Loi Justice : les trois censures et leçons du Conseil constitutionnel
Dans sa décision du 16 novembre relative à la loi Justice, le conseil constitutionnel n’a pas fait que censurer l’activation des smartphones à distance. Il a aussi posé d’importantes réserves d’interprétation et banni les cavaliers législatifs. Les explications détaillées de Me Patrick Lingibé.
La décision n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 était très attendue et intervient dans une actualité compliquée pour celui en est à l’origine et le promoteur. Cette loi de 60 articles adoptée au terme d’une commission mixte paritaire conclusive a été déférée par le groupe parlementaire de la France insoumise devant le Conseil constitutionnel le 16 octobre 2023. C’est la seule saisine qui a été faite. Sept contributions extérieures, dont celle de la Conférence des bâtonniers de France, ont été produites par la voie dite de la porte étroite. Ce mécanisme permet à des acteurs de la société civile au sens large de déposer dans le cadre d’un recours parlementaire une contribution en soutien ou en contestation de la norme législative adoptée. Il faut savoir que par une décision adoptée le 24 mai 2019, le Conseil constitutionnel a décidé désormais de rendre publique toutes les contributions extérieures qu’il reçoit dans le cadre du contrôle a priori des lois qui lui sont déférées en application des dispositions de l’article 6&, deuxième alinéa, de la Constitution. Ces contributions sont laissées à la libre appréciation discrétionnaire du juge constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel a également rendu le même jour la décision n° 2023-856 DC du 16 novembre 2023, Loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire. Ce texte de 14 articles a été transmis par la première ministre au Conseil constitutionnel, qui doit obligatoirement en contrôler la conformité à la Constitution, conformément aux dispositions de l’article 46 de la Constitution, premier alinéa « Les lois organiques, avant leur promulgation, (…) doivent être soumis au Conseil constitutionnel, qui se prononce sur leur conformité à la Constitution. ». Quatre contributions extérieures ont été produites par la voie de la porte étroite par des organisations de magistrats.
Nous limiterons notre présent commentaire à la seule décision rendue se rapportant à la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027. Nous proposons d’aborder celle-ci sous trois angles en recourant à l’anastrophe utilisée par Yoda, personnage fictif de l’univers de Star Wars unanimement reconnu pour sa grande sagesse : nous traiterons en premier lieu de la censure au fond (I), en deuxième lieu de la censure interprétative (II) et enfin en troisième lieu de la censure procédurale (III).
I – LA CENSURE AU FOND : ACTIVER À DISTANCE DES SMARTPHONES POUR CAPTER SONS ET IMAGES INTERDIRE TU DOIS.
Cette disposition permettant d’activer à distance les téléphones portables aux fins de capter des sons et des images était prévue au 46 ° du paragraphe I de l’article 6 de la loi déférée ;
C’était une mesure forte portée par le garde des Sceaux qui souhait mettre en place un dispositif intrusif mais nécessaire car « Les services d’enquête sont aujourd’hui confrontés à des délinquants de plus en plus aguerris, au fait des techniques d’enquête utilisées dans le cadre des procédures judiciaires. » et il s’évince donc la nécessité « d’octroyer aux enquêteurs un cadre juridique pour leur permettre de conduire leurs opérations sans risquer de trahir leur présence, via la possibilité d’activer à distance un appareil connecté du mis en cause afin de procéder à l’enregistrement des images et paroles, ainsi que des données de localisation dans le but de faciliter, d’une part, l’identification des auteurs et d’autre part, la collecte d’indices et de preuves en matière de criminalité organisée. » (Confer étude d’impact du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 établi le 2 mai 2023, pages 137 et 138).
Il est intéressant de se reporter à l’avis sur le projet de loi rendu les jeudi 13 avril et mardi 2 mai 2023 par l’assemblée générale du Conseil d’État qui, s’agissant de l’activation à distance des appareils connectés aux captations de sons et d’images, indique dans sa motivation n° 15, dernier paragraphe :
« Le Conseil d’État constate que si la technique envisagée évite l’intrusion dans des lieux privés en vue de la mise en place de dispositifs de captation, elle porte une atteinte importante au droit au respect de la vie privée dès lors qu’elle permet l’enregistrement, dans tout lieu où l’appareil connecté peut se trouver, y compris des lieux d’habitation, de paroles et d’images concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers. Il admet, au vu des indications données par le gouvernement, notamment dans l’étude d’impact, que le recours à cette technique est aujourd’hui une condition du maintien de l’efficacité des techniques spéciales d’enquête en présence de certaines formes, particulièrement redoutables, de criminalité et de délinquance en bande organisée. Il estime cependant nécessaire afin d’assurer une conciliation équilibrée entre l’objectif de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée, de renforcer les garanties prévues par le projet de loi. Il propose, d’une part, de limiter l’autorisation à une durée maximale de quinze jours renouvelable une fois lorsqu’elle émane du juge des libertés et de la détention et, d’autre part, d’interdire la mise en œuvre de la technique à l’égard des personnes qui résident ou exercent habituellement leur activité professionnelle dans les lieux visés au dernier alinéa de l’article 706-96-1. À défaut, la possibilité d’activer à distance les appareils connectés détenus par ces personnes, qui se trouvent habituellement dans des lieux où la mise en place de dispositifs techniques de captation est exclue, reviendrait à priver cette interdiction d’une grande partie de sa portée. »
Dans sa décision n° 2023-855 DC du 16 novembre, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition par une motivation très claire figurant dans son considérant n° 68 :
« En revanche, l’activation à distance d’appareils électroniques afin de capter des sons et des images sans qu’il soit nécessaire pour les enquêteurs d’accéder physiquement à des lieux privés en vue de la mise en place de dispositifs de sonorisation et de captation, est de nature à porter une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elle permet l’enregistrement, dans tout lieu où l’appareil connecté détenu par une personne privée peut se trouver, y compris des lieux d’habitation, de paroles et d’images concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers. Dès lors, en permettant de recourir à cette activation à distance non seulement pour les infractions les plus graves mais pour l’ensemble des infractions relevant de la délinquance ou de la criminalité organisées, le législateur a permis qu’il soit porté au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi. »
Par contre, dans le même temps, il considère, au regard des garanties offertes notamment par l’intervention obligatoire de l’autorité qui la décide (juge des libertés et de la détention, juge d’instruction saisi sur réquisitions du procureur de la République), du formalisme accompagnant la demande (éléments devant identifier l’appareil concerné) ainsi que la durée (15 jours renouvelable une fois), que « l’activation à distance d’appareils électroniques à des fins de géolocalisation ne méconnaît pas le droit au respect de la vie privée » (considérant n° 67).
C’est la seule disposition de la loi d’orientation et de programmation de la justice qui est véritablement sanctionnée par le juge constitutionnel sur le fond.
II – LA CENSURE INTERPRÉTATIVE : INTERPRÉTER COMME IL T’EST PRESCRIT TU DOIS.
La réserve d’interprétation est une technique qui permet au juge constitutionnel de déclarer une disposition conforme à la Constitution à condition qu’elle soit interprétée ou appliquée de la façon qu’il indique : il impose donc au lecteur son interprétation qui se substitue à toute autre, y compris celle de l’auteur du texte lui-même. Cette modalité interprétative permet de rattraper une disposition qui, sans cette réserve interprétative, devrait être constitutionnellement censurée. La doctrine distingue en général trois types de réserves d’interprétation : celles qui sont dites neutralisantes : elles éludent ainsi les interprétations qui seraient contraires à la Loi fondamentale ; celles qui sont dites directives : elles énoncent une prescription précise à l’égard du législateur ou de toute autre autorité chargée d’exécuter la loi ; celles enfin qui sont dites constructives : ici le juge constitutionnel ajoute des éléments à la loi afin d’assurer sa conformité avec la Constitution.
Ces réserves d’interprétation ne sont pas à négliger et ont une portée forte en application des dispositions de l’article 62, alinéa trois, de la Constitution aux termes desquelles « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».
Il ressort d’ailleurs de la lecture de la décision n° 2004-506 DC du 2 décembre 2004, Loi de simplification du droit, que les décisions rendues par le Conseil constitutionnel sont d’une part, revêtues de l’autorité de la chose jugée propre à toutes les juridictions mais d’autre part, s’agissant particulièrement des réserves d’interprétation, également nanties de l’autorité de la chose dite interprétée.
Il en résulte donc que les réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel dans les motifs de ses décisions ont une portée toute aussi importante que leur dispositif, ce qui nécessairement donne du travail aux autorités juridictionnelles et administratives qui doivent appliquer les décisions constitutionnelles.
Le Conseil constitutionnel valide avec trois réserves d’interprétation importantes des dispositions de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 dénoncées auprès de lui.
La première réserve d’interprétation concerne le 2° du paragraphe I de l’article 6 qui insère au sein du Code de procédure pénale un nouvel article 59-1 visant à permettre la réalisation de perquisitions de nuit dans le cadre d’une enquête de flagrance relative à certains crimes.
Si le Conseil constitutionnel juge que ces dispositions contestées notamment dans la contribution produite par la Conférence des bâtonniers de France opèrent une conciliation équilibrée entre d’une part, la nécessité de rechercher des auteurs d’infractions et d’autre part, la nécessité également de protéger l’exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis, notamment le droit au respect de la vie privée et l’inviolabilité du domicile, c’est sous une réserve d’interprétation expressément formulée dans son considérant n° 28 :
« En premier lieu, d’une part, ces opérations ne peuvent être autorisées que si l’exigent les nécessités d’une enquête de flagrance portant sur un crime contre les personnes. D’autre part, leur réalisation doit être justifiée par la nécessité de prévenir un risque imminent d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique, par l’existence d’un risque immédiat de disparition des preuves et des indices du crime qui vient d’être commis ou par la nécessité de procéder à l’interpellation de la personne soupçonnée afin de l’empêcher de porter atteinte à sa vie ou à celle des enquêteurs. À cet égard, la notion de « risque immédiat de disparition des preuves et des indices du crime qui vient d’être commis » doit s’entendre comme ne permettant d’autoriser une perquisition de nuit que si celle-ci ne peut être réalisée dans d’autres circonstances de temps. »
La deuxième réserve d’interprétation porte sur le 19° du paragraphe I de l’article 6 de la loi déférée qui insère au sein du Code de procédure pénale un nouvel article 142-6-1 qui autorise sous certaines conditions, l’incarcération provisoire d’une personne mise en examen faisant l’objet d’un placement conditionnel sous assignation à résidence avec surveillance électronique afin de permettre la vérification de la faisabilité de cette mesure.
Si le Conseil constitutionnel valide ces dispositions critiquées, c’est sous la réserve d’interprétation que « le juge ne peut décider de l’incarcération provisoire de la personne mise en examen que si cette mesure constitue l’unique moyen de parvenir à l’un des objectifs énumérés à l’article 144 du Code de procédure pénale. » (Confer considérant n° 50).
Il rappelle dans son considérant n° 45 l’un des droits fondamentaux, le droit à la sûreté individuelle, sorte d’habeas corpus français inscrit dans notre droit constitutionnel :
« Aux termes de l’article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. – L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l’autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis. »
Pour rappel, ces trois conditions cumulatives d’adaptabilité, de nécessité et de proportionnalité exigées pour justifier la restriction d’une liberté individuelle se retrouvent également en matière de contrôle des actes relevant de la police administrative et soumis au juge administratif.
La troisième réserve d’interprétation concerne les dispositions contenues dans le 45 ° du paragraphe I de l’article 6 qui insère au sein du Code de procédure pénale un nouvel article 706-79-2, lequel prévoit que, lorsque la compétence de certaines juridictions pénales spécialisées s’exerce sur le ressort de juridictions situées en outre-mer, certains interrogatoires et débats peuvent être réalisés par un moyen de télécommunication audiovisuelle.
Le Conseil constitutionnel apporte une réponse interprétation en y insérant des conditions bien précises.
Dans son considérant n° 78, il pose une restriction pour la mise en œuvre de telles dispositions dérogatoires eu égard « à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat ou la juridiction compétent, ces dispositions ne sauraient s’appliquer que dans des conditions exceptionnelles. » il prend le soin de formuler dans ce considérant sa première réservation interprétative : ces dispositions « doivent dès lors s’interpréter comme n’autorisant le recours à un tel moyen de communication que si est dûment caractérisée l’impossibilité de présenter physiquement la personne devant la juridiction spécialisée ».
Dans son considérant n° 81, le juge constitutionnel ajoute une exigence supplémentaire à la réserve d’interprétation formulée : « En outre, le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle devra être subordonné à la condition que soit assurée la qualité de la confidentialité et la sécurité des échanges. »
En conséquence, le Juge de la rue Montpensier a considéré que la nouvelle rédaction de l’article 706-79-2 du Code de procédure pénale ne méconnaît pas les droits de la défense, la présomption d’innocence et la liberté d’aller et de venir et de problème de constitutionnalité que pour autant les réserves d’interprétation précitées soient respectées par les tribunaux et magistrats concernés.
Cette réserve du juge constitutionnel formulée en deux temps impose que le dispositif validé réunisse deux conditions cumulatives : d’une part, doit être caractérisée l’impossibilité de présenter physiquement le mis en cause devant la juridiction et d’autre part, doit être impérativement garanti le moyen de télécommunication audiovisuelle utilise pour la confidentialité et la sécurité des échanges avec son conseil.
Nous devrons donc nous attendre à un débat vraisemblable sur les circonstances de cette impossibilité de se présenter physiquement puisque l’objectif du ministère de la Justice était de compenser l’éloignement géographique de l’outre-mer par le recours à la Visio conférence, en faisant par là même également des économies de frais de déplacement.
III – LA CENSURE PROCÉDURALE : TOUT RECOURS À UN CAVALIER LÉGISLATIF BANNIR TU DOIS.
Pour rappel, un cavalier législatif peut se définir comme une disposition qui est adoptée par le législateur alors qu’il est étranger par son objet au sujet abordé par le texte soumis et examiné au Parlement.
Il faut savoir que depuis sa décision n° 2006-534 DC du 16 mars 2006, Loi pour le retour à l’emploi et sur les droits et les devoirs des bénéficiaires de minima sociaux, le Conseil constitutionnel a décidé de censurer même d’office des dispositions constituant des cavaliers législatifs.
Il ne s’estime pas lié à ce niveau par l’étendue des contestations formulées par les auteurs de sa saisine : il fait donc de lui-même son marché et retient souverainement les dispositions législatives qu’il considère comme étant des cavaliers législatifs.
L’appréciation par le Conseil constitutionnel pour apprécier un cavalier législatif est à géométrie variable, la notion de lien direct et indirect pouvant être équivoque. Ainsi, le juge constitutionnel a laissé passer dans les lois qui lui étaient déférées certaines dispositions qui pouvait relever très clairement de la qualification de cavalier législatif. C’est sur le fondement de l’article 45, alinéa premier in fine, de la Constitution que se fait cette appréciation, lequel dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. »
Pour comprendre et contextualiser la question des cavaliers législatifs, il convient d’analyser préalablement le projet de loi qui a été déposé initialement sur le bureau du Sénat par le gouvernement le 3 mai 2023. Ce projet comportait à l’origine 29 articles répartis en sept titres, à savoir :
Le titre Ier intitulé « OBJECTIFS ET MOYENS DU MINISTRE DE LA JUSTICE » avec un article 1er approuvant le rapport annexé sur les orientations et la programmation des moyens du ministère de la Justice entre 2023 et 2027.
Le titre II intitulé « DISPOSITIONS RELATIVES À LA SIMPLIFICATION ET À LA MODERNISATION DE LA PROCÉDURE PÉNALE » avec les articles 2 à 5 habilitait le gouvernement à procéder par voie d’ordonnance à une réécriture à droit constant du Code de procédure pénale, modifiait certaines règles portant sur la modification du régime des perquisitions, le statut du témoin assisté, la détention provisoire, l’ouverture d’une information judiciaire, la comparution immédiate, l’assignation à résidence avec surveillance électronique, le recours aux moyens de télécommunication audiovisuelle, la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête, la peine de travail d’intérêt général et la prise en compte des intérêts de la victime dans la procédure pénale.
Le titre III intitulé « DISPOSITIONS RELATIVES À LA JUSTICE COMMERCIALE ET AUX JUGES NON PROFESSIONNELS » comportant les articles 6 à 10 prévoyait une expérimentation relative aux tribunaux des activités économiques et à la mise en place d’une contribution pour la justice économique. Il comportait en outre plusieurs dispositions relatives à la discipline et à la formation des juges consulaires des tribunaux de commerce, aux conditions de candidature et à la discipline des conseillers prud’homaux et à la formation des assesseurs des pôles sociaux des tribunaux judiciaires.
Le titre IV intitulé « OUVERTURE ET MODERNISATION DE L’INSTITUTION JUDICIAIRE » avec les articles 11 à 14 regroupait des dispositions relatives au statut des juristes assistants, assistants spécialisés et attachés de justice, à la composition des conseils de juridiction, au fonctionnement des juridictions disciplinaires des officiers ministériels et des avocats ainsi que des dispositions relatives à l’administration pénitentiaire.
Le titre V intitulé « DISPOSITIONS RELATIVES AU DROIT CIVIL ET AUX PROFESSIONS » avec les articles 15 à 21 avait trait aux fonctions civiles du juge des libertés et de la détention, prévoyait la mise en place d’une plateforme dématérialisée pour l’envoi et la réception de certains actes de procédure, réformait la procédure de saisie des rémunérations et la procédure de légalisation des actes publics étrangers, fixait le niveau de qualification requis pour accéder à la profession d’avocat, modifiait certaines dispositions relatives aux tarifs réglementés des greffiers des tribunaux de commerce et prolongeait une habilitation à réformer par ordonnance le droit de la publicité foncière.
Le titre VI intitulé « DISPOSITIONS DIVERSES RELATIVES AUX JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET FINANCIÈRES ET A LA RESPONSABILITÉ DES GESTIONNAIRES PUBLICS » avec les articles 22 à 26 contenait diverses dispositions en matière de modalités d’accès aux corps de magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel et des magistrats des chambres régionales des comptes, et ratifiait une ordonnance relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics. Il prévoyait également l’application aux magistrats administratifs et financiers d’un accord collectif en matière de couverture complémentaire santé et désignait les juridictions compétentes pour juger certains contentieux de la tarification sanitaire et sociale.
Enfin le titre VII intitulé « DISPOSITIONS TRANSITOIRES ET FINALES » comprenant les articles 27 à 29 prévoyait des dispositions d’application outre-mer, transitoires et finales.
Cette architecture du projet de loi permet ainsi de mettre en exergue les thématiques soumises au législateur par le gouvernement afin de voir le lien direct ou indirect des amendements déposés avec ledit projet. Cependant, dans sa décision n° 2011-640 DC du 4 août 2011, Loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser qu’il s’attachait avant tout au contenu du projet ou de la proposition de loi et que « l’exposé des motifs ou le titre du projet ou de la proposition, s’ils constituent des indices, ne constituent que des indices du contenu matériel des dispositions ».
La décision n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023 sanctionne au titre du vice de procédure six dispositions au motif qu’elles constituent des cavaliers législatifs qui n’ont aucun rapport direct ou indirect avec le texte soumis initialement au Parlement.
Le premier cavalier législatif sanctionné et certainement le plus médiatisé a trait à la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. Il concerne le paragraphe IV de l’article 49 de la loi déférée qui insérait dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques un article 58-1 visant à prévoir les conditions dans lesquelles est assurée la confidentialité des consultations juridiques réalisées par un juriste d’entreprise.
Dans son considérant n° 147, le Conseil constitutionnel considère que ce paragraphe IV de l’article 49 sur la confidentialité des avis des juristes d’entreprise a été introduit en première lecture sénatoriale et le considère comme étranger à l’objet du texte soumis au Parlement pour deux raisons. En premier lieu, « il ne présente pas de lien, même indirect, avec les dispositions de l’article 19 du projet de loi initial, relatif au diplôme requis pour accéder à la profession d’avocat. En deuxième lieu, « Il ne présente pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat. »
Le deuxième cavalier législatif invalidé porte sur la gestion du fichier des traitements d’antécédents judiciaires. L’article 4 modifiait l’article 230-8 du Code de procédure pénale afin de prévoir plusieurs adaptations portant sur la gestion du fichier des traitements d’antécédents judiciaires.
Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles de l’article 3 du projet de loi initial, et en particulier avec celles du 1 ° de son paragraphe I autorisant, sous certaines conditions, les perquisitions de nuit.
Elles ne présentent pas non plus de lien avec celles de l’article 2 du projet de loi initial qui autorisaient le gouvernement à procéder, par voie d’ordonnance, à la réécriture de la partie législative du Code de procédure pénale.
Le troisième cavalier législatif porte sur de la sémantique. L’article 5 modifie plusieurs articles du Code de procédure pénale afin de remplacer le terme « race » par ceux de « prétendue race ».
Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles précitées de l’article 2 du projet de loi initial.
Le quatrième cavalier législatif concerne la justice pénale des mineurs. L’article 8 modifiait l’article L. 241-2 du Code de la justice pénale des mineurs afin d’autoriser la transmission des rapports éducatifs et des documents individuels de prise en charge entre les personnels des services et établissements de la protection judiciaire de la jeunesse et du secteur associatif habilité.
Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles précitées de l’article 3 du projet de loi initial, et en particulier avec celles du 5 ° de son paragraphe I relatif à l’assignation à résidence avec surveillance électronique.
Le cinquième cavalier législatif porte sur l’assistance de l’avocat pour des personnes non physiques. L’article 10 modifiait l’article 41‑1‑2 du Code de procédure pénale afin de rendre obligatoire l’assistance des personnes morales par un avocat pour la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public.
Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles précitées de l’article 3 du projet de loi initial, et en particulier avec celles du 5 ° de son paragraphe I relatif à l’assignation à résidence avec surveillance électronique.
Le sixième cavalier législatif porte sur la convention judiciaire de règlement financier amiable. L’article 20 modifie l’article 41-1-3 du Code de procédure pénale relatif à la procédure de convention judiciaire d’intérêt public en matière environnementale, afin de prévoir que le suivi des obligations qui peuvent être imposées au titre d’une telle convention est assuré sous la direction du procureur de la République.
Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles du paragraphe IV de l’article 4 du projet de loi initial qui prorogeait une expérimentation relative à la réalisation du travail d’intérêt général au profit de sociétés poursuivant des objectifs sociaux et environnementaux, ni avec celles de son article 5 améliorant la prise en compte des intérêts de la victime dans la procédure pénale. Ces dispositions ne présentent pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau du Sénat.
Toutes les dispositions résultant de ces cavaliers législatifs ont été jugées contraires à la Constitution uniquement parce qu’elles ont été adoptées en violation de règles purement de forme et de procédure.
Elles ne préjugent en conséquence nullement de la conformité de leur contenu aux autres exigences constitutionnelles de fond.
Que celles et ceux qui crient victoire ne se réjouissent pas trop vite car il est quasiment certain que ces dispositions législatives présentement déclarées cavalières referont leur apparition tôt ou tard dans un texte où la question du lien direct ou indirect avec son objet ne se posera pas.
Référence : AJU402603