Sortie de prison : « le choc de la vie »

Publié le 13/04/2023

Celui qui entre en prison risque fort d’être confronté à ce qu’on appelle le « choc carcéral » lié à l’enfermement dans des lieux souvent sales, bruyants, voire indignes. On sait moins que sortir de prison et recouvrer la liberté peut être aussi difficile qu’y entrer. C’est ce qu’explique notre chroniqueuse Me Julia Courvoisier. 

Sortie de prison : "le choc de la vie"
Photo : ©Aquatarkus/AdobeStock

Mon métier m’a appris beaucoup, je le dis souvent. S’il faut évidemment sanctionner celui qui a transgressé la loi pénale, il faut nécessairement traiter les causes de la délinquance. Par exemple, des jeunes qui ont de l’espoir dans l’avenir et des bases éducatives et culturelles s’éloigneront du trafic de stupéfiants qui s’est implanté en bas de leur immeuble. Un travail, une famille, un logement, un frigo plein : ce sont des éléments qui repoussent la délinquance.

Nos responsables politiques ont tendance à toujours regarder les choses à un instant t sans jamais comprendre qu’au quotidien, la justice essaie d’envisager l’avenir : les risques de récidive, l’exécution d’une longue peine, les conditions d’une sortie anticipée. Et comme finalement ils n’échangent jamais avec les détenus qui sortent abimés de ces prisons souvent vétustes et indignes, ils n’en parlent, à mon sens, pas correctement.

« La prison est toujours un choc »

La prison, ce n’est pas que des chiffres et des débats sur le nombre de places. Ce sont aussi des hommes et des femmes qui y laissent ce qu’ils ont de plus précieux : leur liberté.

La liberté pour réparer le trouble à l’ordre public que leur comportement a causé.

Je fais immédiatement un aparté : s’intéresser au sort des détenus ne m’empêche absolument pas de faire de même pour les victimes. Je défends d’ailleurs les uns et les autres au gré des dossiers qui me sont confiés.

La prison est donc toujours un choc. Même lorsque l’on sait qu’on la « mérite ».

Tous ceux qui y ont mis les pieds vous parleront de ce « choc carcéral » à leur entrée : les bruits, la promiscuité, la saleté, la violence, les murs fissurés, les toilettes bouchées, l’absence de formation adéquate et disponible, le manque de la famille, de grand air…

Mais peu d’entre eux vous parleront du choc de la sortie, que j’appelle, avec mes clients, le « choc de la vie ».

Si la liberté est systématiquement difficile à perdre, elle est aussi très souvent insupportable à regagner. La liberté peut faire mal. Elle peut incommoder.

Le difficile exercice de se réhabituer à la vie

On apprend vite cette triste réalité quand on est avocat.

Et c’est en cela que la prison est la sanction la plus terrible que nous ayons trouvée pour punir ceux qui ne respectent pas la loi : car ce que nous avons de plus cher, c’est notre liberté de nous déplacer, de voir qui nous voulons, de faire ce que nous voulons quand nous le voulons.

Mes clients qui sortent de plusieurs années en détention ont tous la même angoisse : l’agitation des autres et le bruit de l’extérieur. Se réhabituer à la vie, celle que nous vivons, est alors un exercice difficile.

La prison est effectivement un microcosme très bruyant : les détenus vivent avec la télévision, les cris, les angoisses, les disputes. Il n’y a jamais de silence en cellule, d’autant qu’ils n’y sont presque jamais seuls. Ils vivent pendant des mois, des années, dans 9m2 ou 13m3 à 2, 3 voir 4. Ils partagent tout avec leurs codétenus, et quand je dis tout, je parle aussi de la plus intime des intimités.

Mais étrangement, nombreux sont ceux qui intègrent ces nouvelles règles de vie : comme si l’être humain pouvait s’adapter à tout environnement hostile et y trouver son propre équilibre. C’est dur à entendre, mais l’homme s’adapte à tout, même au pire.

Si en entrant en prison, mes clients ont le choc des bruits de portes qui s’ouvrent et se ferment et de la promiscuité, lorsqu’ils sortent, ils ont le choc inverse : passer une porte sans demander l’autorisation, prendre le métro, entendre le bruit des voitures, des bus… Les bruits de la vie normale deviennent souvent très compliqués à supporter : les enfants, la sonnerie de l’école, l’interphone…

L’angoisse du silence de la nuit

Et le silence de la nuit : une angoisse.

Je me souviens de ce client qui ne pouvait plus dormir la porte de sa chambre ouverte.

On ne reprend jamais une vie normale après des années de prison.

Jamais. La prison marque à vie. Elle abime. Elle détruit parfois, et il faut se reconstruire, ensuite, sur ces ruines-là. Et je ne m’en réjouis pas sous prétexte que mes clients ont enfreint la loi et qu’ils ont fait des victimes dont les vies sont brisées. Je suis pour la justice, pas pour la vengeance.

Je pense à cet instant à ce client qui vient de sortir après avoir exécuté une peine exemplaire de plus de six années de prison. Je ne l’avais vu qu’au parloir de la maison d’arrêt.

J’ai lu l’inquiétude sur son visage lorsqu’il était dans mon bureau.

Le malaise, le sentiment de ne pas être à sa place.

Il ne s’était jamais plaint, avant. Il n’avait jamais montré la moindre faiblesse durant nos entretiens. Il devait rester fort entre ces murs.

Mais ce jour-là, 48 heures après être sorti, j’ai vu la détresse sur son visage pour la première fois. Prendre le métro pour venir à mon bureau a été une épreuve.

Il est abimé à jamais. Je crois qu’une partie de lui est morte derrière ces barreaux.

Mais « ça va aller maître ».

« Oui, ça va aller Monsieur ».

Même si je sais que la récidive nait, aussi, de ce mal être de la sortie…

À lire sur le même sujet, « Prison : quand le cheval devient passeur de liberté ».

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