Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023 : l’irrésistible ascension du parquet face au siège

Publié le 19/01/2024

La loi d’orientation et de programmation de la justice du 20 novembre 2023 accroit les pouvoirs du parquet au détriment du siège. La magistrate Valérie-Odile Dervieux analyse les enjeux attachés à cette évolution. 

Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023 : l’irrésistible ascension du parquet face au siège
Photo : © Xiongmao/AdobeStock

Un sondage CSA pour CNews le 30 novembre 23 rappelle que la moitié des Français ne fait toujours pas confiance à la justice hexagonale .

Pourtant les titres des réformes, les évolutions budgétaires, le choix de recodifier le Code de procédure pénale promettent simplification, rapidité et restauration de la confiance notamment dans le champ du pénal.

La recherche de « solutions » à la crise traversée par la justice pénale, décrite par le rapport du comité des États Généraux de la Justice, reste donc un objectif à atteindre pour la majorité de nos concitoyens.

Que nous apporte la dernière réforme ?

La loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 et sa circulaire d’application du 7 décembre 2023, illustrent notamment, à cet égard, 3 grandes tendances qui peuvent sembler contradictoires avec les objectifs poursuivis :

*L’accroissement des pouvoirs du parquet ;

*L’accroissement de la charge du juge d’instruction par la complexification de la procédure de l’instruction préparatoire et la multiplication des recours possibles ;

*L’adaptation du droit interne au droit et à la jurisprudence européenne.

Dans ce premier « épisode », nous vous proposons, au travers de deux innovations, d’illustrer la montée en puissance du parquet dans les orientations procédurales, au détriment d’un juge du siège de plus en plus « cornerisé ».

L’inexorable accroissement des pouvoirs du parquet ?

Outre notamment l’allongement des délais de l’enquête préliminaire, mesure déjà largement commentée[1] et précisée dans la circulaire du 7 décembre 2023 et de nouvelles possibilités d’investigations (géolocalisation, perquisition de nuit), arrêtons-nous un instant sur deux mesures qui n’ont pas en l’état appelé l’attention de la doctrine .

Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité « forcée » ?

Le parquet dispose déjà en application de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 « pour la confiance dans l’institution judiciaire » et de son décret n° 2022-546 du 13 avril 2022, de possibilités élargies et assouplies de recours et de modalités de mise en œuvre à la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC)[2] : extension des possibilités de réorientation d’une affaire vers une procédure de CRPC, d’ordonnance de renvoi aux fins de mise en œuvre d’une CRPC et simplification des formalités attachées à la procédure de CRPC

La possibilité de recourir à une procédure de CRPC devant la cour d’appel a néanmoins été limitée par la Cour de cassation malgré les velléités du parquet, au cas où le prévenu relève appel d’un jugement de condamnation prononcé par le tribunal correctionnel à l’exclusion de l’appel du refus d’homologation d’une CRPC (Crim. 6 juin 2023, F-B, n° 22-86.165.).

En effet le législateur n’a pas prévu le recours contre une ordonnance de refus d’homologation : en l’absence d’excès de pouvoir, l’ordonnance de refus d’homologation n’est pas susceptible de recours.[3]

Face à cette impossibilité, la loi du 20 novembre 2023 a créé, non pas une possibilité de recours contre un refus d’homologation, mais une « seconde chance ».

Le procureur de la République peut en effet désormais ressaisir, en cas de refus d’homologation d’une CRPC, le juge délégué aux fins d’homologation. C’est le nouvel article 495-12 CPP[4] ;

On peut légitimement penser que le procureur utilisera cette « seconde chance » pour adapter sa proposition aux réserves formulées dans le cadre du premier refus d’homologation et ainsi proposer notamment une nouvelle peine également acceptée par le mis en cause.

Néanmoins, le texte ne précise ni la nécessité d’un élément nouveau, ni délai de nouvelle présentation, ni l’obligation de soumettre la nouvelle demande d’homologation au même juge délégué.

Dans ces conditions, l’apparence d’un risque de permettre au parquet, de choisir « son juge » (l’ordonnance de roulement fixe les noms et dates d’intervention des juges délégués), notamment dans les « grandes » juridictions où les enjeux peuvent être les plus importants au regard de compétences nationales ou régionales, ne saurait être écartée.

De même, on ne peut que s’interroger sur les modalités de mise en œuvre de ce droit « d’insister » en cas de CRPC déferrement.

Comparution immédiate « forcée » ?

La loi du 20 novembre 2023, permet également au procureur de la République, renvoyé « à mieux se pourvoir » par la juridiction de comparution immédiate au visa de l’art 397-2  al 2 CPP (cas où la juridiction estime que « la complexité de l’affaire nécessite des investigations supplémentaires approfondies ») de représenter, sans aucune condition (délai, composition de la juridiction, éléments nouveaux) devant ladite juridiction, la même procédure sans que cette dernière ne puisse à nouveau refuser, de la juger dans le même cadre et alors mêmes que les motifs initiaux de refus peuvent perdurer.

Le nouvel al 4 de l’art 397-2 CPP dispose en effet :

« Dans le cas où le tribunal est à nouveau saisi, dans les conditions prévues au présent paragraphe, d’une affaire dans laquelle il a fait application du deuxième alinéa du présent article, il ne peut la renvoyer à nouveau au procureur de la République. »

De nouvelles questions se posent alors :

Quelles incidences pour l’audiencement des comparutions immédiates déjà objet de débats[5] ?

Quelles incidences sur la nature et la complexité des procédures adressées en comparution immédiate ?

Quel taux d’appel ?

On le voit la loi du 20 novembre 2023 poursuit le choix d’un nouvel équilibrage en faveur de procédures « rapides » portées par le parquet.

Doit-on y voir un affaiblissement corrélatif du juge de siège, voire les prémisses d’un risque ou d’une apparence de risque d’atteinte à son indépendance ?

Le conseil constitutionnel n’a pas, en l’état, été saisi spécifiquement de ces questions.

 

[1] Loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 : volet pénal (première partie : enquête et instruction.

Dalloz actualités, Théo Scherer, Maître de conférences à l’Université de Caen Normandie, 29 novembre 2023.

[2] (BOMJ) Publication d’une circulaire sur la CRPC.

[3] CRPC et ordonnance de refus d’homologation : conformité à la Constitution Cons. const. 18 juin 2021, n° 2021-918 QPC.

[4] « Lorsque la personne déclare ne pas accepter la ou les peines proposées ou que le président du tribunal judiciaire ou son délégué rend une ordonnance de refus d’homologation, le procureur de la République saisit, sauf élément nouveau, le tribunal correctionnel selon l’une des procédures prévues par l’article 388 ou requiert l’ouverture d’une information. Le procureur de la République peut toutefois, à une seule reprise, saisir à nouveau le président du tribunal judiciaire ou le juge délégué par celui-ci d’une requête en homologation d’une peine en application de l’article 495-8, sous réserve de son acceptation par la personne qui reconnaît les faits qui lui sont reprochés ».

[5] Voyage judiciaire « au bout de la nuit ? » VO Dervieux, Actu Juridique 14/08/2023.

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