Quitter sa robe d’avocat…

Publié le 18/01/2023

De plus en plus d’avocats confient qu’ils envisagent de quitter la robe. Le travail est devenu trop rude en raison du manque de moyens de la justice, les cotisations s’alourdissent, les honoraires ne rentrent pas suffisamment. Une situation que notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier, juge inquiétante. 

Quitter sa robe d'avocat…
Photo : ©AdobeStock/Patricia W

 Je vois de plus en plus autour de moi de confrères qui me disent qu’ils pensent à quitter la robe.

Raccrocher la robe, c’est renoncer à être avocat. Une décision tellement difficile à prendre.

Derrière ce choix, beaucoup de femmes…

 La profession d’avocat souffre. C’est une évidence. Les femmes plus encore que les hommes.

 En 2019, Marie-Aimée Peyron, alors Bâtonnier  de Paris (à l’époque 3e femme à exercer ce mandat à Paris), faisait le constat suivant : « aujourdhui, sur les 30 000 avocats parisiens, 54 % sont des femmes. Or elles perçoivent en moyenne 51 % de rémunération en moins que les hommes ! De plus, ces avocates sont près de 60 % à être collaboratrices ; seules 20 % sont associées et le plus souvent de cabinets dits de droits des personnes. Celles qui travaillent dans des départements de banques ou de finances ne représentent quant à elles que 4 % de la profession ».

 Au 1er janvier 2023, 32.112 avocats sont inscrits au barreau de Paris : 17.598 sont des femmes et 14.514 sont des hommes. Il y a 8.329 collaboratrices et 4.681 collaborateurs. Cela veut dire que 47 % des avocates exercent leur profession dans le cadre d’un contrat de collaboration. Contre seulement 32 % des avocats. Pourquoi ?

La justice va craquer et les avocats aussi

 En 2019, on apprenait que 30 % d’avocates quittaient la robe avant d’avoir atteint 10 ans de carrière. Une réalité affligeante mais aussi inquiétante qui reste d’actualité.

 Sur les groupes Facebook, dans les couloirs des palais, lors des dîners, un constat très souvent partagé : lassitude morale, épuisement physique. Beaucoup de confrères, hommes et femmes confondus, n’en peuvent plus.

 Des juges inaccessibles, des procédures alourdies par des demandes aussi ridicules qu’insupportables (le décret Magendie notamment), des délais de plus en plus longs, des audiences de plus en plus courtes. Des cotisations qui augmentent et des charges de fonctionnement de plus en plus lourdes.

 Des clients qui sont en colère, qui ne comprennent plus, qui n’acceptent plus.

 La justice va craquer, et les avocats aussi.

 Je vous donne un exemple.

 Lorsqu’un avocat plaide un dossier, il a, en sa possession, un certain nombre de pièces qu’il doit communiquer aux parties. En matière civile, il doit les communiquer à l’avocat de la partie adverse : c’est ce qu’on appelle le principe du « contradictoire ». Pour pouvoir plaider l’avocat détient évidemment un exemplaire de ses pièces entre ses mains pour inviter le juge à être attentif à ses éléments. La justice, c’est la preuve : il faut prouver ce que l’on dit. Toujours, tout le temps. Ce dossier est appelé « dossier de plaidoirie ». Il peut parfois être volumineux.

 Lorsque j’ai commencé à exercer en 2009, les choses étaient simples : je venais à l’audience avec mon dossier, imprimé, rangé et trié que je remettais au juge après avoir plaidé. Je n’avais donc qu’un seul dossier. Qui m’était renvoyé ensuite par le greffe.

 L’article 912 du Code de procédure civile est venu imposer aux avocats de déposer, au moins 15 jours avant l’audience à la cour d’appel, leur dossier de plaidoirie.

Je vous explique ce que cela donne en pratique.

Quinze jours avant une audience à la cour d’appel, un avocat doit donc se déplacer avec son dossier pour le déposer au greffe. Il peut aussi l’envoyer par courrier ou par la navette du tribunal ce qui suppose quand même un déplacement.

Puis, lors de l’audience de plaidoirie, soit il n’a pas de dossier de plaidoirie et plaide sans.

Soit il en a imprimé un second.

Mais souvent il ne plaide tout simplement pas car la procédure est écrite et que de plus en plus de magistrats imposent de « faire un dépôt de dossier », et donc de ne pas plaider.

Tout est devenu une souffrance

 En matière sociale à la cour d’appel de Paris, les temps de plaidoirie sont limités par les magistrats. Les avocats ont été obligés, petit à petit, ce qu’ils ont accepté, de ne plus plaider et de « déposer leurs dossiers ».

 Dans certains palais de justice, la plaidoirie est devenue une souffrance.

Une souffrance de l’organiser, puisque les avocats doivent se déplacer 15 jours avant l’audience pour remettre un dossier qui ne sera certainement pas complètement lu avant l’audience.

Une souffrance de l’entendre puisque les magistrats, pressés d’écluser les stocks, ne veulent plus nous écouter.

 C’est devenu, pour certains avocats, une souffrance tout court : et ça, c’est plus inquiétant.

 La dernière idée en date de notre Garde des Sceaux pour sauver la justice du naufrage : « structurer les écritures des avocats ». C’est-à-dire, en langage courant, imposer à ses anciens confrères de moins écrire, de faire des synthèses de synthèses. Faire court, bref, rapide.

 Pourquoi ? Parce que certains magistrats en ont marre de nous lire. Après en avoir eu marre de nous entendre. Après le fast-food, la fast-justice.

Ils vous diront qu’ils sont surchargés, qu’ils n’ont plus le temps, et je le sais aussi.

 Mais derrière, il y a la vie d’hommes, de femmes, d’enfants. Les justiciables, eux, ne l’acceptent pas.

 Alors des avocats cessent le combat, épuisés. Désespérés.

On les comprend. Mais il va falloir aussi les entendre.

 

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