Maud Escriva de « Victimes et Avenir » : les familles doivent être assistées d’un avocat spécialisé
Ancien agent d’assurances, Maud Escriva a créé en Seine-et-Marne une association d’aide aux victimes d’accidents corporels. Sans subventions, elle intervient partout en France, jusqu’en Guyane. Elle a constitué un réseau d’avocats spécialisés en cette matière particulière, pointue. Le 10 octobre, elle a été reçue à l’hôtel de Matignon pour présenter ses projets au service juridique de la Première ministre, Elisabeth Borne.
Actu-Juridique : En quoi consiste votre démarche ? Pourquoi avoir créé Victimes et Avenir* ?
Maud Escriva : Nous aidons ceux qui, brutalement, sont confrontés à un sinistre corporel. J’étais courtier en assurances quand le mari d’une amie est devenu paraplégique après un accident de moto. Je me suis aperçue que, si le « matériel » est facilement pris en charge, il faut des compétences pour gérer le droit à l’indemnisation, expliquer comment les choses vont se dérouler, engager ou pas une procédure judiciaire puis, le cas échéant, choisir un avocat. J’ai donc créé l’association en 2016 pour assister et protéger les gens, y compris sur le plan économique. J’ai suivi un cursus universitaire en droit d’expertise médico-légale, construit le projet avec les forces de l’ordre et des magistrats. Et, depuis six ans, je harcèle le gouvernement. J’ai proposé aux ministères de l’Intérieur et de la Justice un livret d’informations très simples, à destination des victimes d’accidents de la circulation. La Chancellerie a donné son feu vert. J’aimerais qu’il soit remis aux familles par la police, la gendarmerie, le personnel hospitalier.
AJ : Vous avez été reçue par la conseillère Justice d’Elisabeth Borne et un officier de gendarmerie. Quel était l’objet de cet échange ?
Maud Escriva : Je crois avoir mis le doigt sur un vrai problème de prise en charge des victimes d’accidents corporels de la route, qui peuvent être confrontés à des acteurs peu scrupuleux, des marchands de malheur. Certains ont parfois affaire à des sociétés de recours, une activité légale dans le cadre du sinistre matériel, mais illégale dans le domaine du corporel. Mes interlocuteurs à Matignon n’en avaient pas connaissance. J’ai aussi évoqué la situation des caisses de l’Assurance maladie, leur manque à gagner de 80 millions par an faute de recours contre tiers (l’auteur responsable ou le plus souvent son assureur) des dépenses supportées par la Sécurité sociale (1). Parmi nos requêtes, il y a enfin le souhait que soient systématiquement données au plaignant les coordonnées de l’assureur et le numéro de contrat de la partie adverse. Et j’espère obtenir des modifications du Code de procédure pénale pour que les victimes accèdent facilement aux rapports toxicologiques et d’autopsie. Pour l’instant, il faut les demander à l’enquêteur, qui est obligé de faire un avis à parquet. Lequel dit oui, parce que le motif est légitime, mais on perd un temps fou.
AJ : Concrètement, comment aidez-vous les familles en détresse ?
Maud Escriva : Par exemple, le papa d’une jeune fille, grièvement blessée, passagère d’une voiture, se posait mille questions. Le conducteur décédé n’avait pas commis d’infraction. Je l’ai dirigé vers les gendarmes chargés des investigations. Il a obtenu des réponses. Désormais, il faut obtenir une provision sur indemnisation, qui n’est pas systématiquement allouée. J’ai le dossier d’une famille qui, deux ans après le décès de son fils, n’a même pas perçu le remboursement des frais d’obsèques. Elle n’a pas eu un euro. Par méconnaissance du droit, certains ignorent disposer de garanties telles la prise en charge d’un prêt, etc. Et on les soutient pendant la procédure, souvent longue.
AJ : D’où l’importance du réseau d’avocats que vous avez constitué ?
Maud Escriva : Oui. Ils sont mes outils de travail. Tous les dossiers ne sont pas judiciarisés. Mais s’il y a infraction pénale, un mis en cause, il faut que les familles soient assistées d’un spécialiste en indemnisation et dommage corporel. Je rencontre les avocats que je sollicite, j’échange autour de leurs valeurs, leur engagement humain, leur compétence et les honoraires. J’ai réussi à ce que tous appliquent les mêmes. Ni surprise ni surfacturation ! Et ils n’engagent pas une procédure qui n’a aucune chance d’aboutir et qui serait destructrice.
AJ : Tout cela sans subventions ?
Maud Escriva : Le conseil départemental m’a versé 1 000 € en 2022. La communauté d’agglomération du Pays de Meaux en a donné 500, soit le montant annuel de l’assurance responsabilité civile de l’association. Nous fonctionnons avec des bénévoles et des donateurs. Parfois, j’ai envie d’arrêter. Puis je me lève le matin en sachant que je vais être utile. Quoi de mieux ?
AJ : Vous avez accompagné une mère dont le fils a été tué, à Meaux, par un chauffard (notre article du 8 septembre ici). Jusqu’à l’audience. N’est-il pas difficile d’être le réceptacle quotidien de tant de douleurs ?
Je ne me laisse plus emporter par mes sentiments. J’apporte des solutions, c’est très satisfaisant. Quand il faut inhumer son enfant et que l’on n’a pas d’argent, je vais chercher l’argent. Ou j’explique la loi Badinter aux pompes funèbres. J’ai fait le choix du cœur, pas de la raison qui aurait été de garder mon portefeuille de courtage.
* Victimes et Avenir, Nanteuil-les-Meaux, téléphone : 07 84 33 85 70
(1) Voir à ce sujet le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales.
Référence : AJU396908