’abord parce qu’il a trop de sens différents pour être utilisable, ensuite parce que ce n’est pas d’un combat symbolique que nous avons besoin mais de mesures concrètes. Pour lutter efficacement contre les violences faites aux femmes, il faut former les policiers et les magistrats, mettre des moyens. Il ne faut plus qu’une femme meurt sous les coups de son conjoint parce qu’au lieu de prendre une plainte on s’est contenté d’enregistrer une main-courante. Jusqu’ici le phénomène a été sous-évalué et les politiques publiques défaillantes. C’est là qu’il faut agir.

Actu-Juridique : Il semble que les circonstances aggravantes permettent déjà de répondre aux objectifs recherchés…

AD. : En effet, le meurtre en raison du sexe est une circonstance aggravante de même que celui perpétré par un membre du couple sur l’autre. On passe de 30 ans de réclusion criminelle à la perpétuité. Il me semble que cela répond parfaitement aux objectifs que l’on poursuit à travers l’usage du mot féminicide. Ce ne sont pas les textes qu’il faut changer mais les comportements.

Propos recueillis par Olivia Dufour

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