Témoignage : « Magistrate, je suis en burn out depuis plus de trois ans »

Publié le 02/12/2021

La Tribune des 3000 a révélé au grand public l’état de souffrance dans lequel se trouve la justice. L’insuffisance structurelle de moyens a rendu l’institution maltraitante. Ludovic Friat, secrétaire général de l’USM, nous transmet, avec son autorisation, le témoignage d’une magistrate dont le burn out vient d’être reconnu comme imputable à son activité professionnelle.

Témoignage : « Magistrate, je suis en burn out depuis plus de trois ans »
Photo : ©AdobeStock/Natalialeb

Notre métier est une vocation. Nous y accédons au terme  de longues études et d’un concours difficile par passion pour la justice et avec la volonté de venir en aide à nos concitoyens, souvent les plus fragiles. Mais chacun de nous découvre rapidement que nos robes noires ou rouges, pas plus que les blouses blanches des médecins, ne nous préservent du stress, de l’épuisement ou de la perte de sens de notre métier.

Alors nous entendons de plus en plus souvent, en juridiction, de jeunes collègues affirmer qu’ils ne feront pas toute leur carrière dans un environnement professionnel aussi dégradé et maltraitant. Qui pourrait les en blâmer ?

Les situations concrètes rapportées dans le livre blanc de l’USM sur la souffrance au travail, paru en 2015 et remis à jour en 2018 (Livre blanc sur la souffrance au travail), sont malheureusement toujours d’actualité, malgré de multiples remontées syndicales à notre ministère.

Le témoignage d’une de nos collègues nous rappelle, avec des mots simples, la réalité d’un environnement professionnel maltraitant poussant ceux qui servent l’institution à l’épuisement pour assurer des cadences intenables et donc inhumaines.

Merci à notre collègue d’avoir eu le courage, – l’anonymat n’est jamais total dans une communauté professionnelle de la taille de la nôtre (9000 magistrats) -, de s’exprimer publiquement sur ce qu’elle a vécu en nous autorisant à reprendre ses mots et d’avoir trouvé la ressource de faire reconnaitre l’imputabilité de son état de santé à son employeur.

Ludovic Friat

 

« Je suis depuis plus de trois ans en situation de burn out. Mon épuisement professionnel a été reconnu comme imputable au service, grâce à l’intervention de l’USM (Union syndicale des magistrats). Je suis donc en situation de CITIS (congé d’invalidité temporaire imputable au service).

Pendant vingt ans j’ai exercé des fonctions pénales, tant au parquet qu’au siège (instruction), en métropole comme en outre-mer, sans aucun problème particulier. J’ai ensuite exercé plus de cinq ans au Tribunal des Affaires Sociales (TASS) d’une juridiction de province.

J’y ai trouvé un TASS départemental, général et agricole, en totale déshérence : plus de 4 800 dossiers après comptage manuel. J’ai résorbé le stock avant la mise en place du pôle social (NDLR :  lequel a succédé à la fois au TASS et au Tribunal du contentieux de l’incapacité) afin de laisser un service plus correct à mon successeur.

Je tenais cinq à six audiences par mois et je n’étais remplacée par un magistrat honoraire (retraité) que pour les vacations judiciaires. Je rendais cent décisions au fond au moins par mois, dont nombre de redressements URSSAF. Personne dans la juridiction ne voulait du TASS parmi les juges ou vice-présidents non spécialisés. J’étais en outre, au titre de mon service annexe puisque le service principal était considéré comme insuffisant, juge commissaire aux procédures collectives mais aussi en charge, au pénal, des ordonnances pénales (1200/an) et des compositions pénales (1200/an)!

Heureusement j’ai alerté ma hiérarchie à plusieurs reprises par rapports répétés.

Je m’en étais également ouverte en Assemblée Générale auprès des collègues. C’est ce qui a fait que mon burn out a été reconnu comme imputable au service. J’avais joint des attestations de mes assesseurs quant au fait que nous terminions très tard nos audiences et nos délibérés, parfois après 22 heures, car les faire revenir était difficile eu égard à leurs activités professionnelles. J’ai aussi pu m’appuyer sur les attestations de collègues du Tribunal, sur des procès-verbaux d’assemblées générales et sur des témoignages de différents intervenants des caisses … car si l’on avait écouté l’expert psychiatre, c’est finalement mon « perfectionnisme » (sic !) qui était à l’origine mon burn-out, et non ma (sur)charge de travail.

J’ai toujours rendu mes décisions aux dates fixées, et ce, au prix de rédaction de mes jugements pendant les week-ends et les vacances.

D’ailleurs, après de multiples alertes lors de la dernière année de mes fonctions, j’ai reçu le renfort d’un magistrat honoraire qui me déchargeait d’une audience par mois et d’un collègue qui ne traitait que les contraintes du Régime Social des Indépendants avec l’aide d’un juriste assistant qui rédigeait tout. C’est ainsi qu’on a enfin pu résorber le stock : je faisais donc bien le travail de deux magistrats !

J’ai immédiatement signé la tribune.

Ce que je peux vous dire, c’est que j’ai énormément de difficultés à me relever de ce « burn-out ». Je tenais à apporter mon témoignage car désormais, je n’ai plus honte d’en parler, et ce grâce au chargé de mission « souffrance au travail » de l’USM qui m’a expliqué que c’était notre institution qui était maltraitante et non, moi qui étais en cause !

Je n’avais pas de problèmes de santé particulier avant cet effondrement, ce dont mes proches ou collègues pourraient témoigner.

J’espère que nous serons très nombreux à signer cette tribune, ne serait-ce que pour la mémoire de notre collègue et pour montrer à notre garde des Sceaux que nous ne sommes pas dupes et que nous sommes solidaires entres nous.

Merci d’avoir lu mon témoignage… Beaucoup de courage à ceux qui sont en difficulté ».