« Une justice rendue au nom des victimes » : et pourquoi pas le retour des duels à l’épée pendant qu’on y est ?
Chaque nouvelle affaire judiciaire apporte son lot de « petites phrases » lancées par nos politiques avec, je dois le dire, une étonnante fierté. Si cela continue ainsi, je vais finir par rédiger un répertoire de blagues pour recenser toutes les absurdités que j’entends à longueur de journée dans nos médias sur le sujet.
Nous avons eu droit, l’année dernière, à la très classique et redondante : « la justice est rendue au nom du peuple français » pour critiquer des condamnations pénales considérées comme trop « laxistes » par certains. Oubliant notamment que les citoyens sont présents dans les cours d’assises qui jugent les crimes, et que, accessoirement, on ne va pas organiser des votes par SMS pour les quelques 950 000 décisions pénales rendues chaque année afin de satisfaire le téléspectateur assis dans son canapé.
N’en déplaise à quelques-uns, les pendaisons en place publique ont fort heureusement été enterrées par la démocratie et par l’état de droit tel que nos ancêtres bien avisés l’ont pensé.
Et pourtant… Que ne faut-il pas entendre de la part de nos représentants, prêts à toutes les démagogies pour trouver de nouveaux électeurs ?… J’en reste parfois bouchée bée.
La dernière en date ? « La justice n’est plus rendue au nom des victimes » du président du Rassemblement National qui, si je puis lui donner un conseil gratuit, devrait sérieusement penser à prendre quelques cours de droit. La justice ne « protégerait pas assez les victimes » et donc, elle ne serait plus rendue en son nom. J’en perds mon latin chers lecteurs !
Alors revenons aux fondamentaux si vous le voulez bien.
Dans notre système pénal, la première « victime » d’une infraction est la société, représentée par le ministère public. En effet, celui qui transgresse la loi pénale porte avant tout atteinte à l’ordre public et donc, à la société tout entière.
On parle d’ailleurs d’ordre public et non d’ordre républicain comme certains de nos représentants aiment à le dire depuis quelques temps (ce qui m’afflige plus que toute autre chose puisque cela n’existe pas en droit).
C’est, par exemple, la notion d’ordre public qui est visée par l’article 144 du Code de procédure pénale prévoyant les conditions du placement en détention provisoire d’une personne mise en examen. Le maintien de l’ordre public est en outre un principe à valeur constitutionnelle.
C’est la raison pour laquelle c’est le ministère public qui représente les intérêts de la société à l’audience pénale et qui requiert des condamnations et des peines à l’encontre du suspect.
Celle que l’on appelle « victime » est en réalité « partie civile » au procès pénal. Contrairement à ce que plusieurs de nos politiques semblent croire, il n’y a pas forcément de partie civile dans tous les procès (ainsi en est-il de beaucoup d’affaires de trafic de stupéfiants, par exemple..). En revanche, il y a nécessairement et obligatoirement le ministère public.
La première « victime » d’une infraction est ainsi notre société tout entière. Celui qui ne respecte pas la loi ne respecte pas les règles de la société dans laquelle il vit. Il porte d’abord atteinte à la société et doit donc en payer les conséquences.
La partie civile, quant à elle, peut demander à ce que son préjudice soit réparé par des dommages et intérêts. Elle ne représente que son propre intérêt, que sa propre souffrance et n’intervient donc qu’au nom d’elle-même.
Dis comme cela, c’est somme toute logique.
Si la justice était rendue au nom de ces victimes là, c’est à dire des parties civiles, cela reviendrait à accepter une justice d’intérêts privés (le suspect face à sa victime). Ce qui pourrait confiner, dans certains cas, à de la vengeance. Dans d’autres cas, à des règlements de compte.
Notre justice qui sanctionne avant tout le non-respect de l’ordre public ne peut donc qu’être rendue « au nom du peuple français », et par conséquent de notre collectivité à tous. Elle n’a jamais été rendue « au nom des victimes » et ne doit jamais l’être, sauf à sortir du système de droit dans lequel nous vivons à l’heure actuelle.
Parfois, la vision du ministère public n’est pas la même que celle de la partie civile et c’est normal puisqu’ils ne représentent pas les mêmes intérêts : les intérêts de la société ne sont pas forcément les mêmes que les intérêts privés, individuels.
Ils peuvent aussi avoir le même avis, et partager non pas les mêmes intérêts, mais le même positionnement sur un dossier.
Je prends pour exemple l’affaire Daval.
L’accusé a été condamné à 25 années de réclusion criminelle par une cour d’assises, composée de trois magistrats et de six citoyens tirés au sort.
Le ministère public n’a pas interjeté appel.
Et la famille de la victime, partie civile au procès, a indiqué être satisfaite de cette condamnation.
Pourtant, que n’avais-je entendu des appels à la réclusion criminelle à perpétuité, voire au rétablissement de la peine de mort… Certains plateaux télé ont abondé dans le sens de la condamnation la plus sévère prévue par le Code pénal sans pour autant n’avoir jamais assisté à l’audience pénale ni avoir eu accès au dossier de l’enquête.
Ministère public et partie civile en opposition, cette fois-ci, à l’opinion publique ?
Vous voyez bien que la justice mérite bien mieux que ces petites phrases toutes faites. On peut évidemment critiquer la justice, je le fais moi-même régulièrement… Mais si critiquer revient à induire en erreur ceux qui vous écoutent, alors je ne suis pas d’accord.
« Chacun son métier et les vaches seront bien gardées ».
Référence : AJU365357