Réforme de la justice : Audience pénale à distance, audience distanciée ?

Publié le 09/02/2023

Alors que la Chancellerie travaille sur une réforme en profondeur de la justice, cela peut être l’occasion d’amorcer une réflexion sérieuse sur l’usage de l’audience pénale à distance via la visioconférence. La magistrate Valérie-Odile Dervieux verse aux débats les éléments essentiels qui doivent guider les travaux. 

Réforme de la justice : Audience pénale à distance, audience distanciée ?
Photo : AdobeStock/xyz+

Mise en œuvre dès les années quatre-vingt-dix pour permettre de juger des parties très éloignées géographiquement[1], malmenée juridiquement durant la période COVID au soutien d’une justice pénale de l’« essentiel »[2], l’audience pénale à distance et son outil – la visioconférence -, incarnent les tiraillements de la justice pénale :

– entre principe de réalité et principes généraux du droit,

– entre volonté de modernité et insuffisances techniques,

– entre légistique complexe et bugs procéduraux.

À l’heure où une réflexion est menée par un comité scientifique du ministère de la Justice pour « refonder la procédure pénale » post rapport Sauvé, cet item controversé de la « modernité » judiciaire – l’audience « visioconférence »[3]– doit être présent dans les débats.

Le procès pénal à distance (PPD), un enjeu pour le ministère de la Justice, mais pas que…

C’est d’abord un indicateur de performance :

La « visio » permet d’économiser les transfèrements de détenus dont on sait les difficultés qu’ils suscitent depuis qu’ils sont assurés par une administration pénitentiaire sous dotée [4] ; la visio est d’ailleurs trop souvent envisagée pour pallier les « IDF » (impossibilité de faire : vocable utilisé par l’administration pénitentiaire pour dire : je ne peux pas faire !) alors que ce n’est pas son rôle et pas toujours juridiquement possible [5].

Le PPD, c’est aussi un miroir de qualité des outils techniques mis à disposition des juridictions dont tant le rapport des États généraux de la justice[6] que la Cour des comptes ont souligné les insuffisances[7].

Le PPD, c’est enfin un moyen, selon le rapport des états généraux de la justice, de fluidifier la procédure, notamment d’instruction et de (tenter) de réduire les délais[8] dont on sait qu’ils se doivent de redevenir raisonnables au visa des articles préliminaire et 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme au risque, non pas de nullité[9], mais d’indemnisation, de fragilisation des preuves, d’érosion de la peine voire, de révision d’un procès[10].

Virtualiser la justice ?

Mais la vraie question n’est-elle pas de savoir si ce mode de « dématérialisation » de la justice pénale a un avenir, lequel et à quelles conditions ?

Dans son excellent guide « Lignes directrices sur la visioconférence dans les procédures judiciaires (2021) », la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) montre la voie en précisant les exigences et les limites d’un tel recours et, en creux, les marges de progression de la justice française tant sur le plan technique que pratique.

À cet égard, la « check-list des exigences principales pour la mise en œuvre de la visioconférence dans la pratique judiciaire » montre, au travers d’une « liste de lignes directrices », le travail qui reste à accomplir pour être « au niveau ».

En France, la possibilité d’utiliser la visioconférence résulte des dispositions de l’article 706-71 CPP dont la simple lecture interroge, comme souvent, la qualité de notre légistique.

Les évolutions et les jurisprudences que les dispositions de l’article 706-71 CPP. ont suscité [11]de la part de la Cour de cassation, du Conseil d’État et du conseil constitutionnel, notamment dans ses modalités « COVID »[12], qualifient des enjeux révélateurs :

*Inciter les juridictions à la sobriété dans l’usage des moyens, notamment de transfèrement des détenus, des temps et du nombre d’audiences « en présentiel » ;

*Moderniser » et rendre accessible « numériquement » la justice ;

*Garantir les items du procès équitable : dignité, accessibilité, prise en compte des vulnérabilités de publics contraints (détenus, hospitalisés sous contrainte).

Surtout, l’utilisation de la visioconférence amène à envisager le devenir de l’audience dans ses dimensions conventionnelles (publicité des débats, interaction, contradictoire), humaines et symboliques et à repenser les modalités d’exercice de ses acteurs : président et police de l’audience, avocat et assistance du client, public et publicité des débats, voire audience filmée, dynamique de l’audience….

Quelles pourraient être, dans ces conditions, les perspectives d’une audience dématérialisée respectueuse de tous ces principes et conformes aux attentes des parties ?

Un préalable : évaluer les pratiques via des éléments statistiques qualitatifs et quantitatifs

Une ouverture : envisager au-delà de l’intérêt pratique du service public de la justice, celui des auxiliaires de justice en leur permettant par exemple de préparer les audiences avec leurs clients détenus par visioconférence sécurisée, voire de les assister à distance dans certains contentieux (CRPC ?) ?

Des moyens : mettre à disposition des acteurs de véritables régies d’audience à l’aune de ce qui a été fait pour le procès V13 (NDLR : des attentats du 13 novembre) et un cloud justice sécurisé.

Une doctrine : élaborer une véritable doctrine d’emploi de la visioconférence sur la base de textes toilettés.

[1] La visioconférence dans le procès pénal : un outil à maîtriser ; Revue de science criminelle et de droit pénal comparé 2011/4  Jérôme Bossan.

[2] Justice pénale sous covid-19 : vers un retour à la normale ? , Dalloz actualités,  Valérie-Odile Dervieux le 10 Mai 2020.

[3] La commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) définit la visioconférence comme « un système qui permet une  communication  à  double  sens  et  simultanée  de l’image  et  du  son,  qui  assure  une  interaction  visuelle, sonore et verbale pendant l’audience à distance ». Lignes directrices sur la visioconférence dans les procédures judiciaires (2021) / Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej).

[4]  Drôme : le manque d’effectif de l’administration pénitentiaire perturbe le bon fonctionnement de la justice.  LES EXTRACTIONS JUDICIAIRES  : Entre pénitentiarisation et policiarisation de l’Administration Pénitentiaire ? Morgane MONTAY, Droit de l’Exécution des peines et Droits de l’Homme, Institut de Droit et Economie d’Agen.

[5] L’IDF n’est pas un cas de force majeure et ne peut justifier un allongement des délais.

[6] Rapport sur le numérique du comité de pilotage des Etats généraux de la justice – 17 mars 2022

[7] Point d’étape du plan de transformation numérique du ministère de la justice, Cour des comptes, rapport du 26 janv. 2022.

[8] Rapport du groupe de travail sur la simplification de la procédure pénale.

[9]  Cass, Crim, 9 novembre 2022, affaire dite « de la chaufferie de La Défense » – Conséquences du dépassement du délai raisonnable d’une procédure pénale

[10] Pourvoi n° 22-81.097 examiné en assemblée plénière le 3 février 2023.

[11] loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 ; Conseil constitutionnel décisions n°2019-778 du 21 mars 2019, n°2019-802, du 20 septembre 2019, n°2020-836 du 30 avril 2020 ; 15 janvier 2021, 4 juin 2021, n° 2021-911/919. CE  décisions n°448972-448975 et n°448981 ; CE, 27 novembre 2020 ; CE, 5 mars 2021 n°440037.

Décision QPC du 15 janvier 2021 relative à la visioconférence.

[12] Ordonnances COVID n°2020-203 des 25 mars 2020 (art 5) et 18 novembre 2020 (art 2).

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