Procès des viols de Mazan : Des voix s’élèvent de toute part pour appeler à la retenue et à la dignité
Comme si le procès des viols de Mazan n’était pas assez sensible et douloureux, voici que s’y invite une affaire dans l’affaire, celle de la communication de certains avocats de la défense, notamment sur les réseaux sociaux. Depuis lundi, les déclarations officielles se multiplient pour rappeler chacun à ses devoirs.
Elle s’appelle Nadia El Bouroumi, est inscrite au barreau d’Avignon et défraie la chronique depuis plusieurs jours. Motif ? Des vidéos postées sur les réseaux sociaux dans lesquelles cette avocate d’un des accusés du procès de Mazan – où l’on juge 51 hommes accusés d’avoir violé Gisèle Pélicot sous soumission chimique, à l’instigation de son mari – commente les journées d’audience. Dans la région, elle est connue depuis longtemps pour sa communication de type influenceuse qui flirte avec les limites de la déontologie et les engagements attachés au serment « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». Dans l’une d’elles, elle se filme dans sa voiture sur l’air de « Wake me up before you go-go » un tube du groupe Wham sorti en 1984 dont le titre signifie « Réveille moi avant de partir ». Au pire une bien sinistre plaisanterie, au mieux une terrible maladresse alors que la victime a été violée des dizaines de fois dans son sommeil. Elle se défend de toute allusion à cela, n’ayant voulu, selon elle, qu’inviter ses détracteurs à se réveiller.
L’indignation dans les rangs des avocats
Dans les rangs de la profession d’avocat, l’indignation est largement partagée. Non seulement en effet cette communication en mode no limit risque d’entacher la communauté des robes noires, mais en plus elle ne contribue pas à la sérénité des débats dans ce procès hautement radioactif où la gravité des faits bouleverse l’opinion. Au point que la victime a droit à des applaudissements et des haies d’honneur lorsqu’elle entre ou quitte la salle d’audience pour saluer son courage d’avoir refusé le huis clos. Cela ne va pas non plus dans le sens d’une amélioration des relations souvent tendues entre avocats et magistrats. Certains cependant pointent son parcours atypique – mariée très jeune, battue, cette ancienne coiffeuse a réussi à reprendre ses études et à devenir avocate – pour dénoncer ce qu’ils analysent comme un mépris de classe teinté de parisianisme. D’autres avancent que la liberté de parole de l’avocat est absolue. Ils ne sont cependant pas majoritaires, loin de là.
Quant à l’avocate, elle a fini par s’excuser tout en indiquant déposer plainte contre ceux qui la harcèlent. Elle est en effet la cible de menaces contre elle mais aussi sa famille.
L’appel des chefs de cour à « maintenir un climat propice à la manifestation de la vérité »
Si elle concentre les critiques sur ses excès réels ou supposés, elle n’est pas la seule dont le comportement est pointé du doigt. La défense qui a la mission difficile de rappeler la présomption d’innocence et la nécessité de démontrer les éléments constitutifs de l’infraction est souvent critiquée, parfois par incompréhension, parfois à raison de ses excès. Le président de la cour criminelle est soumis à une pression énorme dans la tenue de son audience, la justice accusée de faire subir à la victime des interrogatoires insupportables qui donnent le sentiment que c’est elle la coupable.
C’est dans ce contexte très inflammable que les chefs de cour ont jugé bon de réagir. Le 23 septembre, le procureur général de la cour d’appel de Nîmes a publié sur son compte Twitter un communiqué qui ne vise personne, mais procède à un rappel des principes : présomption d’innocence, contradictoire, nécessité d’un climat propice à la manifestation de la vérité et au respect du droit des parties ». Qui visent-ils ? Bien malin qui saurait le dire. « Si c’étaient les magistrats de la cour, s’agissant de la conduite des débats, il suffisait de leur parler en tête à tête, subodore un avocat, c’est donc d’autres personnes ». Les avocats ?
Procès Pélicot #Pelicot : Communiqué des chefs de la cour d'appel de Nîmes ⬇️ pic.twitter.com/H5ibXK99i2
— Procureur général près la cour d'appel de Nîmes (@PG_CA_Nimes) September 23, 2024
Préserver la dignité de la profession et la confiance du justiciable
Plusieurs fois interpellé publiquement, le bâtonnier d’Avignon Philippe Cano a réagi à son tour, en publiant un communiqué lundi également, dans lequel il rappelle le principe de la liberté d’expression de l’avocat, dans et hors du prétoire, puis précise aussitôt le fait que « les règles déontologiques préservent la dignité de la profession et la confiance du justiciable ». S’il ne se prononce pas sur le cas de l’avocate, c’est, explique-t-il que le pouvoir disciplinaire relève du conseil régional disciplinaire de Nîmes. Rappelons quand même qu’il est autorité de poursuite, avec le procureur général, c’est donc bien à lui que revient la charge d’évaluer s’il y a ou non un problème justifiant le renvoi d’un avocat devant l’instance de discipline.
— Delphine VERRIER (@delphverrier) September 24, 2024
S’agissant enfin plus précisément du procès Pélicot, le bâtonnier insiste sur la nécessité que « règnent la sérénité des débats, la décence des propos et des comportements de chacun, pendant et après l’audience ». À ceux qui s’attendraient à une réaction immédiate, ce ne sera certainement pas le cas. « Si un ou plusieurs avocats de la défense étaient visés en plein procès par une action disciplinaire, cela ferait tout voler en éclats et contraindrait à suspendre les débats, avec les répercussions que l’on imagine dans une affaire aussi sensible » commente un professionnel de la justice. Si procédure il y a, ce sera donc après, et l’opinion en sera informée puisque c’est public, contrairement à ce qu’on croit souvent. Il s’agira alors d’apprécier le fond et la forme de la communication critiquée, à l’aune des principes essentiels de la profession, en tenant compte du libre exercice de la défense. Et de ses limites…
« Il y a des procès qui font avancer la société »
Les autorités officielles ne sont pas les seules à appeler au calme et à la retenue dans ce dossier. Sur son compte Linkedin, l’Association française des femmes juristes, a publié lundi un long communiqué dans lequel elle déclare notamment :
« Nous avons une responsabilité collective à ce que ce procès se déroule dans de bonnes conditions »
« On ne peut pas tout dire, on nous apprend à la faculté puis à l’école d’avocat à nous comporter, à tenir notre serment, à travailler à la paix sociale, explique sa présidente Marie L’Hermite, avocate au barreau de Paris. Au-delà de notre serment, on nous enseigne aussi la modération, on sait ce qu’est l’abus de droit. La liberté d’expression de l’avocat est absolue, certes, mais dans le prétoire ; il ne nous appartient pas de juger. C’est aussi ça notre devoir d’humanité ». Autant de valeurs remises en cause, aux yeux de l’association, par les publications de l’avocate sur Tik Tok. Mais c’est aussi un problème au regard de la défense des femmes. « Ce procès est très important dans la lutte contre le sexisme, le patriarcat. On a pu lire par exemple que c’était sa femme et qu’il pouvait donc en faire ce qu’il en voulait. On ne peut plus entendre ça. Nous avons une responsabilité collective à ce que ce procès se déroule dans de bonnes conditions et que la justice soit bien rendue » met en garde cette avocate.
« Les arguments les plus glauques se succèdent ad nauseam »
Plusieurs figures de la profession se joignent à ces appels à la raison, dont par exemple celle de Me Christophe Bigot, avocat au barreau de Paris, qui a posté sur Linkedin un message dans lequel il s’inquiète : « Les arguments les plus glauques se succèdent ad nauseam jour après jour, dans une sorte de surenchère de la défense, qui finit par rejaillir sur toute la profession ». C’est d’autant plus notable que ce spécialiste du droit de la presse est un fervent défenseur de la liberté d’expression.
Et de préciser : « Interrogé il y a une trentaine d’années sur le point de savoir s’il aurait pu défendre les terroristes d’Action Directe, Jean-Denis Bredin avait donné cette réponse simple et pleine de sagesse : il n’y pas d’accusé indéfendable, il n’y a que de mauvais arguments. Si certains pouvaient se fixer cette règle de conduite, la défense de leurs clients n’en pâtirait pas, et l’estime de tous pour les auxiliaires de justice que nous sommes en sortirait renforcée, aussi bien dans les enceintes judiciaires qu’ailleurs ».
Délicatesse, modération, dignité
La question doit être traitée avec doigté pour ne pas réduire de façon indue la liberté d’expression de l’avocat, laquelle doit demeurer la plus large possible, en particulier dans l’exercice des droits de la défense. « Dans le prétoire, c’est l’immunité d’audience qui assure à l’avocat une liberté quasiment totale et le met à l’abri des poursuites pénales, sauf exceptions très précises. Sa liberté est aussi très grande hors du palais de justice, comme l’a acté la CEDH dans l’arrêt Morice » rappelle Roland Rodriguez, président de la commission règles et usages du Conseil national des barreaux (v. sur l’arrêt Morice cette communication du CNB ). On se souvient dans l’affaire Bettencourt que Georges Kiejman, avocat de Liliane Bettencourt, avait accusé dans la presse Olivier Metzner, conseil de sa fille, d’être à l’origine des écoutes. Ce qui lui avait valu un procès en diffamation. Le Tribunal de grande instance de Paris, dans son jugement du 20 octobre 2010, avait prononcé la relaxe en alléguant du fait que « si les propos de Georges Kiejman manquent incontestablement de mesure alors qu’ils ne reposent, pour l’essentiel, que sur des déductions soutenues par sa propre conviction, ils émanent d’un avocat passionné qui consacre toute son énergie à la défense de sa cliente et ne saurait restreindre sa liberté d’expression au seul motif qu’il évoque sa cause devant des journalistes au lieu de s’adresser à des magistrats ».
« Mais cette liberté, précise Roland Rodriguez trouve toujours sa limite dans le respect des principes essentiels contenus dans l’article 3 du code de déontologie, et en particulier, s’agissant de l’usage des réseaux sociaux, la délicatesse, la modération et la dignité »
En clair, on assiste à un conflit frontal entre la retenue imposée à l’avocat et l’outrance qui conditionne la réussite sur les réseaux.
L’affaire rappelle un autre dossier, il y a plusieurs années sur Twitter. Deux magistrats avaient commenté en direct (mais en prenant soin d’anonymiser l’affaire pour la rendre impossible à identifier) un procès auquel ils participaient, l’un en tant qu’assesseur l’autre en qualité d’avocat général. Ils avaient été sévèrement sanctionnés par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). « Il y a une différence notable entre l’avocat et le magistrat sur ce point c’est que le premier a vocation à s’exprimer, y compris dans les médias, on ne peut donc pas comparer les deux situations », précise Roland Rodriguez.
Vergès, nu dans sa baignoire
L’utilisation des médias est toujours une prise de risque pour un avocat. Certains ne veulent pas s’aventurer ce terrain dangereux, d’autres au contraire considèrent qu’il entre dans leur mission de défendre aussi auprès de l’opinion publique, surtout si le client est célèbre et donc susceptible de faire l’objet d’une condamnation sociale. Si ce sont les réseaux sociaux qui interrogent aujourd’hui, il fut une époque, pas si éloignée, où l’avocat devait solliciter l’accord de son bâtonnier pour répondre à une simple interview dans la presse. La légende raconte à ce sujet que Jacques Vergès, qui avait sollicité cette autorisation, s’entendant répondre « vous me demanderiez de vous faire photographier nu dans votre baignoire je dirais oui, mais pas ça » se fit donc photographier dans les conditions autorisées par son bâtonnier.
En 1987, Maître Vergès fut convoqué par le bâtonnier qui lui reprocha sa médiatisation : "Et pourquoi pas dans Paris Match dans votre salle de bain pendant qu'on y est ?"
Réponse de Vergès : pic.twitter.com/ljwoiqEXaj
— Curiosités Juridiques (@CJuridiques) July 17, 2019
L’avocat est-il condamné à céder aux diktats des médias ? Pas si sûr. Dans une affaire tout aussi sensible que les viols de Mazan, celle du meurtre de la petite Lola, l’avocat de la suspecte avait fait sensation en octobre 2022 en refusant de répondre à la plupart des questions des journalistes au nom du respect de la déontologie. Sa prestation avait été largement saluée, tant par ses confrères que par le public, montrant ainsi que contrairement à ce qu’on suppose parfois, le respect des règles non seulement ne pénalise pas mais peut bien être la meilleure des solutions. Pour tout le monde.
Référence : AJU468928