Mathieu Herondart : « À la CNDA, la Nuit du droit est un moment de fierté collective »

Publié le 04/12/2024

Le 3 octobre dernier, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), à Montreuil, ouvrait ses portes aux visiteurs dans le cadre de la Nuit du droit. Une occasion rare de découvrir de quelle manière les juges délibèrent pour décider d’accorder ou de refuser l’asile aux requérants. Pour la juridiction, c’est aussi l’opportunité de resserrer les liens entre magistrats et avocats, qui travaillent ensemble à l’organisation de l’événement. Bilan de la soirée avec Mathieu Herondart, président de la Cour. Entretien.

Actu-Juridique : Comment s’est passée la Nuit du droit ?

Mathieu Herondart : Nous avons ouvert les portes de la CNDA en fin de journée, et nous avons organisé, comme l’an passé, des audiences non pas fictives mais reconstituées. Nous avons travaillé avec des avocats, qui nous ont soumis des dossiers récemment jugés, que nous avons pris le soin d’anonymiser. Ces affaires avaient été choisies pour leur densité à la fois humaine et juridique. Elles étaient jugées devant une formation collégiale. Comme à l’audience, le rapporteur lisait son rapport, les membres de la formation de jugement interrogeaient les requérants, joués par des interprètes, qui sont des observateurs aguerris de ces audiences. Certains étaient extraordinaires, emportés par leur composition.

AJ : Quelles affaires ont été reconstituées ?

Mathieu Herondart : Nous avions choisi une affaire posant la question des persécutions liées à l’orientation sexuelle en Côte d’Ivoire, au cours de laquelle le public a pu voir la difficulté d’apprécier ces faits. La deuxième audience concernait des craintes d’excision en Guinée : la formation de jugement posait des questions destinées à comprendre l’environnement familial de la requérante. La troisième affaire, classique pour nous, concernait un homme kurde opposant au gouvernement en place en Turquie. Enfin, la dernière affaire donnait à entendre un requérant de la minorité copte en Égypte, qui craignait des persécutions religieuses. Les visiteurs ne pouvaient assister qu’à l’une de ces audiences car elles se tenaient simultanément. Dans les trois premiers cas, le requérant avait été protégé en vertu de la convention de Genève. Seule la demande de protection du requérant copte avait été écartée.

AJ : Y avait-il d’autres animations, en plus de ces audiences ?

Mathieu Herondart : Les audiences de la CNDA sont publiques, tout le monde peut y assister chaque jour. La particularité de cette Nuit du droit est d’avoir donné, de manière exceptionnelle, la possibilité aux visiteurs d’assister à un délibéré fictif. Ils ont donc pu voir de manière très concrète quelles questions les juges se posent avant de rendre leurs décisions. Ils ont pu également s’entretenir avec les juges, car ces audiences reconstituées étaient suivies d’un temps d’échange entre les juges de la CNDA et la salle. Beaucoup de questions portaient sur les sources de la CNDA, les visiteurs voulant savoir comment les juges s’informent sur la situation dans les différents pays et comment travaillent les rapporteurs pour rédiger leurs rapports. Il y a aussi eu des questions pratiques portant sur le rôle de l’avocat, les possibilités d’accès à l’aide juridictionnelle pour les demandeurs d’asile. Les questions montraient que chacun arrivait à se projeter dans la peau des juges qui devaient statuer.

AJ : Était-ce difficile de dévoiler ainsi le travail de la Cour ?

Mathieu Herondart : Au contraire, la Cour est toujours heureuse de pouvoir montrer son travail. Si nous avons eu un temps d’hésitation au départ à l’idée de reconstituer des audiences, c’était uniquement de peur de trahir la confidentialité des dossiers. Ces craintes ont été levées par le fait que nous avons travaillé main dans la main avec les avocats, sur des affaires qu’eux-mêmes avaient sélectionnées. Nous allons certainement réitérer l’expérience. Il est même possible que nous allions plus loin. Une des demandes des avocats est en effet que nous interchangions nos rôles : qu’ils tiennent la place de juge et les magistrats celle de conseil. Cette inversion n’est pas simple à imaginer, mais peut-être le ferons-nous.

AJ : Quel était le public ?

Mathieu Herondart : 250 personnes ont poussé la porte de la CNDA. C’est un peu plus que l’an dernier. Il semble donc que le bouche-à-oreille ait fonctionné. Il y avait des étudiants, des personnes du monde associatif, des collégiens et lycéens de Montreuil, des voisins de la Cour. La Nuit du droit est l’occasion de montrer la juridiction, ses différents métiers, le bureau d’aide juridictionnelle, le centre de documentation géopolitique, le travail du greffe. Ce fut un beau moment pour la Cour. La CNDA, en plus, est une juridiction spécialisée et peu connue du grand public, alors même que l’asile est un sujet qui provoque des interrogations et des polémiques récurrentes. La Nuit du droit, c’est un moment fédérateur de fierté collective.

AJ : Qu’est-ce qui a le plus plu au public ?

Mathieu Herondart : Les associations connaissent déjà le parcours des requérants, mais pas forcément la gestion de l’audience, la procédure devant la Cour. Les étudiants généralistes en droit n’ont eux aussi qu’une connaissance livresque de l’audience. Voir cela en vrai, à la CNDA où l’oralité a tant d’importance, c’est marquant. Des jeunes visiteurs m’ont dit qu’ils ont été particulièrement impressionnés par les avocats. Il faut dire que ceux qui sont venus plaider ce soir-là étaient brillants et ont donné une illustration magistrale de leur métier. Je pense qu’ils ont créé des vocations.

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