Rap : une violence seulement « artistique » ?

Publié le 05/07/2024

Alors que le clip No Pasaran appelant à faire barrage au RN fait polémique en raison des propos qui y sont tenus, on peut s’interroger sur la frontière parfois ténue entre la « violence artistique » et la violence tout court. 

Rap : une violence seulement "artistique" ?
Photo : ©AdobeStock

À en croire la jurisprudence française, le rap est un art dont la violence reflète « la désolation et le mal vivre des jeunes en banlieue, leur refus de se résigner face à des situations vécues et perçues comme un rejet ».

Cet « art » qui aurait en outre le mérite d’exprimer une souffrance, a droit à la plus exigeante des protections, notamment parce qu’il contribuerait au « débat d’intérêt général », en particulier lorsqu’il aborde des thèmes comme le racisme en France.

Les condamnations sont donc rares, malgré des propos qui tournent souvent autour des mêmes thèmes, haine de la France, voire des « blancs », violences contre les femmes, homophobie, culte des armes, et même promotion de la délinquance.

La violence artistique censée répondre à la violence alléguée de la société

C’est dans cet esprit de « violence artistique » censée répondre à la violence alléguée de la société que vingt rappeurs ont lancé le clip No Pasaran.

Son objet ? Inciter les jeunes à faire barrage au RN dimanche prochain, autrement dit à aller voter, même si, comme il y est dit et répété, ils n’y comprennent rien.

Marine Le Pen et Marion Maréchal y sont présentées comme des « putes », des « chiennes en rut » qu’on va taper avec un bâton, Jordan Bardella y est directement menacé « on vote contre les porcs, Jordan t’es mort ».

Mais ce ne sont pas les seules personnalités visées. L’imam de Drancy – sous protection policière depuis des années en raison de ses positions modérées – y apparait sous les traits d’un allié du Sheitan (Satan), sans que l’on voie le rapport avec la nécessité de faire barrage au RN, pas plus qu’il ne semble y en avoir avec le premier ministre israélien, lui aussi présenté comme lié à Satan.

On relèvera encore des allusions aux francs-maçons ainsi que des propos farfelus sur les Iluminati ou encore des accusations complotistes du type « Ils veulent nous injecter une puce dans le sang ».

No Pasaran embarrasse les radios qui rechignent à le diffuser

Les professionnels de la musique ne dissimulent pas leur embarras, les radios ayant majoritairement rechigné à diffuser le clip car les paroles sont jugées « trop violentes, voire complotistes ».

Ne serait-il pas temps de s’interroger sur la pertinence d’une qualification artistique assurant  une quasi-impunité à l’ensemble des rappeurs sans distinction, alors que certains se lancent dans un nouveau genre, le clip électoral où le large consensus autour de la légitimité de combattre le RN sert de blanc-seing pour véhiculer mépris des femmes, promotion du trafic de stupéfiants, violence etc.

Quand Daniel Balavoine chante Starmania

« Qui est ce qui viole les filles
Le soir dans les parkings (…)

On agit sans mobile
Ça vous paraît bizarre
C’est p’t être qu’on est débile
C’est p’t être par désespoir
Du moins c’est ce que disent les journaux du soir »

tout le monde comprend qu’il met en scène un personnage.

Du second degré, vraiment ? 

À l’inverse, quand on entend les interviews de certains rappeurs, on constate parfois que la violence des paroles de leurs « créations artistiques » semble correspondre à leurs propres convictions, voire à leurs comportements, car un nombre non négligeable d’entre eux a été mis en cause dans des procédures pénales de trafic de stupéfiants, port d’armes prohibées, violences à l’égard des femmes etc….

Derniers exemples en date ? Moha La Squale vient d’être condamné en première instance à quatre ans de prison dont trois ans ferme et un an avec un sursis probatoire pour des violences sur ses ex-compagnes. Le 4 avril dernier, Audrey Mondjehi, rappeur dont un des clips (DAR) avait fait scandale en 2008 parce qu’on y voyait un policier molesté et enfermé dans un coffre de voiture et une femme trainée en laisse dans la rue, a été condamné à trente ans de prison dans le procès des attentats de Strasbourg (5 morts, 11 blessés) pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Il a fait appel de sa condamnation. Lorsque ses clips ont été diffusés à l’audience, personne n’a vu dans les armes brandies, les humiliations infligées à une femme ou le tabassage d’un policier, l’expression légitime d’une souffrance des banlieues. Pas même lui d’ailleurs qui a expliqué devant la cour « Tout rapporte de l’argent si c’est bien fait. Moi à la base je m’en fous du rap, ils veulent de la bonne musique et danser dessus ».

Sur les vingt rappeurs auteurs de No Pasaran, au moins cinq d’entre eux ont connu des passages en prison pour violences, trafic de stupéfiants et violences conjugales. Si l’on en croit la jurisprudence, les propos violents ne sont protégés qu’en tant qu’il s’agit d’une création artistique et non pas d’affirmations au premier degré de leur auteur. Or, précisément, nombre de clips de rap ne paraissent être produits et écoutés qu’en tant que promotions de la violence des banlieues, de la haine de la France, du mépris à l’égard des femmes et des homosexuels et de la détestation de la police.

Reste-il dans ces cas-là une once de second degré ?

Où est l’expression d’une « souffrance de la jeunesse » ?

Cette culture revendiquée, encouragée et hautement rentable de la violence et de la haine suscite le malaise. Surtout, elle interroge : est-on vraiment sûr que c’est toujours de l’art ?

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