Rentrée de la cour d’appel de Paris : les magistrats réclament une réforme des nullités en matière pénale

Publié le 15/01/2025

La rentrée solennelle de la cour d’appel de Paris s’est tenue lundi 13 janvier, en présence du garde des Sceaux, Gérald Darmanin. Le Premier président et la Procureure générale ont dénoncé ensemble l’engorgement de la chaîne pénale et réclamé des réformes procédurales.

Rentrée de la cour d’appel de Paris : les magistrats réclament une réforme des nullités en matière pénale
La rentrée solennelle de la cour d’appel de Paris a réintégré la salle de la première chambre civile, lundi 13 janvier 2025 (Photo : ©P. Cabaret)

 Après deux années dans la salle des grands procès, la rentrée solennelle de la cour a réintégré, lundi 13 janvier, son lieu historique de cérémonie, à savoir la première chambre (nos articles sur la rentrée 2023 et la rentré 2024). Il est vrai que l’autre est occupée par le procès de l’attentat de la rue Nicolas Appert survenu en 2020. On y juge six accusés d’origine pakistanaise, parmi lesquels l’auteur de la tentative d’assassinat commise sur deux journalistes devant les anciens locaux de Charlie Hebdo en réaction à la republication des caricatures du prophète.

De toute façon, la salle doit être démontée dans le courant du premier semestre, en raison des travaux importants menés au palais de la Cité.  Ceux-ci vont d’ailleurs, a annoncé le Premier président Jacques Boulard, entraîner la fermeture de la porte boulevard du Palais et la réouverture de l’entrée située place Dauphine. Il a indiqué qu’en raison du nombre croissant de très gros dossiers, et de la compétence universelle reconnue à la juridiction française, la cour soutient « pleinement le projet de créer une nouvelle salle de grande capacité et pérenne au sein de ce palais ».

Effectifs : la fin de l’état de grâce ?

S’agissant du bilan de l’année écoulée, le Premier président a évoqué son inquiétude sur la question des moyens. Et pour cause. L’an dernier, les juridictions parisiennes ont reçu d’importants renforts pour affronter le choc des JO, au détriment souvent de juridictions plus petites qui ont souffert de cette concentration des affectations en Ile-de-France (nos articles ici et là). Sur fond de difficultés budgétaires, la cour craint un « coup de rabot budgétaire », lequel « retour en arrière serait incompris », a prévenu le magistrat.

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Le Premier président Jacques Boulard (Photo : P. Cabaret)

Au-delà de cette question, le Premier président a dénoncé l’engorgement de la chaine pénale et plaidé pour des réformes structurelles. Les difficultés concernent l’audiencement correctionnel, l’audiencement criminel (723 dossiers en stock au mois d’août dernier, malgré une augmentation du nombre d’arrêts rendus en 2024 : 519/433) et la situation des huit chambre de l’instruction à la cour d’appel.  « À vrai dire, les chambres de l’instruction sont littéralement engorgées de demandes de mise en liberté. Pendant qu’elles traitent ces demandes dans les délais brefs imposés par la loi à peine de remise en liberté d’office, elles ne peuvent aborder le fond des dossiers, notamment les requêtes en nullité et les saisines directes pour des demandes d’actes d’instruction. Cela retarde d’autant le traitement des dossiers dans les cabinets d’instruction du ressort et allonge alors les délais de détention, appelant à nouveau des demandes de remise en liberté. Un triste cercle vicieux ». Le garde des Sceaux, Gérald Darmanin,  est au courant puisqu’il avait déjà évoqué ce problème assez brutalement le 6 janvier sur RTL au micro de Thomas Sotto, s’attirant les foudres du barreau pour avoir dit que certains avocats travaillaient « non pas à l’innocence de leur client » mais à « emboliser la chambre d’instruction », pour « libérer de la détention provisoire des personnes parce qu’on sait qu’elles ne seront plus jugées ».

Rentrée de la cour d’appel de Paris : les magistrats réclament une réforme des nullités en matière pénale
Le ministre de la justice Gérald Darmanin à la rentrée de la cour d’appel de Paris, au centre. À sa droite,  Christophe Soulard, Premier président de la Cour de cassation et Rémy Heitz, Procureur général de la Cour de cassation ; à sa gauche  le préfet d’Ile-de-France, Marc Guillaume et le préfet de police de Paris, Laurent Nunez (Photo : ©P. Cabaret)

Modifier l’état du droit

Le Premier président pour sa part s’est bien gardé de s’en prendre aux avocats, précisant même pour lever toute ambiguïté que « la réflexion sur l’évolution de la procédure pénale doit être conduite en ayant toujours à l’esprit la préservation des garanties offertes par l’État de droit ». Mais il s’est ensuite inspiré d’une formule d’Emmanuel Macron prononcée devant le Conseil d’État le 12 septembre dernier pour préciser que : « Le respect de l’état de droit n’interdit évidemment pas des modifications de l’état du droit ». Sans détailler plus avant ses attentes, il a évoqué la rationnalisation des demandes de mises en liberté, l’amélioration du régime des nullités ou encore les évolutions de la procédure de l’instruction.

Autre sujet de préoccupation, les cours criminelles départementales (CCD) qui traitent désormais plus de la moitié du contentieux criminel. Une réforme dont les méfaits seront dénoncés un peu plus tard par la procureure générale. Jacques Boulard s’est contenté d’exprimer la nécessité d’ouvrir des réflexions sur la pertinence de l’oralité devant ces cours, sur l’organisation d’audience sur les peines quand la culpabilité est reconnue ou encore sur la professionnonalisation des cours d’assises en matière de criminalité organisée ou de crimes contre l’humanité.   Une réforme qui réduirait encore un peu plus le champ de compétence de la cour d’assises avec jury populaire…Voilà qui ne devrait guère enthousiasmer les défenseurs d’un modèle en voie de disparition.

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(Photo : P. Cabaret)

La cour d’appel de Paris souhaite se lancer dans une expérimentation de l’IA

S’agissant de la matière civile, il convient de développer le champ de la médiation d’une part, et de se tourner vers l’IA, d’autre part, estime Jacques Boulard. Sur ce dernier point, le Premier président a indiqué la volonté de la cour de s’engager dans une expérimentation « Grâce aux échanges noués dans le cadre de notre Conseil de justice économique, des magistrats de la cour ont rencontré plusieurs sociétés françaises prometteuses qui proposent d’ores-et-déjà, pour le traitement des contentieux civils, divers outils numériques de traduction, de recherches juridiques, de synthèse et d’analyse de documents, voire de rédaction à partir de précédents. On imagine facilement le gain de temps pour le juge civiliste. Il n’aurait plus qu’à contrôler l’exactitude des documents générés pour se concentrer sur ce qui est son office le plus essentiel, à savoir trancher, c’est-à-dire décider et rédiger la motivation de sa décision ». Il s’est dit conscient toutefois des dangers et de la nécessité de contrôler les sources, les algorithmes et l’utilisation des données personnelles.

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Marie-Suzanne Le Quéau, procureure générale de Paris (Photo : ©P. Cabaret)

La procureure générale Marie-Suzanne Le Quéau a pris la parole à sa suite pour évoquer trois sujets d’inquiétude : les effectifs, les stocks et la surpopulation carcérale.  Sur le premier point, après les renforts obtenus pour les JO, la chute est rude : « Le taux de vacance est supérieur à la moyenne nationale éloignant d’autant les effectifs réels des projections faites pour atteindre l’effectif cible de 2027 selon la loi de programmation initiale ». Elle a dénoncé « une gestion périlleuse du parquet général et des parquets du ressort » ainsi qu’une remise en cause de la performance du ministère public de cette cour pour les huit prochains mois ».

Les CCD ont conduit le système au bord de l’implosion

S’agissant des flux et stocks, « force est de constater que l’institution des CCD a conduit le système actuel au bord de l’implosion » a-t-elle déclaré sans ambages. En effet, 696 dossiers sont en attente d’être jugés, dont 225 en CCD. « Et de prévenir « demain, nous risquons d’être confrontés à la remise en liberté d’accusés détenus, notamment dans des affaires de criminalité, faute de pouvoir les fixer dans le délai raisonnable tel que défini par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation ». Comme le Premier président, elle juge souhaitable de revoir l’oralité des débats et de mettre en place des audiences consacrées au choix de la peine. En matière correctionnelle, la situation est encore pire avec un stock de 10 425 affaires, en augmentation de 26%. Elle a salué à ce sujet les progrès apportés par la CRPC, 10 audiences consacrées à celle-ci ont permis de remplacer 43 audiences correctionnelles. Elle a donc annoncé que cette « avancée » allait être étendue à de nouveaux contentieux : l’urbanisme, les fraudes, le trafic de stupéfiants. Mais cela ne résoudra pas tous les problèmes.

Des demandes de mise en liberté « dans le seul but d’emboliser la chaîne pénale… »

La surpopulation carcérale atteint quant à elle un niveau « inédit », déjà dénoncé trois jours avant lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation. Dans le ressort de la Paris 13 357 personnes sont écrouées, ce qui représente 145% de taux moyen d’occupation et « d’accablantes réalités » comme le nombre de matelas au sol : 45 à Fleury-Merogis, 71 à Meaux-Chauconin et 94 à Villepinte. Ceci, malgré le fait que tous les leviers à disposition des magistrats pour tenter de cantonner cette surpopulation soient actionnés. Cette situation engendre des difficultés pour l’activité juridictionnelle car l’administration pénitentiaire ne parvient plus à faire face aux extractions judiciaires journalières.

Si Jacques Boulard est demeuré réservé sur les causes d’encombrement, Marie-Suzanne Le Quéau  au contraire a été très offensive : « le mouvement récent consistant pour des détenus à présenter des demandes de mise en liberté en nombre très conséquent et à opter en appel pour la comparution personnelle, dans le seul but d’emboliser la chaîne pénale, vient démontrer que le système ne peut pas fonctionner normalement ». Elle réclame trois évolutions législatives :

*la refonte des nullités procédurales dans le sens d’une réduction de leur champ d’application,

*l’irrecevabilité d’une demande de remis en liberté tant qu’une juridiction n’a pas statué sur une précédente demande,

*le principe de non-comparution des détenus devant la chambre de l’instruction, sauf à l’égard des mineurs ou à certains stades de la procédure.

Rentrée de la cour d’appel de Paris : les magistrats réclament une réforme des nullités en matière pénale
Photo : ©P. Cabaret

Des poursuites systématiques contre les actes antisémites

La Procureure générale a enfin évoqué les grands lignes de son action pour l’année à venir. Face à l’augmentation de 192% des actes antisémites en 2024, elle déclare : « Ce chiffre traduit une banalisation très préoccupante d’un phénomène qui a gagné toutes les couches de la société. Propos et comportements décomplexés se multiplient comme si les barrières mises en place pour ne plus accepter la stigmatisation des personnes de confession juive s’effondraient ».  Elle a annoncé que le ministère public ferait preuve d’une extrême fermeté par l’engagement de poursuites systématiques à l’encontre des auteurs identifiés. La lutte contre les violences familiales restera une grande priorité, mais l’axe majeur cette année sera la lutte contre la criminalité organisée.

Le PNACO, un miroir aux alouettes ?

À ce sujet, elle s’est dite « pas convaincue » par le projet de création d’un parquet national de lutte contre la criminalité organisée (PNACO), évoquant un « miroir aux alouettes ». La récente création de la JUNALCO (juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée) – créée en 2020, elle traite les dossiers les plus importants – suffit dès lors qu’on renforce la coordination par une cellule opérationnelle rattachée au parquet de Paris et une cellule stratégique pilotée par la direction des affaires criminelles et des grâces. « Sans réduction de nos délais de jugement et de mise en œuvre effective des peines, il est vain de penser, quel que soit le dispositif adopté, que nous gagnerons la guerre contre le narcotrafic » a-t-elle précisé. Si les saisies de stupéfiants sont nécessaires, celle des biens des narcotrafiquants est la plus efficace car elle porte « un coup d’arrêt décisif aux activités des réseaux criminels ». Un axe de travail prioritaire consistera à traquer la corruption des agents de l’état.

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À l’issue de l’audience, la procureure générale Marie-Suzanne Le Quéau s’entretient avec le garde des Sceaux Gérald Darmanin (Photo : ©P. Cabaret)
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