Rentrée du tribunal judiciaire de Paris : le narcotrafic en ligne de mire

Publié le 22/01/2025

La rentrée du tribunal judiciaire de Paris s’est tenue lundi 21 janvier, en l’absence du ministre de la justice cette année, retenu à l’étranger. La juridiction a fait passer de nombreux messages, parmi lesquels la nécessité de simplifier la procédure et le doute suscité par le projet de créer un parquet spécialisé en matière de criminalité organisée. 

Rentrée du tribunal judiciaire de Paris : le narcotrafic en ligne de mire
La rentrée solennelle du TJ de Paris a eu lieu le 21 janvier à 17 heures (Photo : ©P. Cabaret)

Pas de doute,  la magistrature a décidé de mettre la pression au gouvernement concernant la simplification de la procédure pénale. Cela a été réclamé notamment à  la rentrée de la cour d’appel de Paris la semaine dernière, et mardi, à celle du tribunal judiciaire de Paris. Mais le président Stéphane Noël a tenu à rappeler, avant même d’aborder le fond de son discours que les critiques  parfois  émises à l’égard de certains avocats ne peuvent concerner l’ensemble d’une profession. Une allusion aux discours de rentrée parfois vifs qui ont dénoncé, ces jours derniers, le rôle supposé de certains avocats dans l’embolisation de la justice.  « Dans un pays libre, les droits de la défense sont essentiels, (…) la protection des droits et libertés individuels exige une défense libre, exigeante, pugnace, comme cela est la marque du  barreau de Paris » a-t-il souligné. Par conséquent, les réformes de procédure, civile ou pénale, nécessaires à l’amélioration de la réponse judiciaire, doivent viser cette optimisation et non rechercher à limiter les droits de la défense.

Rentrée du tribunal judiciaire de Paris : le narcotrafic en ligne de mire
Le bâtonnier de Paris, Pierre Hoffman, et la vice-bâtonnière, Vanessa Bousardo, à la rentrée du Tribunal (Photo : ©P. Cabaret)

S’agissant de la matière civile, Stéphane Noël a indiqué que l’augmentation des affaires traitées avait permis de maitriser les stocks, mais qu’il restait encore des difficultés en matière de contentieux social. Le président a tenu à souligner la proximité de la juridiction. Le SAUJ a accueilli l’an dernier  près de 100 000 personnes. Le Pôle civil de proximité qui a hérité des compétences des anciens tribunaux d’instance est l’un des plus importants en nombre de magistrats et de fonctionnaires avec les missions anciennement dévolues aux tribunaux d’instance. Plus de 10 000 affaires civiles ont été traitées l’an dernier et 15 000 majeurs sont suivis dans le cadre des tutelles. Il a aussi salué l’efficacité des modes alternatifs de réglement des différends (MARD) et notamment de la conciliation. À Paris, on dénombre plus de 70 conciliateurs. Et ça marche !  En 2022, sur l’ensemble de la France, 200 000 affaires ont débouché sur 90 000 conciliations, soit un taux de 46%. « Un excès de déjudiciarisation pourrait porter atteinte à la cohésion nationale, mais ça n’exclut pas de réfléchir à des procédures plus fluides, plus rapides » a précisé le président.

En route pour la compliance !

Stéphane Noël a ensuite abordé son souci de maintenir une justice compétitive. « Le besoin de recourir à un juge est un marqueur de civilisation », à condition que la réponse soit adaptée. Or, il a dénoncé les problèmes liés aux logiciels métier et appelé à développer rapidement des technologies innovantes en pénal comme au civil, car le retard numérique dont souffre l’institution l’empêche d’embrasser l’innovation de l’IA générative. La compétitivité, c’est aussi l’innovation. À ce titre, le tribunal de Paris se donne les moyens de traiter le contentieux émergent de la responsabilité sociale des entreprises. En septembre dernier, une 34e chambre civile au pôle des affaires économiques et commerciales a été créée pour juger ces dossiers. Ils concernent les plans de vigilance que doivent établir les sociétés mères et les donneuses d’ordre d’une certaine importance pour prévenir les atteintes graves aux droits humains, la santé, la sécurité des personnes et l’environnement. Une évolution issue du droit de la compliance et de la régulation. Cela renvoie aussi à l’office du juge, a souligné le président car il s’agit de « concilier le respect des buts fondamentaux pour la protection de l’humanité avec la possibilité pour les entreprises d’apprécier la maitrise des risques et leur éventuelle responsabilité ».

Compétence en matière immobilière : le tribunal persiste et signe

Rentrée du tribunal judiciaire de Paris : le narcotrafic en ligne de mire
Stéphane Noël, président du Tribunal judiciaire de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

Parmi les sujets sensibles en 2024 figure la jurisprudence au terme de laquelle la juridiction s’est employée à restreindre sa compétence territoriale en matière immobilière. Terminé les dossiers concernant des immeubles au Mali, au Maroc ou en Grande-Bretagne jugés à Paris. S’il veut rester compétitif, le tribunal doit faire le choix de ne pas retenir sa compétence (lire nos articles ici et ). Stéphane Noël a prévenu qu’il y aurait d’autres décisions en ce sens. Une déclaration jugée courageuse par ses auditeurs car la cour d’appel de Paris a infirmé certaines de ces décisions.  Le président du TJ de Paris souhaite que la Direction des affaires civiles et du sceau réécrive les articles du Code de commerce et du Code de procédure civile sur ce sujet.

Narcotrafic : un nouveau parquet ne servira à rien si le reste de la chaine pénale ne peut pas suivre

Enfin, il a abordé la question qui occupe tous les esprits depuis plusieurs mois et, en particulier, depuis l’attaque au péage d’Incarville qui a coûté la vie à deux membres de l’administration pénitentiaire : la lutte contre les narcotrafiquants. Cela fait de nombreuses années que les magistrats préviennent de l’insuffisance de la réponse judiciaire face à des actes de plus en plus sophistiqués et complexes. La création des JIRS (Juridictions interrégionales spécialisées) en 2004 a été un succès, de même que celle de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) en 2020. Avant de créer un parquet national, comme l’envisage le gouvernement (voir le plan national présenté le 8 novembre), ce qui revient à traiter le sujet uniquement sous l’angle des poursuites, il faudrait penser à mettre les moyens dans toute la chaine pénale car « la portée effective de l’autorité judiciaire ne passe pas seulement par la phase d’enquête, mais par la capacité de juger et d’exécuter » a expliqué Stéphane Noël. Et le président d’ajouter « si nous voulons des résultats tangibles, il faut mobiliser une force de frappe à la hauteur des enjeux ». Cela signifie affecter les effectifs nouveaux à cet objectif. Stéphane Noël invite la Chancellerie à  « ne pas saupoudrer mais concentrer, ne pas disperser mais cibler ». En clair, plutôt que de répartir les futures promotions de magistrats dans toute la France et à tous les postes, il faut les affecter à la lutte contre le narcotrafic là où c’est nécessaire. Il a enfin précisé que Paris ne pourrait pas concentrer toutes les affaires, car la juridiction ne serait pas en capacité de les juger.

L’inquiétante « violence irraisonnée » des mineurs

Il est vrai que Paris a déjà deux parquets spécialisés nationaux, le Parquet national financier (PNF) et le Parquet national antiterroriste (PNAT), ce qui a comme effet, outre d’accroître son nombre d’affaires à juger, d’augmenter le temps de ses audiences de rentrées avec quatre discours au lieu de deux.

C’est la procureure de Paris, Laure Beccuau, qui a pris ensuite la parole pour s’inquiéter de certaines formes de criminalité en augmentation. À commencer par la « violence irraisonnée » des mineurs qui s’est traduite notamment par une hausse de 20% des rixes, mais aussi les délits sexuels et les agressions contre les agents dans les transports.  Autre source d’inquiétude, le crack. En 2024, 353 mis en cause ont été déférés, dont 285 dans le cadre de comparution immédiate et 260 usagers ont été présentés pour une injonction thérapeutique. Laure Beccuau précise : « À l’issue de chaque déferrement, tout usager est désormais immédiatement pris en charge pour un parcours de soins mais reste susceptible de poursuites si ce parcours est négligé ».

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Laure Beccuau, procureur de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

Les priorités en 2025 vont consister à lutter contre tous ceux qui fragilisent l’état de droit. « Notre engagement ne faiblira pas face à un antisémitisme de plus en plus décomplexé, à une homophobie légitimée, un rejet de la différence exacerbé, autant de contextes pris en compte, par notre juridiction, pour fixer les bornes républicaines de la liberté d’expression » a-t-elle prévenu. Deuxième axe, la criminalité organisée. La lutte passe par l’entrave et le ciblage, c’est-à-dire les saisies, la traque du blanchiment et des « compromissions », la neutralisation des réseaux de communication et des cibles de haute valeur etc…Comme le président, et avant lui la Procureure générale de Paris, Laure Beccuau ne semble guère convaincue par la nécessité de créer un parquet national spécialisé.

Au PNF, priorité à la lutte contre la criminalité organisée

Au PNF, qui a fêté ses dix ans en 2024, on dénombre 766 procédures en cours, contre 781 fin 2023, c’est encore élevé mais en repli et c’est un choix de la part de Jean-François Bonhert de réduire la voilure pour concentrer ces efforts sur certains types de dossiers. Un effort nécessaire vu ses effectifs rapportés au nombre de dossiers traités : 20 magistrats et 12 assistants de justice. Les saisies prononcées en 2024 se sont élevées à 450 millions d’euros. Les CRPC représentent 40% des condamnations. En 2024, 97 personnes ont été sanctionnées, par ailleurs, le PNF a émis 40 demandes d’extradition, dont seules 2 ont prospéré avec l’Italie et les Émirats arabes unis. Jean-François Bonhert priorise chaque année le traitement de certaines thématiques et contentieux. La procureure générale de Paris a fixé comme objectif la lutte contre la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment, le PNF va donc se concentrer sur les dossiers ayant un lien fort avec la criminalité organisée : atteintes à la probité en lien avec des trafics de stupéfiants, fraude fiscale et réseaux d’initiés.

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Jean-François Bonhert, procureur national financier (Photo : ©P. Cabaret)

Des évolutions législatives nécessaires

Pour gagner en efficacité, Jean-François Bonhert identifie quatre évolutions législatives nécessaires  :

*la possibilité d’utiliser la présomption de blanchiment quand un montage financier n’a pas de rationalité;

*l’extension de la CJIP à d’autres infractions, comme le recel de détournement de fonds publics, le favoritisme, la prise illégale d’intérêts et même les contentieux boursier et de concurrence ;

*la possibilité d’associer les régulateurs boursiers et de la concurrence aux enquêtes pénales ;

*une refonte des nullités de procédures.

S’agissant des moyens, JF. Bonhert a déploré le fait que les capacités de l’OCILFF,  l’ONAF, la section de recherche de la gendarmerie de Paris et la nouvelle brigade de répression de la corruption et de la fraude fiscale ne suffisent plus et a réclamé un plan de relance de l’enquête économique et financière avec revalorisation de la filière PJ. Qualifiant les différences d’investissement entre la France et les pays voisins d’ »abyssal »,  il a cité à titre de comparaison les 20 procureurs à temps plein affectés en Allemagne au scandale fiscal des  « CumCum » quand il ne peut y consacrer qu’un magistrat qui gère 40 dossiers par ailleurs, ou bien encore le Serious Fraud Office britannique qui dispose de 600 agents, soit 400 de plus que les services français.

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Olivier Christen, procueur national antiterroriste (Photo : ©P. Cabaret)

Le PNAT a mis en examen 19 mineurs en 2024

Enfin, Olivier Christen, procureur national antiterroriste (PNAT) s’est félicité qu’il n’y ait aucun décès à déplorer des suites d’une action terroriste en 2024, tout en soulignant que la menace est toujours présente. Deux attentats ont eu lieu, l’un dans la Sarthe en juillet (agression d’un chauffeur de taxi du Mans), l’autre en aout avec une synagogue incendiée à La Grande-Motte. Par ailleurs, neuf attentats ont été déjoués. La principale menace désormais consiste dans l’activation à distance d’individus sur le sol français, « c’est une menace diffuse, délétère, en provenance d’individus natifs ou issus de diasporas » a précisé le procureur.  La nouveauté réside dans l’apparition de projets terroristes portés par des mineurs ; ils étaient 19 l’an dernier à être mis en examen, contre 15 en 2023 et à peine un ou deux les années précédentes. Le même phénomène est observé au niveau européen. Olivier Christen s’est entretenu avec le recteur de Paris, ils sont convenus de la nécessité d’engager une campagne de sensibilisation aux comportements à risque auprès des personnels de l’éducation nationale.  En 2024, les 30 magistrats du PNAT ont suivi 85 enquêtes préliminaires et   prononcé 93 mises en examen, dont 66 en matière de djihadisme : c’est 70% de plus qu’en 2023. S’il est encore impossible d’anticiper les effets du changement de régime en Syrie, Olivier Christen a indiqué que « tous nos ressortissants partis en Syrie, y compris présumés morts ou disparus, sont visés par des procédures judiciaires suivies par mon parquet. S’ils venaient à rentrer, ce serait un nouveau défi pour les enquêteurs, l’autorité judiciaire et l’administration pénitentiaire ». Il a signalé également l’ouverture de quatre procédures pour terrorisme d’état, un contentieux qui avait disparu et qui réapparait.

 

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