Gleeden : l’adultère n’étant pas prohibé par la loi, on peut en faire la publicité

Publié le 11/01/2021

En raison de l’absence de sanction de l’adultère, en dehors d’une procédure de divorce, l’interdiction d’une campagne de publicité assurant la promotion d’un site de rencontres extraconjugales constituerait une violation de la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ainsi en a décidé la Cour de cassation le 16 décembre dernier ( Cass. civ. 1ère, 16 décembre 2020, n° 19-19.387). Les explications d’Emmanuel Derieux,  Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), auteur notamment de Droit des médias. Droit français, européen et international (1)

photo d'une main saisissant une pomme
Photo : ©AdobeStock/ Ancierro

Une campagne de publicité par voie d’affichage avait été lancée pour assurer la promotion d’un site internet de rencontres extraconjugales. Une association catholique de défense des valeurs familiales en a sollicité la cessation. Déboutée en première instance comme en appel, elle s’est pourvue en cassation. Se référant notamment, comme les juges du fond, à l’article 10 de la Convention (européenne) de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ConvEDH) la Cour de cassation, par un arrêt du 16 décembre 2020, a rejeté le pourvoi.

Contestation de la publicité au nom du devoir de fidélité des époux

C’est dans le cadre d’une action au fond, à laquelle étaient mêlées différentes demandes, que l’association en cause tenta d’obtenir la cessation de la publicité litigieuse. A cet égard au moins, la procédure de référé aurait, compte tenu des délais, probablement été d’une plus grande utilité et efficacité. Sans doute n’aurait-elle pas eu cependant plus de chance de succès.

A l’appui de son action, ladite association s’est prévalue notamment de l’article 212 du Civil. Au titre « des devoirs et des droits respectifs des époux », celui-ci dispose que « les époux se doivent mutuellement […] fidélité ». En conséquence, elle sollicita des juges qu’ils ordonnent, à l’exploitant du site de communication au public en ligne, « de cesser de faire référence, de quelque manière que ce soit, directe ou indirecte, à l’infidélité ou au caractère extra-conjugal de son activité dans le cadre de ses publicités ». En appel et dans son moyen au pourvoi, l’association soutint en particulier « le caractère fautif de l’adultère et des publicités en faisant la promotion ».

Admettant que le « courtage adultérin » ne soit pas une « faute civile », l’association s’est néanmoins prévalue du « caractère fautif de l’adultère et des publicités en faisant la promotion ». Entre autres arguments, elle s’est référée aux dispositions du Code de la Chambre de commerce internationale régissant la publicité. Dans cette sorte de charte de déontologie, il est en effet posé que les communications commerciales doivent être faites avec un « juste sens de la responsabilité sociale » et que la publicité ne doit pas « sembler cautionner […] des comportements […] illicites ou antisociaux ».

Bien que le site en cause ne se soit, à l’époque, livré à aucune forme de publicité télévisée, l’association appelante s’est également prévalue du décret n° 92-280, du 27 mars 1992, fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services de télévision en matière de publicité. Celui-ci dispose, en son article 5, que « la publicité ne doit contenir aucun élément de nature à choquer les convictions religieuses […] des téléspectateurs » et, en son article 7, qu’elle « ne doit pas porter un préjudice moral […] aux mineurs ».

En sens contraire, la société intimée fit valoir « l’absence de caractère illicite ou antisocial de ses publicités » et de la proposition d’un « service de rencontres extra-conjugales ». Se référant à la dépénalisation de l’adultère, en 1975, elle contesta la recevabilité de l’association requérante « à se prévaloir d’une violation du devoir de fidélité entre époux ».

Pour la Cour d’appel, « si l’adultère constitue une faute civile au regard de l’article 212 du code civil, il n’en demeure pas moins que cette faute ne peut être invoquée que, par un des époux contre l’autre, dans le cadre d’une procédure de divorce ». Elle a considéré que « c’est à juste titre que les premiers juges ont jugé » que l’association demanderesse ne pouvait donc « se prévaloir de la violation du devoir de fidélité qui serait promue par le site » en cause « pour faire cesser toute communication commerciale » à son égard (Paris, Pôle 5, ch. 11, 17 mai 2019, n° 17/04642 ; confirmant le jugement du TGI de Paris, 9 février 2017, n° 15/07813).

Pour la Haute juridiction, l’arrêt d’appel a énoncé, « à bon droit, que si les époux se doivent mutuellement fidélité et si l’adultère constitue une faute civile, celle-ci ne peut être utilement invoquée que par un époux contre l’autre, à l’occasion d’une procédure de divorce ».

De telles appréciations sur la recevabilité et la portée de l’argument du manquement au devoir de fidélité entre époux ne laissaient, à la demande de cessation de la publicité confrontée aux garanties de la liberté d’expression, aucune chance d’aboutir.

 Validation de la publicité au nom de la garantie de la liberté d’expression

 En première instance, il a été jugé que « les publicités faisant référence à l’infidélité, qui n’est pas un agissement illicite, avaient été validées par le jury de déontologie publicitaire ». N’était-ce pas là confondre, de manière regrettable et que l’on ne voudrait pas voir étendue à d’autres domaines tel que le journalisme (« Déontologie journalistique : et si le droit suffisait ? », Actu-Juridique.fr, 4 décembre 2019), droit et déontologie ? L’autorité judiciaire est juge du droit et de la loi.

Contestant le premier jugement, l’association appelante fit valoir que « la liberté de communication n’est pas la liberté de se livrer à des actions illicites ».

Intimée, la société à l’origine de la campagne de publicité s’est prévalue de l’article 10 ConvEDH.

Dans son paragraphe 1er, celui-ci consacre le principe de la « liberté d’expression ». Bien que son paragraphe 2 détermine différents motifs de restriction de ladite liberté, parmi lesquels figure « la protection […] de la morale », la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en fait une application largement favorable à cette liberté. Ladite société souligna que l’interdiction sollicitée « violerait la liberté d’expression, le seul fait qu’un message puisse choquer n’étant pas un fondement pour l’interdire ». La CEDH énonce en effet fréquemment que « la liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent ». La même société fit encore valoir que la publicité en cause avait été validée par le jury de déontologie publicitaire qui retint que « ces publicités ne proposent aucune photo qui pourrait être considérée comme indécente, ni d’incitation au mensonge ou à la duplicité » et que les slogans « libellés avec ambiguïté ne peuvent être compris avant un certain âge de maturité enfantine » et qu’ils « n’utilisent aucun vocabulaire qui pourrait, par lui-même, choquer les enfants ». Pour elle, interdire une telle publicité constituerait « une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression qui occupe une place éminente dans une société démocratique ».

Par arrêt confirmatif du premier jugement, la Cour d’appel, retenant ces arguments, débouta, de la demande qu’il soit mis fin à la publicité en cause, l’association à l’initiative de la procédure.

Dans son moyen au pourvoi, cette association tenta de faire valoir que « la liberté d’expression doit céder devant l’intérêt supérieur que représente le devoir de fidélité au sein du couple qui dépasse les simples intérêts privés de ses membre » et que, « en ayant jugé le contraire, pour refuser de faire interdire les campagnes de publicité […] la cour d’appel a violé l’article 10 » ConvEDH

La Cour de cassation estime que les slogans publicitaires contestés étaient « libellés avec suffisamment d’ambiguïté pour ne pouvoir être compris avant un certain âge de maturité enfantine » et qu’ils n’utilisaient « aucun vocabulaire qui pourrait, par lui-même, choquer les enfants ». Elle considère que, interdire la campagne de publicité litigieuse « porterait une atteinte disproportionnée au droit à la liberté d’expression ». En conséquence, le pourvoi est rejeté.

Dès lors que des pratiques, telles que l’adultère, qu’une certaine morale réprouve ne sont pas ou plus prohibées par la loi (la CEDH exigeant, en premier, que « l’ingérence » des autorités nationales dans l’exercice d’une liberté soit « prévue par la loi »), il ne peut pas, sans porter atteinte à la liberté d’expression, être interdit d’en faire la promotion par une campagne de publicité.

 

(1)Lextenso-LGDJ, 8e éd., 2018, 991 p.