Tribunal de Meaux : « Si je vais en prison, je reviendrai te tuer à ma sortie »

Publié le 14/12/2022

La loi du 30 juillet 2020 a renforcé la protection des victimes de violences conjugale et celle de leurs enfants mineurs. En dépit de l’arsenal de mesures juridiques, les actes d’agressions intrafamiliales ne régressent pas. Des affaires sensibles ont été soumises aux juges de Meaux (Seine-et-Marne).

Tribunal de Meaux : « Si je vais en prison, je reviendrai te tuer à ma sortie »
Intérieur du TJ de Meaux ©I. Horlans

 Ce 2 décembre 2022, un important trafic démantelé à la prison de Meaux-Chauconin était audiencé à la 1re chambre correctionnelle. Cinq prévenus devaient être jugés de 13 h 30 à la fin de journée (article du 7 décembre ici). Mais deux urgences ajoutées au rôle ont obligé les magistrats affectés aux comparutions immédiates à étudier les dossiers d’une étudiante agressée et d’une mère battue. La présidente Emmanuelle Teyssandier a donc mené les débats jusqu’à 23 heures passées.

Assise au fond de la salle, la courageuse Mariame attend de témoigner. La jolie jeune femme a maquillé son visage pour atténuer les traces de coups portés le 29 novembre dernier. Son mari l’avait déjà frappée deux fois cette année, en mai et septembre. Christelle, agressée en résidence universitaire, n’a « pas eu la force de venir. Elle est tétanisée », indique son avocate, Me Lunay. Dans le box, les prévenus vont minimiser les faits, au point d’irriter la procureure Valentine Géraud, d’ordinaire soucieuse de laisser à chacun la chance de s’amender.

Giflée, étranglée, frappée avec une bouilloire

 Depuis la condamnation le 5 mai de Gassim, 39 ans, blouson bleu à liseré rouge, Mariame a déposé deux plaintes. Le 29 novembre, sans être invité, il se présente chez sa femme, dont il est séparé. Au motif que « la maison [lui] appartient » il a conservé la clé et veut régler un différend : il entend que la fête d’anniversaire de mère ait lieu dans leur pavillon. En présence d’une amie de Mariame et du garçonnet de 2 ans des époux, le ton monte, les insultes fusent, les coups pleuvent. À la barre, la victime raconte : « Il me gifle, je tombe à terre, il me chevauche, me donne des coups de poings, un coup de bouilloire, tente de m’étrangler. Le bébé hurle sur le canapé. » La déposition du témoin est terrible : « Je le tirais, je criais, il lui crachait dessus, Mariame ne parlait plus, elle ne faisait que protéger sa tête. » Sûre que son amie peut mourir, Mina avise les voisins. Gassim assène encore un coup de pied à Mariame, l’expulse du domicile : « Si je vais en prison, je reviendrai te tuer à ma sortie ! » Il attrape l’enfant terrorisé, disparaît. Il est arrêté devant l’école de son fils de 9 ans.

« Avec mon avocate, on va te fumer »

 En garde à vue, ce steward assure qu’elle l’a provoqué : « Elle m’a dit t’es une merde, tu me fais chier, elle a saisi mon index et l’a tordu. » La juge : « – Se mettre dans un état pareil parce que votre femme ne se laisse pas faire ? Vous êtes super dangereux !

– Mina m’a frappé au torse…

– Elle était terrorisée à l’idée que son amie se fasse tuer. Et le 15 novembre, lorsque vous avez jeté votre épouse contre le portail, la traitant de vieille meuf, lui disant je vais te buter ? Et ça signifie quoi : “Avec mon avocate, on va te fumer” ?

– On a un passif. J’ai une globalité de neuf ans, vous n’avez qu’un dossier.

– Je vois surtout que pour vos enfants, ce sont des années de terreur. »

À l’Unité médico-judiciaire, le légiste a relevé les traces d’ecchymoses sur la face, le corps. Mariame : « Je suis stressée, j’ai perdu beaucoup de poids. Il ment énormément. J’ai l’impression qu’il a perdu la mémoire. »

Me Florence Robert, son avocate parisienne, la dit « anesthésiée, à bout à cause des coups et des insultes extrêmement dévalorisantes ». Elle sollicite une expertise psychiatrique de sa cliente, des enfants, le renvoi sur intérêts civils.

« Le 29 novembre, votre petit hurle à la mort ! »

Penchée sur son pupitre, la procureure Valentine Géraud lance des éclairs au prévenu. « Vos petits garçons grandissent avec un cerveau identique à ceux d’enfants victimes de guerre. Ils sont abîmés, détruits. Que vont-ils devenir en grandissant ? Le 29 novembre, votre petit hurle à la mort ! » En colère, elle requiert 30 mois de prison, dont 24 ferme, assortis d’un sursis probatoire de deux ans et d’une interdiction de contact durant trois ans.

Me Ali Belkheir, arrivé du Val-d’Oise pour défendre Gassim, déplore que la surcharge de travail des juges aux affaires familiales n’ait pas permis au couple « de régler son divorce, et le voici donc en correctionnelle » (voir notre dernière chronique sur le manque de moyens de la justice  ici). Il voudrait qu’il bénéficie d’un bracelet électronique.

Le tribunal n’accorde aucune confiance à Gassim : condamné à 24 mois de prison dont 14 avec sursis probatoire jusqu’en 2024, il versera 2 000 € de provision à sa famille qui sera expertisée. Le sursis de six mois est révoqué, mandat de dépôt à l’audience, interdiction de contacter Mariame et d’aller chez elle. Les intérêts civils sont fixés en septembre 2023.

« Tu connais les crimes passionnels ? Regarde bien derrière toi »

 Place à Fadialla, 39 ans aussi, détenu depuis le 28 novembre. Cette nuit-là, il s’est introduit à la résidence université où vit Christelle, son ex-amie qui a rompu. « Je voulais des explications. J’ai pris son téléphone pour voir les photos avec son amant, elle a refusé de me fournir son code. » Alors, il la gifle, la roue de coups de poing, la bloque sur son lit. L’étudiante crie au secours, veut s’échapper, ouvre la fenêtre pour sauter. Fadialla essaie de l’étrangler. Les locataires de la cité universitaire se ruent à sa porte, sauvent la jeune fille en boule, en larmes. Le barbu baraqué en parka marine, qu’il n’a pas quittée depuis l’interpellation, dit ne pas craindre une garde à vue : « Ça fera une de plus dans ma vie », crâne le gars condamné huit fois. À Christelle, il a eu le temps de lancer : « Tu connais les crimes passionnels ? Regarde bien derrière toi dans la rue ! Estime-toi heureuse que je t’ai pas fait une dinguerie, sinon tu mangerais avec une paille. »

« Je voulais tout simplement regarder les vidéos de ses vacances », assure-t-il aux magistrats. « Tout simplement », ainsi justifie-t-il à quatre reprises l’agression. Il a conservé son téléphone, d’où la prévention de vol, plus les violences, harcèlement, menace de mort. Le conseiller bancaire s’excuse : « J’étais énervé. » Me Marie-Charlotte Lunay, dit la partie civile absente « tant elle est effrayée à l’idée de sortir, très marquée ». Elle espère qu’il ne s’approchera plus de sa cliente.

« Nulle part elle ne sera tranquille, convient la procureure Géraud. Il veut lui faire payer sa masculinité blessée. Elle a demandé une mutation, elle a des troubles du sommeil. » Un an sous bracelet électronique lui semble la peine appropriée, associée à toute absence de contact durant trois ans. En défense, Me Cynthia Nerestan plaide « un problème d’ego. Dans Le Monde de Narnia ou des Bisounours, on accepte la rupture, on part. Dans son cas, c’est idiot, il a une réponse d’homme bafoué. Un sursis serait plus juste. »

À nouveau, les juges considèrent que l’homme peut récidiver : un bracelet électronique pendant dix mois, un stage contre les violences, interdiction de contact avec Christelle jusqu’en 2025, 1 500 € de dommages et intérêts, le tout avec exécution provisoire, qu’il fasse ou non appel.

Tribunal de Meaux : « Si je vais en prison, je reviendrai te tuer à ma sortie »
Me Cynthia Nerestan au tribunal de Meaux, le 12 septembre 2022 (Photo : ©I. Horlans)

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