La renaissance du juge conciliateur ou les premières audiences de règlement amiable
L’émission « Justice en France » diffusée mercredi soir était consacrée à une audience amiable. Fabrice Vert, premier vice-président au tribunal judiciaire de Paris et lui-même très investi dans cette nouvelle procédure, nous livre son regard sur les premières audiences de règlement amiable ou ARA.
« Le plus beau métier des hommes, c’est d’unir les hommes », Saint-Exupéry
Hier soir, l’émission « La justice en France » diffusée sur France 2 était consacrée à la première audience de règlement amiable (communément désignée sous l’acronyme ARA) filmée.
Anabelle Melka, juge pionnière de l’ARA
Cette audience était présidée par Anabelle Melka, juge au tribunal judiciaire de Valence, qui a été la première juge en France à mettre en œuvre ce nouveau mécanisme amiable introduit dans notre système judiciaire par le décret du 29 juillet 2023, et présenté par Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice comme l’un des fers de lance de sa politique nationale de l’amiable annoncée place Vendôme le 13 janvier 2023.
Ces audiences permettent au juge de renouer avec son office conciliatoire longtemps délaissé alors qu’il présente de nombreux intérêts pour les justiciables. Il permet en effet de traiter l’entièreté du litige (aspects économiques, relationnels etc.) au-delà du seul aspect juridique. Il permet de trouver des solutions originales, inventives tournées vers l’avenir et de remettre le justiciable au cœur de son litige. Il peut éviter des procès longs et coûteux (avec un coût économique et psychologique parfois exorbitant) et permettre à des parties de renouer des relations.
On songe au juge de paix des révolutionnaires. Treilhard considérait le juge « comme un père qui doit placer sa véritable gloire moins à prononcer entre ses enfants qu’à les concilier », voyant dans le juge « un ange pacificateur » qui « s’efforce de calmer les passions, d’assouplir les haines »[1].
Ce juge de paix n’a pas survécu à un excès de juridisme et à une organisation verticale et hiérarchique des tribunaux, « La conciliation, étant devenue la mal-aimée des juges » pour paraphraser un fameux article du professeur Poumarède[2].
Aussi cette renaissance de l’office conciliatoire du juge par ce nouveau mécanisme a-t-elle été accueillie avec scepticisme par certains acteurs judiciaires, mais portée depuis de nombreuses années par d’autres.
Cette première audience filmée d’une ARA, même si évidemment on peut imaginer que la présence de la caméra a dû quelque peu contraindre la juge, est remarquable pour conforter tous ceux qui attendaient avec impatience la remise à l’honneur de cet office conciliatoire du juge, qui indubitablement est un instrument essentiel de la mission de garant de la paix sociale de celui-ci.
La juge Melka a déjà traité neuf affaires dans le cadre d’une ARA dans des contentieux très divers : successions, servitudes, travaux de construction, charges de copropriété. Elle a obtenu huit accords et un accord partiel. La plupart de ces affaires lui étaient envoyées par le président du tribunal de Valence Luc Barbier, étant rappelé que le juge qui tient une ARA ne jugera pas l’affaire en cas d’absence d’accord des parties.
Une nouvelle posture pour le juge et l’avocat
De nombreux acteurs judiciaires se posaient la question du déroulé d’une audience d’ARA, de la posture du juge et de l’avocat.
Cette émission permet de démythifier l’ARA et d’en comprendre tout l’intérêt et la posture à adopter par les acteurs judiciaires.
Certes, c’est un juge avec son imperium qui préside, mais il n’est pas là pour trancher des demandes sur des positions juridiques ; il a un rôle de facilitateur. Il est d’abord là pour écouter les parties, les aider à se comprendre, leur permettre de faire émerger leurs besoins et leurs intérêts, de mettre à jour des incompréhensions, des malentendus, les raisons profondes du conflit. Il les aide dans les recherches de solutions et dans l’élaboration de l’accord.
Le juge est gardien du cadre, assure la qualité de la communication, de l’équilibre des temps de parole, veille au respect de l’ordre public, questionne avec empathie.
Le principe de confidentialité s’applique à l’ARA. Le principe du contradictoire ne s’applique pas et le juge peut procéder à des apartés avec les parties, et jouer au go-between entre ces dernières, les apartés permettant aux parties de porter des éléments à la connaissance du juge qu’elles ne souhaitaient pas évoquer en réunion plénière
L’avocat n’assiste pas son client pour plaider, mais est présent pour le conseiller, l’assister, le soutenir et, lorsqu’un accord se dessine, pour donner une efficience à cet accord.
Le greffier n’assiste pas le juge lors d’une ARA, sa présence n’étant requise que dans l’hypothèse où les parties souhaitent qu’un procès-verbal de constat d’accord soit établi à l’issue de l’ARA, ce procès-verbal étant signé par le juge, le greffier et les parties.
Elles peuvent aussi solliciter l’apposition de la formule exécutoire par le greffe sur un acte contresigné par avocats formalisant un accord trouvé au cours de I’ARA ou demander au juge saisi du litige l’homologation de l’accord.
Je me suis entretenu avec la juge Melka lors d’une formation organisée à l’École nationale de la magistrature sur l’ARA qui réunissait de nombreux avocats et juges très intéressés par ce nouveau mécanisme amiable. En effet, son humanité est de nature à rendre plus attractive la fonction de juge civiliste qui fait l’objet d’une inquiétante désaffection.
Ces audiences sont extrêmement gratifiantes même si elles peuvent être épuisantes. Ayant concilié dans mes jeunes années de juge d’instance au tribunal d’instance de la Charte il y a plus de trente ans, lors notamment de transports sur les lieux, et ayant un diplôme universitaire de médiateur, c’est tout naturellement que j’ai postulé pour tenir les premières audiences d’ARA au tribunal judiciaire de Paris. J’ai été désigné à cet effet, comme d’autres collègues, par le président Stéphane Noel dans l’ordonnance de roulement du tribunal.
Premières audiences d’ARA au Tribunal judiciaire de Paris
J’ai déjà présidé plusieurs Ara au tribunal judiciaire de Paris depuis février. Ce sont mes collègues des référés qui choisissent, après avoir recueilli l’avis des parties, les dossiers éligibles à une ARA et le greffe convoque ces dernières à l’audience. J’examine les assignations, conclusions et pièces qui ont déjà été communiquées avant l’audience.
Je m’entretiens également avant l’audience par téléphone avec les avocats des parties.
À l’audience d’ARA, je porte la robe comme les avocats, mais l’audience se tient dans une salle ordinaire, et j’installe les parties à mes côtés.
J’organise d’abord une réunion plénière avec l’ensemble des parties intéressées et en capacité de négocier pour les personnes morales assistées de leurs avocats. Lors de celle-ci, ce sont les parties qui s’expriment sur les faits, les avocats pouvant compléter après sur les éléments factuels. Puis j’entends les parties assistées de leur avocat de manière séparée, en aparté (je réserve deux salles pour cette audience) et c’est à ce moment que j’indique les grands principes juridiques qui s’appliquent au litige. Ensuite je réécoute les parties en réunion plénière. En cas de besoin, il est également possible de se rendre sur les lieux.
Extension du domaine de l’ARA
Suite à l’intérêt suscité par ces premières audiences de règlement amiable qui ne sont actuellement possibles que devant le tribunal judiciaire dans les procédures écrites avec représentation obligatoire, les référés président, les référés devant juge des contentieux de la protection, dans les procédures écrites en matière familiale, le garde des Sceaux a annoncé lors de la visite des ambassadeurs de l’amiable le 5 février 2024 à Aix-en-Provence une extension du champ de l’ARA aux tribunaux de commerce et aux chambres commerciales des tribunaux d’Alsace-Moselle avant l’été et, avant la fin de l’année, dans les cours d’appel.
La politique nationale de l’amiable se poursuit. Prochaine étape : la réécriture du livre V du Code de procédure civile sur la résolution amiable des différends qui a mobilisé la direction des affaires civiles et du Sceaux.
La Justice en France, aujourd’hui, c’est aussi la justice amiable.
[1] L.Cadiet Propos introductifs, Revue Justice Actualités , N°12 .2014 , ENM
[2]. J. Poumarède, « La conciliation, la mal-aimée des juges », Les Cahiers de la justice-n° 1, 2013, p. 127.
Référence : AJU425580