Rentrée de la Cour d’appel de Paris : « Nous attendons beaucoup du plan quinquennal »

Publié le 13/01/2023

La cour d’appel de Paris a tenu sa rentrée solennelle ce jeudi, en présence du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti. Fait inédit, abandonnant la première chambre, elle s’est transportée dans la salle des grands procès, construite pour accueillir le procès des attentats du 13 novembre.

Rentrée de la Cour d’appel de Paris : "Nous attendons beaucoup du plan quinquennal"
Salle des grands procès du palais de justice de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

 Il y a des traditions que l’on croit immuables, à tort ; par exemple la tenue de l’audience solennelle de rentrée de la cour d’appel de Paris dans la salle de la première chambre. C’est là que fut jugé Pétain. Là que se tiennent les colloques et que les avocats prêtent serment. Et là encore que chaque année depuis des décennies, au mois de janvier, la cour d’appel de Paris reçoit ses invités à l’occasion de son audience solennelle de rentrée. Même la crise sanitaire n’y avait pas porté atteinte. On avait simplement décidé de tenir l’audience sans invités ni public, mais dans cette chambre.

La salle des grands procès, « ce lieu qui marquera notre histoire judiciaire »

Seulement voilà, cette année tout a changé. La Cour a voulu montrer la salle des grands procès. Le premier président Jacques Boulard, dont c’était la première rentrée solennelle dans ses nouvelles fonctions, a expliqué ce changement : c’est à la fois une volonté de présenter aux invités de la Cour « ce lieu unique qui marquera notre histoire judiciaire », une manière de saluer le travail de tous ceux qui ont contribué à l’organisation de ces événements judiciaires exceptionnels et un hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et du 14 juillet 2016 à Nice, dont les procès viennent d’y être jugés.

Rentrée de la Cour d’appel de Paris : "Nous attendons beaucoup du plan quinquennal"
Jacques Boulard, premier président de la Cour d’appel de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

Les rentrées sont toujours l’occasion de dresser le bilan de l’année écoulée. Immanquablement, cela se traduit par des données sur les stocks et la dénonciation du manque de moyens. La nouveauté cette année, c’est que le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a annoncé le 5 janvier une augmentation du budget de son ministère très conséquente pour ne pas dire historique, avec un objectif de 11 milliards de crédits en 2027 et 10 000 recrutements sur la période. Pour autant, que ce soit à la Cour de cassation lundi ou ce jeudi à la cour d’appel de Paris, la question des moyens est demeurée au cœur des allocutions. Pour deux raisons. D’abord la justice n’a jamais été aussi en difficulté, accusant les conséquences de plusieurs décennies d’abandon que les récents efforts n’ont pas suffi à effacer. Ensuite,  l’institution judiciaire souffre depuis si longtemps de la surdité du politique sur son état qu’il lui faudra du temps pour retrouver confiance dans son avenir et surtout dans ceux qui le tiennent entre leurs mains.

« Une inadéquation incontestable de moyens »

Le premier président a souligné la situation difficile de la juridiction qui se traduit à de multiples niveaux pour ne pas dire tous. Il a cité à ce sujet le nombre très élevé d’appels de référés, les recours aux fins de suspension d’exécution provisoire ou encore le contentieux des soins psychiatriques sans consentement qui impacte très fortement le juge des libertés et de la détention. Le pôle de la famille requiert également une vigilance de tous les instants, les délais y sont parfois supérieurs à deux ans. En cause ? Notamment la complexité méconnue du contentieux familial quand il faut traiter par exemple des dossiers de GPA à l’étranger soulevant à la fois des questions bioéthiques et de droit international. En matière civile, les délais s’allongent jusqu’à quatre ans en construction ou copropriété en raison d’une « inadéquation incontestable des moyens ». Le pôle social est lui-même noyé sous 24 000 dossiers, soit la moitié du contentieux civil.

La mise en place des CCD suscite l’inquiétude

Et côté pénal, la situation n’est guère plus enviable. « La résorption des stocks structurels suppose un indispensable renforcement de moyens » souligne Jacques Boulard qui estime à 70 le nombre de postes magistrats supplémentaires nécessaires soit 30 % des effectifs, avec bien entendu une augmentation corrélative des fonctionnaires de greffe. « Nous attendons beaucoup du plan quinquennal » a-t-il indiqué. Ce d’autant plus que les juridictions du ressort vont devoir mettre en œuvre les nouvelles cours criminelles départementales. Leur généralisation, à compter du 1er janvier de cette année suppose de trouver des effectifs car elles sont composées non pas de trois juges comme les cours d’assises, mais de cinq. « Cela va nécessairement avoir un impact très fort sur le fonctionnement des juridictions avec un risque d’éviction des autres contentieux » s’inquiète le premier président. Pour limiter le choc dans des juridictions déjà en sous-effectif grave et chronique, Jacques Boulard compte sur un déploiement progressif de la réforme, mais aussi sur le renfort de magistrats honoraires ainsi que d’avocats, également honoraires, dont la procédure de recrutement vient d’être initiée. En d’autres termes, si les annonces du ministre de la justice ont tendance à rassurer, elles n’effacent pas les problèmes concrets et actuels que la cour d’appel de Paris, comme à peu près toutes les juridictions de France, doit gérer.

Rentrée de la Cour d’appel de Paris : "Nous attendons beaucoup du plan quinquennal"
Le procureur général Rémy Heitz (Photo : ©P. Cabaret)

L’enjeu numérique est, avec celui des ressources humaines, le plus déterminant pour l’avenir de la justice

Le procureur général Rémy Heitz a lui aussi salué les moyens nouveaux annoncés, mais également avec prudence, en soulignant pour sa part que la réduction des délais et l’amélioration de la qualité des décisions, attachés à ces moyens renforcés, ne se produiraient qu’à la condition de réussir la transition numérique. Or, la cour a subi en 2022 l’échec du déploiement de Cassiopée. « Cet enjeu, avec celui des ressources humaines, est sans doute le plus déterminant pour notre avenir » estime le procureur général.

Pour 2023, il a évoqué 4 défis. Le premier vise la lutte contre une grande criminalité de plus en plus déterritorialisée et violente. Pour ce faire, la justice peut compter sur la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée créée il y a trois ans. Mais, a souligné Rémy Heitz, « la réforme de la police judiciaire devra préserver nos moyens d’enquête contre le haut du spectre ». La justice est en effet très inquiète à l’idée que la réforme de la police n’aboutisse à la dissolution de la police judiciaire et donc à la perte d’une compétence technique reconnue dans la traque de la grande criminalité.

Le deuxième défi concerne l’organisation des Jeux Olympiques qui affecteront essentiellement les cours d’appel de Paris et Versailles de juin à septembre 2024. Déjà elles sont impactées par les plans d’action contre la délinquance dans les départements concernés, a indiqué le procureur général. Un surcroît d’activité qui va monter en puissance jusqu’en juin 2024 avant que ne débute la période de traitement des infractions liées à l’événement.

Troisième défi, l’entrée en vigueur des cours criminelles départementales, qui inquiète autant le parquet que le siège, visiblement. Rémy Heitz a précisé que les CCD seraient appelées à traiter 40 % des 550 dossiers du ressort et que la première audience, dans le cadre du déploiement progressif,  était prévue le 27 février prochain à Créteil.

La surpopulation carcérale n’est pas une fatalité

Quatrième défi enfin, qualifié de « sujet d’une inquiétude permanente et vive », la surpopulation carcérale. Le taux est de 133 % et atteint même 164 % à La Santé avec 84 cellules de 9 m2 occupées à trois, et 124 matelas au sol. Cette augmentation n’est pas liée à une hausse du nombre d’incarcération, a précisé Rémy Heitz, mais à l’allongement du quantum des peines depuis l’entrée en vigueur du « bloc peines » de la loi de programmation et de réforme pour la justice. On passe ainsi de peines comprises entre un et six mois de prison à des peines de six à douze mois. Voilà qui relativise singulièrement l’accusation de laxisme à l’encontre des juges. Une autre information d’ailleurs sur le même sujet bat en brèche une idée reçue concernant la prétendue absence de réponse judiciaire en matière de violences conjugales. La lutte contre ce phénomène est bien devenue une priorité, avec des effets concrets puisqu’« une personne détenue-condamnée sur six l’est pour ce motif » a précisé le procureur général. Pour Rémy Heitz, la surpopulation n’est pas une fatalité, il préconise notamment de redynamiser les travaux d’intérêt général, en chute libre, et de recourir davantage aux aménagements de peines en semi-liberté.

Cette année, comme toutes les précédentes depuis des décennies, la cour d’appel de Paris va donc devoir continuer d’assurer sa mission en gérant l’insuffisance de moyens. Mais avec peut-être enfin l’espoir que la situation, un jour, s’améliore…

Rentrée de la Cour d’appel de Paris : "Nous attendons beaucoup du plan quinquennal"
A l’issue de la rentrée solennelle, un cocktail s’est tenu dans ce qui reste de la salle des pas perdus, la salle des grands procès occupant désormais son centre (Photo : ©P. Cabaret)
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